Les journalistes doivent boycotter Rachida Dati
Sur le plateau de LCI, la ministre de la Culture s’est invitée sur un plateau où elle n’était pas censée se trouver, venue ferrailler suite à son renvoi en correctionnelle pour corruption et trafic d’influence. Les médias doivent collectivement décider de ne plus l’interroger celle qui ne les respecte pas et est indigne de sa fonction.

Il est 21 h 14 ce mardi 22 juillet sur LCI. La ministre de la Culture et de la Communication, Rachida Dati, vient de quitter le plateau après avoir été interviewée par le journaliste Thomas Misrachi, notamment sur son renvoi en correctionnelle pour corruption et trafic d’influence, aux côtés de Carlos Ghosn, l’ancien patron de Renault-Nissan. Le présentateur se tourne désormais vers ses éditorialistes pour décrypter leur échange.
Guillaume Roquette, le directeur de la direction du Figaro magazine – un média qui n’est pas exactement connu pour son gauchisme – déclare que bien que les arguments de Dati « sont très forts », « il y a une chose dont elle a peu parlé, c’est que Renault est partie civile dans ce dossier, contrairement à ce qu’elle a indiqué à la fin de l’interview, mais elle parle de Renault-Nissan, qui n’est peut-être pas la même structure ».
Il ajoute que « cela va être intéressant d’avoir le point de vue de l’entreprise [Renault] », qui n’est sans doute plus la même depuis « l’éviction de Carlos Ghosn » puisque « Renault estime qu’il y a eu des honoraires qui n’étaient pas la contrepartie d’un travail effectivement réalisé ». Il souligne surtout que Rachida Dati « met en cause de façon personnelle Bénedicte de Perthuis, qui est la présidente du tribunal correctionnel de Paris », ce qu’avait aussi fait Marine Le Pen à l’annonce de son inégibilité.
La journaliste Alexandra Guillet n’a pas le temps d’enchaîner qu’il y a du bruit en coulisses, et que Thomas Misrachi annonce : « Ah… Ah ! Rachida Dati revient. » Ce n’est pas une blague : la ministre, qui a quitté le plateau quelques minutes auparavant, fait son retour et s’exclame : « Je vous ai entendu, Guillaume Roquette ! Vous dites : Renault n’est pas partie civile. Avec qui j’ai fini mon contrat d’avocate ? Renault-Nissan ! Renault ne gère pas les sites à l’étranger, c’est Renault-Nissan ! »
Menaces
Elle explique que si Renault s’est constitué partie civile, c’est parce que Jean-Dominique Senard, le président du CA de Renault, « est en règlement de comptes avec monsieur Ghosn » : « Renault-Nissan dit ne pas avoir de préjudice, et Renault aurait un préjudice ? Mais alors qu’ils viennent bien à l’audience ! » s’exclame-t-elle. Guillaume Roquette affiche un sourire gêné, et tente d’en placer une : « Il va être intéressant d’avoir la réponse de Renault à tout ce que vous avez indiqué », dit-il. Sans s’asseoir, en agrippant le micro et en secouant son index comme si elle donnait une leçon, Dati insiste : « Renault n’est pas concerné, c’est Renault-Nissan ! »
Émettre la moindre critique à son égard vaut menaces et condamnation en direct.
Et encore, allant jusqu’à empoigner le bras de Guillaume Roquette : « Monsieur Senard, il est psychorigide, il a un règlement de comptes avec monsieur Ghosn dont je suis l’otage ! Renault n’est pas concerné. C’est tout, il n’y avait rien d’autre ? » Thomas Misrachi, qui n’a pas pipé mot depuis son arrivée, réplique : « Eh bien écoutez, si vous estimez que c’est tout, puisque c’est vous qui avez pris contrôle de ce plateau… » Elle s’éloigne enfin, en lâchant : « Je reste en régie ! » Réponse de Misrachi, hilare : « Voilà, elle va rester en régie. On n’est jamais déçus, ça c’est sûr ! »
Il y a quelques semaines seulement, mi-juin, Dati a déjà menacé de poursuites le journaliste Patrick Cohen sur le plateau de C à vous sur France 5. Cette fois-ci, c’est sur une chaîne privée du groupe TF1 que la ministre de la Culture, donc en charge des médias, enfonce le clou : émettre la moindre critique à son égard vaut menaces et condamnation en direct.
En 2017, le président Macron nouvellement élu promettait qu’« un ministre doit quitter le gouvernement s’il est mis en examen » (certes devenu « un ministre doit quitter le gouvernement s’il est condamné » en 2022). Quid d’une ministre qui, outre être mise en examen dans une première affaire et renvoyée en correctionnelle dans une seconde, fait passer son projet de holding de l’audiovisuel en 44.3 malgré l’opposition de l’Assemblée et l’opinion générale au sein dudit audiovisuel public d’un projet délétère, et s’autorise à menacer, de façon régulière, les journalistes qui relèvent de son ministère ? Quid d’une ministre qui crache sur la liberté de la presse avec une agressivité et une impunité aux relents trumpistes ?
Rachida Dati est indigne du ministère de la Culture, censé protéger et défendre les médias et la liberté de la presse. Face à ce constat, et puisque ses actes n’auront clairement pas de conséquence sur sa présence au gouvernement, il ne reste qu’une solution. Les médias doivent, collectivement, choisir de boycotter Dati. Pourquoi respecter celle qui ne nous respecte pas ? Cessons de l’inviter en plateau. Celle qui n’a que du mépris pour le débat démocratique n’y a, de toute façon, plus sa place.
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