Aide médicale d’État : l’exécutif choisit de mettre en danger les personnes étrangères
En faisant fuiter plusieurs projets de décrets qui retirent des soins compris dans l’Aide médicale d’État et renforcent ses conditions d’accès, l’exécutif dégrade les conditions de vie de personnes précaires.

© Pauline Migevant
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En s’attaquant à l’AME, François Bayrou tente de se sauver grâce au RN Dans sa chute, Bayrou embrasse le RNPour justifier la restriction de l’aide médicale d’État (AME), François Bayrou évoque le « bon sens ». Ce dispositif destiné aux personnes étrangères sans papiers est remis en cause régulièrement par la droite et l’extrême droite considérant qu’il serait trop cher, et à l’origine d’un « appel d’air », favorisant l’immigration.
Concrètement, le dispositif, qui a coûté 1,2 milliard d’euros en 2024, représente 0,5 % des dépenses publiques de santé. Les projets de décret visent à « soumettre à un accord préalable » des soins pour les personnes arrivées en France, il y a moins de neuf mois. Une rhétorique raciste allant à l’encontre des résultats de l’enquête pionnière Premiers pas, menée par l’Irdes.
Le vrai problème aujourd’hui, c’est que trop peu de personnes demandent l’AME.
A. Math
« Cette étude montre que l’AME est un dispositif extrêmement contrôlé et difficile à obtenir en raison des pièces exigées, précise Antoine Math, chercheur à l’Irdes. Seules 51 % des personnes qui ont accès à l’AME en bénéficient. Le vrai problème aujourd’hui, c’est que trop peu de personnes demandent l’AME. »
Obsession de la droite et de l’extrême droite
Dans cette recherche qui visait à combler le manque de données disponibles sur l’utilisation de l’AME, les chercheur.euses concluaient en novembre 2019 : « Nos travaux suggèrent que toute mesure qui viserait à limiter les droits offerts par l’AME de droit commun afin de lutter contre l’immigration clandestine ou de réduire fortement les dépenses de santé couvertes de l’AME raterait certainement sa cible. Le risque serait en revanche de mettre en danger l’état de santé d’une population, pour partie très précaire, et avec des besoins de soins largement non couverts et de laisser le poids de leur prise en charge aux services d’urgence et aux associations. » Loin du « bon sens », évoqué par François Bayrou au sujet de ces décrets.
La remise en cause du droit à la santé est alimentée par des « études » produites par des organismes d’extrême droite, comme l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, reprises par des médias de droite et d’extrême droite. « Malheureusement, ils utilisent le racisme pour manipuler l’opinion publique. C’est grave », estime une membre de la Coordination des Sans Papiers 75, contactée par Politis. À rebours des discours sur le fait que les personnes exilées « profiteraient de ce dispositif », elle souligne : « Les sans-papiers cotisent quand ils travaillent. Et les cotisations dans les caisses sociales ne bénéficient pas aux sans-papiers : ils n’ont pas le droit au chômage ou aux arrêts maladies. »
Selon le ministère de la Santé, contacté par l’AFP « les mesures proposées ne remettent nullement en cause le dispositif de l’AME, mais constituent des ajustements conformes aux recommandations du rapport Evin-Stefanini ». Cette mission d’information avait été créée au moment de l’examen de la loi Asile et Immigration, communément appelée loi Darmanin. Durant cette séquence politique, fin 2023, le Sénat avait voulu la suppression pure et simple du dispositif, remplacé par une « aide médicale d’urgence », réduite à peau de chagrin.
Je n’ai jamais vu dans ma vie une personne qui se présente à une permanence juridique et qui a comme projet d’avoir des soins balnéo.
A. Rieu
Aujourd’hui, la voix des personnes bénéficiant de l’AME, comme celles des associations, semble peu audible. « Le gouvernement ne nous écoute pas à cause de volontés politiques qui sont en dehors de toute rationalité », estime Matthias Thibeaud, référent plaidoyer pour Médecins du monde. Parmi les soins exclus du dispositif de l’AME, la balnéothérapie. Aude Rieu, coordinatrice à la FASTI, dénonce « l’opportunisme visant à donner des gages à l’extrême droite et à la droite ».
Elle ajoute : « Je n’ai jamais vu dans ma vie une personne qui se présente à une permanence juridique et qui a comme projet d’avoir des soins balnéo. Ce n’est absolument pas la réalité. Ce qu’on voit par contre, c’est le non-recours. » Les personnes souhaitant obtenir l’AME devraient désormais présenter des documents d’identité avec une photographie.
Une exigence qui pourrait avoir des conséquences dramatiques d’après Médecins du Monde. « On le voit tous les jours dans nos centres de santé, c’est très compliqué pour des personnes étrangères en situation de grande précarité de disposer de tels documents, à la suite de parcours de migration particulièrement violents et une situation de grande précarité en France ». L’ONG estime que « seulement 8 % des personnes accompagnées en Île-de-France sont capables d’obtenir ces documents ».
Danger pour les femmes
Autre restriction, introduite par les projets de décrets : conditionner l’obtention de l’AME, non plus aux seules ressources de la personne concernée, mais à celle de l’ensemble du foyer. « C’est un vrai danger pour les femmes victimes de violence, qui ne pourront plus être indépendantes dans leur demande et qui seront liées à leur conjoint », s’inquiète Aude Rieu, du Fasti.
Les personnes concernées vont se rendre aux urgences, déjà saturées et en manque criant de moyens.
Par ailleurs, la remise en cause du droit à la santé des personnes exilées pose des questions de santé publique. Le Collectif d’accès au droit rappelle : « Supprimer progressivement tous les recours de ce type-là pour les personnes en situation irrégulière entraîne mécaniquement une dégradation de la santé. Ce qui est complètement contre-productif, puisque les personnes concernées vont se rendre aux urgences, déjà saturées et en manque criant de moyens. »
Autre effet possible : attaquer la possibilité d’accès à certains soins pour les personnes immigrées peut ouvrir des brèches pour l’ensemble de la population, estime Antoine Math. « Quand on s’en prend au droit à la santé de personnes en situation irrégulière, on légitime le fait de s’en prendre, demain, à d’autres catégories ». La Caisse nationale d’assurance maladie devra donne un avis consultatif la semaine prochaine. En cas de chute du gouvernement lundi, ces projets de décret, seront enterrés. Au moins pour un temps.
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