Révoltes dans les quartiers : l’histoire d’un abandon par un État raciste

Selon le président de la République, le geste du policier qui a tiré sur Nahel est aussi « inexcusable » qu’« inexplicable ». Pourtant, les explications sont pléthoriques. À commencer par un État structurellement violent, et raciste.

Pierre Jacquemain  • 30 juin 2023
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Révoltes dans les quartiers : l’histoire d’un abandon par un État raciste
Un jeune homme se fait charger par la CRS 8 à Nanterre, lors de la marche blanche pour Nahel, le 29 juin 2023.
© Maxime Sirvins.

Pour le ministre de la Ville, Olivier Klein, invité ce matin de France Inter, comparer ce qu’il se passe dans nos quartiers depuis la mort du jeune Nahel avec les révoltes de 2005 dans les banlieues – où il était aux premières loges, comme premier adjoint au maire de la ville de Clichy-sous-Bois – ne serait pas justifié. À l’époque, les pompiers pyromanes étaient au pouvoir avec, entre autres, Nicolas Sarkozy à l’Intérieur, se défend-il. Aux antipodes de ces années-là, il se dit « fier » – non sans une certaine émotion d’ailleurs, que l’on veut bien croire sincère – des propos du président de la République d’aujourd’hui, qui aurait répondu à l’acte barbare du policier dans les bons termes. Revenons sur les bons termes : « inexplicables », « inexcusables ». Voilà comment Emmanuel Macron qualifie l’attitude du policier qui a exécuté à bout portant le jeune Nahel. Inexcusables, assurément. En revanche, il n’est pas possible d’entendre l’hôte de l’Élysée assurer qu’il n’y aurait pas d’explications à cette bavure policière. Une bavure qui n’est pas isolée, hélas.

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Comme en atteste le travail titanesque fourni par Basta!, et contrairement à ce qu’affirme Gérald Darmanin [« Depuis 2017, il y a eu moins de cas mortels qu’avant 2017 »], trois fois plus de personnes sont mortes à la suite d’une arrestation policière depuis 2020. Cette réalité masquée, ne peut pas rester sans explications. Ce serait irresponsable. Déjà des voix s’élèvent pour mettre en cause la modification législative, rendue possible sous le quinquennat de François Hollande, des conditions de la légitime défense pour les policiers. À l’époque, seuls cinq députés s’étaient élevés contre cette disposition. Parmi eux, Pouria Amirshahi dénonçait « un projet de loi déséquilibré qui tente de répondre d’une mauvaise façon au mal-être des policiers dans l’exercice de leur fonction, sans tenir compte du malaise grandissant à l’égard des policiers chez de nombreux citoyens ». Et d’en conclure : « Votre projet de loi, en renforçant les possibilités de tir à vue, risque par là même de causer des morts supplémentaires ». Visionnaire, l’ancien député socialiste frondeur. Tragiquement visionnaire puisque depuis l’entrée en vigueur de ce texte, on dénombre 29 morts.

Des explications, il y en a. Encore faut-il les voir. Vouloir les voir.

Donc des explications, il y en a. Encore faut-il les voir. Vouloir les voir. « Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser », assurait Manuel Valls en 2016, en opposition aux travaux des sciences humaines sur la « radicalisation jihadiste », peu après les attentats. Non, chercher à comprendre, c’est retrouver la source des maux, et tenter d’éviter que des drames se reproduisent. La majorité présidentielle aurait-elle sombré à son tour dans l’anti-intellectualisme vallsiste ? Sans doute. Pourtant, des explications, il y en a d’autres. Les scientifiques mais aussi les acteurs associatifs les documentent abondamment. Les explications sont là, sous nos yeux. Et le ministre de la Ville les connaît par cœur. Sans doute impuissant, sans doute aussi un rien opportuniste – lui, l’homme dit « de gauche » dans un gouvernement néolibéral et autoritaire –, ne reconnaîtra-t-il jamais ces évidences. Pas plus que le président, la première ministre et les membres de la majorité présidentielle.

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Ces évidences, les voici. En ne voulant pas voir que 20 % de la jeunesse française est abandonnée dans des quartiers désertés par les services publics, un système scolaire défaillant, l’emploi inexistant, les transports publics manquants, les médecins absents, la justice absente et la police pour seule réponse ; en refusant de voir la discrimination et la stigmatisation permanente des quartiers et celle de ses habitants par les médias et les politiques ; en n’admettant jamais – malgré les dizaines de milliards investis par l’État pour la rénovation urbaine – que le sentiment de relégation persiste ; enfin, en balayant d’un revers de main, comme le rappelle souvent Rokhaya Diallo, les condamnations contre la France de la Cour européenne des droits humains pour ses violences policières, notamment racistes, ou celles de la Cour de cassation pour ses contrôles au faciès racistes, auxquelles s’ajoutent aujourd’hui les inquiétudes de l’ONU sur les « profonds problèmes de racisme parmi les forces de l’ordre » françaises ; ceux qui nous gouvernent se font les complices d’un État structurellement violent et raciste. Parce que l’État est aussi raciste dans sa structure que Le Pen l’est dans sa chair. Parce que Zyed, Bouna, Amine, Souheil, Aziz, Aboubakar, Adama, Fadjigui, Nahel et tant d’autres ne sont pas morts par hasard. Leurs frères, leurs sœurs, leurs amis, leurs familles ne sont pas contrôlés par hasard, au quotidien, parfois plusieurs fois par jour. Pourquoi nous obstinons-nous à ne pas vouloir dénoncer ce que la structure de l’État, son histoire, ses mécanismes font de nos quartiers populaires et de ses habitants ?

L’État est aussi raciste dans sa structure que Le Pen l’est dans sa chair.

Si, comme l’affirme Olivier Klein, 2023 n’est pas 2005, l’histoire semble pourtant bégayer. Car aujourd’hui, à l’instar de la mobilisation contre les retraites qui s’était propagée de manière inédite jusque dans les sous-préfectures, la révolte ne s’exprime plus seulement dans les seuls quartiers populaires mais aussi dans les grandes métropoles, en plein cœur de Paris, Marseille, Lyon ou Lille – mais aussi dans les petites villes de France, à Blois, Dijon, Limoges ou encore Halluin. Aujourd’hui comme hier, une jeunesse qu’on qualifie de « violente », « délinquante », « émeutière », provoquant le « chaos ». Cette jeunesse, celle d’aujourd’hui et d’hier, qui n’aurait rien à faire, rien à dire alors que lors des révoltes de 2005, une génération entière de révoltés avait fini par faire « mouvement » autour de collectifs, d’associations, parfois même en s’engageant politiquement. Et quelle réponse politique aux événements depuis ces derniers jours ? Un acte politique fort ? Une remise en cause de la police ? Des politiques menées dans les quartiers dits prioritaires ? Rien.

Quel message envoie le gouvernement à part souffler sur les braises ?

Hier, 40 000 policiers étaient déployés dans toute la France et les transports franciliens débranchés, dès 21 heures. Aujourd’hui, le gouvernement réfléchit à déclencher l’État d’urgence et le couvre-feu dans certains quartiers. Quel message envoie-t-il à part souffler sur les braises ? Comment ne pas donner raison à Fatima Ouassak, présidente de l’association Front de mères, qui tentait hier, vainement, de se faire entendre sur BFM TV : « Depuis quarante ans, la réponse dans les quartiers n’est que sécuritaire : contrôles policiers, drones, caméras, etc. Il y a un emmurement des quartiers. » Et Christophe Barbier, expert ès en banlieue, de lui répondre : « Ce n’est pas vrai. Il y a des actions culturelles. » Décidément, au 74e jour de la France apaisée, théorisée par Emmanuel Macron, la France vit pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

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