Violences sexuelles : et si le « oui » ne valait rien ?

L’inscription de la notion de consentement dans la définition pénale du viol a fait débat l’hiver dernier à la suite du vote d’une proposition de loi. Clara Serra, philosophe féministe espagnole, revient sur ce qu’elle considère comme un risque de recul pour les droits des femmes.

Salomé Dionisi  • 28 août 2025 abonné·es
Violences sexuelles : et si le « oui » ne valait rien ?
Manifestation à l’appel des associations feministes, le 23 novembre 2024.
© Valérie Dubois / Hans Lucas / AFP

La Doctrine du consentement, Clara Serra, La Fabrique, 160 pages, 13 euros.

Faut-il faire évoluer la définition du viol dans la loi pour y inscrire la notion de consentement ? Le sujet a divisé les féministes, avant d’être tranché positivement par les députés en avril dernier. Pourtant, certaines d’entre elles dénoncent toujours une « fausse bonne idée ». Non par conservatisme. Ni pour déresponsabiliser les agresseurs, mais par peur que, lors des jugements, l’attention se concentre davantage sur la réaction de la plaignante que sur l’attitude de l’accusé.

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Clara Serra, philosophe, militante féministe et ancienne députée Podemos de l’Assemblée de Madrid, s’oppose à la référence au consentement dans les textes législatifs. Résolument tournée vers l’expérimentation en matière de lutte contre les violences de genre, l’Espagne a adopté dès 2022 la loi dite « Sólo sí es sí » (« seul un oui est un oui »), qui définit le viol comme un rapport sexuel sans consentement explicite. C’est dans ce contexte que Clara Serra commence à écrire son ouvrage La Doctrine du consentement (La Fabrique, 2025), dans lequel elle met en lumière des arguments peu médiatisés en France.

Selon la philosophe, le premier effet pervers de la loi « Sólo sí es sí » est de considérer un « oui » comme une preuve de consentement, sans s’interroger sur le contexte dans lequel cet accord a été prononcé. Une femme est-elle vraiment en mesure de ne pas dire « oui » face à un homme qui a un ascendant social, économique, professionnel, ou qui exerce une emprise sur elle ?

Clara Serra interprète la notion de consentement comme une dérive du néolibéralisme.

À cette question, Clara Serra répond par la négative et interprète la notion de consentement comme une dérive du néolibéralisme qui, en contractualisant les rapports humains, laisse penser que chacune des parties a accès au même niveau de liberté : « En général, ceux qui rédigent les contrats ont le pouvoir d’imposer à d’autres de les signer. […] La gauche s’est attachée à déconstruire les consentements formels et les “oui” en rappelant qu’un contrat de travail ou un prêt du FMI ne s’acceptent pas librement si l’on n’est pas en mesure de dire non et de les refuser. »

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Pour appuyer son propos, la philosophe compare le consentement sexuel à l’union civile : pendant des siècles, les femmes ont formulé un « oui » explicite et contractualisé au moment de se marier. Elles n’étaient pour autant pas libres de refuser.

Travailler davantage sur les inégalités et les rapports de domination

Travailler davantage sur les inégalités et les rapports de domination qui régissent les relations humaines serait, selon Clara Serra, une manière plus efficace de lutter contre les violences sexuelles : « Si nous sommes vraiment ambitieuses, nous devons nous rendre compte que combattre la pauvreté féminine, la précarité, l’inégalité au travail, les lois sur l’immigration, la transphobie ou les différentes expressions du sexisme dans notre société nous rend plus libres au moment de dire oui ou non dans le champ du sexe. »

Son argument le plus surprenant – et sans doute le plus polémique tant il pourrait flirter avec les discours anti-MeToo – porte sur le « flou » qui entoure les relations sexuelles. Selon elle, la sexualité est une exploration, et aucune des parties ne peut complètement anticiper ce qu’il va s’y produire, les désirs de l’autre, ou même ses propres réactions. Comment donner un consentement éclairé a priori à une situation dont nous ne savons ni ce qu’elle va exactement être, ni la manière dont nous allons l’apprécier ?

Sur le même sujet : La fabrique du consentement sexuel

Se concentrer uniquement sur un « oui » ou sur un « non » dans la loi, c’est aussi prendre le risque de brouiller les frontières entre la sexualité et le viol, qui est un crime, une violence. C’est pour cette raison que la philosophe préférerait que la loi se concentre davantage sur la notion de force, c’est-à-dire de rapport de domination, que sur celle de consentement.

Le consentement nous porte à considérer ce que disent les femmes au lieu de considérer ce que font les hommes.

C. Serra

Par extension, cette dernière finira forcément par pousser les magistrats à interroger la question du désir des femmes. Or la limite légale se situe à l’endroit où la volonté de l’autre est outrepassée, pas son désir. Nombreuses sont les femmes qui, élevées dans une culture patriarcale, désirent la domination. Le viol n’en demeure pas moins un crime et doit être traité comme tel par la justice, indépendamment des fantasmes de la plaignante.

Le consentement apparaît alors comme une notion imparfaite, peu adaptée à un système pénal répressif, dont les biais sont résumés ainsi par Clara Serra : « Le consentement nous porte à considérer ce que disent les femmes au lieu de considérer ce que font les hommes. »

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