Le message politique des « CAN des quartiers »

Chaque année, ces tournois de football sont d’énormes succès populaires, mobilisant les habitant-e-s et désormais les institutions autour d’initiatives tout droit venues des quartiers français, et qui s’inscrivent dans leur histoire politique et culturelle.

Abdel Yassine  et  Ulysse Rabaté  • 27 août 2025
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Le message politique des « CAN des quartiers »
© Jannik / Unsplash

En quelques années, les images des « CAN des quartiers » venues des quatre coins de la France sont devenues familières. En chaque début d’été, ces tournois sportifs sont d’énormes succès populaires, qui mobilisent les habitant-e-s et désormais les institutions autour d’initiatives tout droit venues des quartiers français, et qui s’inscrivent dans leur histoire politique et culturelle.

Les coupes d’Afrique des nations des quartiers (CAN des quartiers devenue dans le langage commun la CAN – de Créteil, de Clermont ou d’Évry) (1) sont copiées sur la compétition officielle de la Coupe d’Afrique des nations qui se tient tous les deux ans. Elles invitent les habitant-e-s à constituer des équipes de football en fonction de leur pays d’origine. Si de tels tournois ne sont pas nouveaux, les CAN émergent officiellement au lendemain du confinement dû à la crise du covid-19 : elles formulent alors une réaction collective face à la dureté spécifique des mesures sanitaires dans les quartiers populaires et la volonté de faire exister des moments collectifs en extérieur.

Ces compétitions sont appelées par leurs organisateurs « coupes nationale des quartiers » (CNDQ).

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Bien au-delà de leur dimension sportive, ces événements sont devenus en quelques années un rendez-vous incontournable dans de nombreuses villes de France. Ces coupes font d’ailleurs aujourd’hui l’objet de nombreux articles de presse relativement bienveillants, mais aussi de soutiens municipaux, signes d’un passage réussi dans l’espace public : la finale de la CAN de Créteil (94), considérée comme la « première CAN des quartiers », a même été retransmise en direct sur la chaîne Amazon Prime en 2022.

Les vidéos des divers temps forts des compétitions, de l’entrée des équipes aux buts importants, en passant par les animations nombreuses assurées en tribune par les groupes de fans masculins et féminins, cartonnent sur les réseaux sociaux où une saine concurrence oppose les villes et quartiers qui portent « leur CAN ».

Ces événements n’ont pas toujours été vus d’un bon œil et ont d’abord été pointés du doigt par les mondes médiatique et politique.

Pourtant ces événements n’ont pas toujours été vus d’un bon œil et ont d’abord été pointés du doigt par les mondes médiatique et politique. Pures initiatives surgies des quartiers populaires (notamment hors du cadre des compétitions de la Fédération française de Football), ces manifestations ont d’abord été considérées par les institutions sous leur angle « hérétique » : les équipes composées par les jeunes selon leur pays d’origine ne manquaient pas de susciter des réactions et suspicions de communautarisme.

Mais cette accusation s’est vue contrée par le succès populaire de ces manifestations, leur bon déroulement, mais aussi par la démarche d’ouverture des organisateurs qui répondait à la stigmatisation. L’organisation des CAN a été l’occasion pour certains acteurs locaux de faire exister un discours public contre les rivalités de quartiers, ou encore contre toutes les formes de racisme. Des éditions féminines se sont vite développées dans de nombreuses villes, montrant le dynamisme du sport féminin dans les quartiers français.

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Là où un point de vue influencé par les idées d’extrême droite considère ces manifestations comme un « échec de la République » (en y cherchant de façon absurde « l’équipe de France »), les protagonistes de ces événements y défendent l’expression de son essence originelle : la fierté d’être plusieurs dans la même France, d’assumer la pluralité des origines, des langues, des drapeaux, tout en donnant à voir un espace politique commun. On peut y voir une réplique, plus de deux siècles plus tard, des « fêtes civiques » spontanées partout en France qui, au lendemain de la Révolution de 1789, aboutirent à la « Fête des fédérations » qui visait à célébrer l’unité du territoire français, dans la reconnaissance de sa diversité.

Ces événements gardent dans leur grande majorité une portée contestataire et revendiquent une culture politique.

Face au succès des CAN, les élus locaux s’empressent aux remises de coupe pour avoir leur photo, et même pour taper la balle… avec plus ou moins de succès. De fait, la tentative de récupération politique de ces événements par des élus en quête d’électeurs n’est pas dénuée de tensions. Chez certains, elle réveille des imaginaires coloniaux et une volonté de retrouver une place d’« organisateur » ou de « superviseur » de fêtes issues d’une culture populaire, alors que l’initiative originale était autonome et souvent en réponse aux manquements des pouvoirs politiques locaux et nationaux.

Même si des élus en écharpe viennent y faire des photos, ces événements gardent dans leur grande majorité une portée contestataire et revendiquent une culture politique – sans naïveté à l’égard des logiques de stigmatisation et de censure qui persistent.

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Pour nous, les CAN des quartiers s’inscrivent dans l’histoire des mobilisations issues des quartiers et sont à penser sur le même plan que les révoltes de l’été 2023, et la mobilisation électorale contre l’extrême droite lors de l’été 2024 : leur modernité réside dans la proclamation, à travers une pratique fondée dans l’autonomie, d’un nouveau pacte politique pour le pays. Les valeurs qui s’expriment dans ces initiatives sont clairement progressistes, marquées par l’exigence d’égalité, le refus du racisme, la possibilité de vivre ensemble. Encore faut-il reconnaître pleinement, et sans velléité d’instrumentalisation, ce message politique.

L’avenir se dessine en partie sur ces terrains, lieux de jeux, de fête, mais aussi viviers d’une nouvelle génération.

À l’approche des élections municipales, l’avenir se dessine en partie sur ces terrains, lieux de jeux, de fête, mais aussi viviers d’une nouvelle génération d’actrices et d’acteurs qui veulent s’investir pour l’intérêt général. Si la gauche s’ouvre à cette culture politique, elle ramènera enfin « la coupe à la maison » en 2027… ou avant.

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