Russie, Gaza : propagandes meurtrières
Les guerres et les dictatures se préparent par un long et méthodique travail de manipulation des opinions. Et l’histoire nous a enseigné que la France n’est pas immunisée contre le retour des périls.
dans l’hebdo N° 1870 Acheter ce numéro

La Russie s’apprête-t-elle à ouvrir un nouveau front ? On peut le penser alors que 50 000 hommes ont été massés en face de la région de Soumy, au nord-est de l’Ukraine. La force de la Russie, plus encore que l’artillerie et les munitions, c’est le nombre. Le réservoir humain (horrible expression !) semble inépuisable. La Russie aurait sacrifié des centaines de milliers d’hommes depuis février 2022. Cette saignée monstrueuse pose question. Qui sont ces soldats qui partent à l’assaut de l’Ukraine, et comment la population peut-elle supporter le massacre de ses fils ? Bien sûr, il y a les repris de justice qui entrevoient la liberté. Il y a sans doute aussi des Nord-Coréens. Pour un dérisoire appât du gain.
Pour entraîner son peuple dans une aventure aussi meurtrière, Poutine l’a convaincu que l’Occident menaçait le pays.
Mais si la société soutient encore « l’opération spéciale », c’est qu’elle a été endoctrinée par une propagande qui renvoie à toutes les frustrations de l’histoire récente et à un anti-occidentalisme virulent et revanchard. C’est le paradoxe des dictatures. Avant d’établir leur pouvoir, il leur faut circonvenir les peuples. Le ressort est toujours le même : la peur. Pour entraîner son peuple dans une aventure aussi meurtrière, Poutine l’a convaincu que l’Occident menaçait le pays, sinon militairement, du moins culturellement. La Russie était menacée d’être envahie par des « mœurs dissolues ». Un nationalisme qui s’origine dans l’orthodoxie religieuse incarnée par le Patriarcat de Moscou a pu regagner les esprits après une parenthèse soviétique qui ne l’avait d’ailleurs jamais complètement effacé.
Poutine a raffiné sa propagande en sollicitant l’histoire. L’Ukraine, c’est le nazisme. La « Grande Guerre patriotique » a été sacralisée. Vassili Grossman, l’auteur inoubliable de Vie et destin, aurait été remis au goût du jour s’il n’avait précisément établi un parallèle fâcheux pour Poutine entre stalinisme et nazisme. Quant aux résistants, on les isole, puis on les emprisonne ou les empoisonne. À la fin, on peut envoyer à la mort des centaines de milliers d’hommes, lancés à corps perdu à l’assaut d’un ennemi fantasmé. On peut militariser l’économie pour fabriquer des munitions aux dépens de toute considération sociale. S’il ne faut surtout pas abuser du fameux axiome reductio ad Hitlerum, forgé ironiquement par Leo Strauss, avouons tout de même qu’il y a là matière à quelques réminiscences.
L’autre désastre qui obsède aujourd’hui nos consciences, ou qui devrait les obséder, c’est évidemment Gaza. Là aussi, une idéologie ultranationaliste guide l’action du gouvernement. C’est la variante extrême du sionisme. Un nationalisme ethnique qui va jusqu’au suprémacisme. L’influence de l’orthodoxie religieuse se retrouve ici comme à Moscou. Bien sûr, Israël n’est pas la Russie de Poutine. Des contre-pouvoirs existent, eux-mêmes pénétrés de propagande. C’est bien pourquoi le sort des Gazaouis est encore rarement au centre des manifestations d’opposants.
Une leçon à tirer de ces deux tragédies : le racisme et la haine se préparent de longue date.
Jusqu’où la haine raciste peut-elle mener ? L’Union juive française pour la paix (UJFP) rapportait le 7 juillet que des plateformes équipées de longues-vues payantes accueillent des Israéliens venus en bordure de Gaza assister, une boisson à la main, aux bombardements. L’UJFP parle « d’une normalisation sociale de la violence systémique contre un peuple sans défense ». Au même moment, de nombreux soldats disent leur indignation contre ce qu’ils voient à Gaza et contre les ordres qu’ils reçoivent. En Russie, ces oppositions existent mais la répression les rend inaudibles. Il faut aussi noter, parce que c’est un mécanisme essentiel de la propagande, que ces narratifs de la peur, racistes et sanguinaires, s’appuient toujours sur un fond de vérité. En Israël, le 7-Octobre. En Russie, les avancées de la culture occidentale qui passent par Kyiv.
Mais si nous avons une leçon à tirer pour nous-mêmes de ces deux tragédies, c’est que le racisme et la haine se préparent de longue date pour prendre peu à peu le pouvoir sur les esprits. Cela pose la question de la démocratie et du pluralisme de l’information quand il est encore temps. L’histoire nous a enseigné que la France n’est pas immunisée contre le retour des périls. Gardons-nous de les laisser nous envahir de nouveau. Les mêmes peurs, la même xénophobie sont déjà instrumentalisés. Nous avons déjà la galaxie Bolloré, veillons à ne pas laisser s’installer une structure d’audiovisuel public pyramidale, avec un directeur de l’information tout-puissant qui peut demain être aux ordres de Bardella ou de Retailleau. La propagande, on ne sait pas quand ça commence, on sait comment ça finit.
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