Les grands patrons en pleine sécession

En appelant à un « énorme meeting » le 13 octobre prochain à l’Accor Arena, le Medef veut moins « remettre de la rationalité dans le débat public » que témoigner qu’il est toujours plus éloigné de l’intérêt général.

Pierre Jequier-Zalc  • 30 septembre 2025 abonné·es
Les grands patrons en pleine sécession
Le patron du Medef, Patrick Martin, organise une « grande mobilisation républicaine », le 13 octobre.
© JULIEN DE ROSA / AFP

« LOL ». Éclats de rire. Chez les leaders syndicaux, évoquer la date du 13 octobre suscite l’hilarité. Pour cause, c’est le jour que le Medef, principale organisation patronale, a choisi, fait rarissime, pour organiser une « grande mobilisation républicaine ». « Le 13 octobre, soyons fiers d’être les vrais insoumis, ceux qui ne se résignent pas » (sic), peut-on lire dans l’invitation rédigée en bleu-blanc-rouge.

L’organisation patronale y appelle les « entrepreneurs » à « relever la tête ». « Pourquoi devrait-on s’excuser de créer des emplois, de faire tourner l’économie, de donner une chance aux jeunes ? Réussir, ce n’est pas une honte, c’est une chance pour la France. » Le Medef a réservé l’Accor Arena (Paris-Bercy) pour organiser un meeting « énorme », selon les termes de son président, Patrick Martin, qui a annoncé que 13 000 personnes pourraient y participer.

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L’initiative a de quoi surprendre. Par plusieurs aspects. En premier lieu, le patronat, surtout le « grand » patronat, n’est pas un adepte des mobilisations collectives, habituellement réservées aux organisations représentatives des salariés. « L’action collective ouverte patronale – manifestations ou meetings en salle – demeure exceptionnelle. Les patrons ont d’autres moyens plus feutrés pour se faire entendre », explique Michel Offerlé, professeur émérite de sciences politiques à l’ENS et auteur, notamment, de Ce qu’un patron peut faire (Gallimard 2021).

La mobilisation de ce 13 octobre n’a que peu de précédents dans l’histoire récente.

De fait, la mobilisation de ce 13 octobre n’a que peu de précédents dans l’histoire récente. « Fin 1982 à Villepinte, rassemblement organisé par l’ensemble des organisations patronales contre les mesures prises par le gouvernement de gauche ; 4 octobre 1999 à la porte de Versailles, contre les 35 heures ; ou, de manière moins massive, en 2013 et 2014 à Lyon et à Paris », liste Michel Offerlé. Or, comme le souligne le chercheur, toutes ces mobilisations se sont déroulées dans un contexte où la gauche était au pouvoir.

« Lutte de classes inversée »

Ce 13 octobre, il ne devrait y avoir aucun membre de gauche dans le gouvernement de Sébastien Lecornu, dernier des macronistes, fidèle parmi les fidèles du chef de l’État. Ainsi, comme l’a rappelé Patrick Martin à la sortie d’un rendez-vous à Matignon, ce meeting n’est absolument pas dirigé contre le gouvernement.

Mais plutôt contre le « débat public », qui, ces derniers jours, s’est concentré sur l’imposition des plus grandes fortunes. « Il est hors de question d’aller plus loin : les entreprises ne peuvent pas supporter de nouveaux impôts ou des hausses d’impôts supplémentaires », martelait le patron des patrons, le 13 septembre, dans les colonnes du Parisien. Une manière, quand même, de mettre la pression sur Sébastien Lecornu, obligé de donner des gages à la gauche pour espérer passer l’automne.

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Parmi les demandes des socialistes, la taxe Zucman, visant à instaurer un impôt plancher sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros, figure tout en haut de la liste. Et cette mesure est très largement plébiscitée dans l’opinion publique, témoignant d’une demande forte d’une plus grande justice fiscale.

Après huit ans de baisses d’impôts, notamment sur la production et pour les plus riches, la possible inversion de cette tendance suscite la panique chez les très grands patrons. Car, il faut le ­rappeler, seuls 1 800 foyers seraient concernés par cet impôt, dont Patrick Martin, 361e fortune nationale, qui a vu sa richesse être multipliée par quatre en moins de quinze ans, selon Challenges.

Le 13 octobre pourrait donc bien se transformer en une mobilisation de ‘nantis’.

Pourtant, le Medef essaie d’impliquer l’ensemble des patrons dans sa lutte contre cette mesure. Une tentative qui a particulièrement agacé Michel Picon, président de l’Union des entreprises de proximité (U2P). Celui-ci a d’ailleurs annoncé que son organisation ne ­participerait pas à la mobilisation du 13 octobre. « Je n’amènerai pas les artisans, les commerçants, les professions libérales de France pour servir de chair à canon à des intérêts qui ne sont pas les nôtres », affirme-t-il, n’hésitant pas à railler cette initiative, qu’il qualifie de « lutte de classes inversée » : « Pour moi, la manifestation BCBG, non merci. »

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La troisième organisation patronale, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) n’a, pour l’instant, pas donné sa position sur une éventuelle participation au meeting du Medef.

Cela n’étonne guère Michel Offerlé. « Il y a bien des valeurs communes entre les chefs d’entreprise de toutes tailles. Mais la catégorie sociale patron est l’une des plus hétérogènes et les plus inégalitaires de toutes les PCS [professions et catégories socioprofessionnelles] de l’Insee. Le Medef a cru pouvoir lancer cette manifestation seul, mais le président de l’U2P a clairement signifié que les efforts de redressement devaient être partagés et qu’il n’était pas question de se battre pour les fortunes de plus de 100 millions d’euros. »

Un Medef « radicalisé »

Sans les petits patrons pour se parer d’un vernis populaire, « l’énorme meeting » du 13 octobre pourrait donc bien se transformer en une mobilisation de « nantis », malgré les complaintes du Medef, qui assure en avoir « assez [que ses membres soient] traités comme des profiteurs ou des nantis ».

Plus personne ne peut nier qu’ils sont assis sur un tas de privilèges.

D. Gravouil

En écho à la prise de parole de l’Afep, la très discrète Association des entreprises privées, qui rassemble 117 grands groupes de l’économie française. « Pénaliser l’activité des grandes entreprises [aurait] un impact sur l’ensemble de l’économie », avertit Nicolas Ragache, chef économiste de ce discret mais très puissant lobby.

L’ampleur de ce raout patronal risque d’être bien moindre que le précédent de 1982, quand plus de 20 000 chefs d’entreprise s’étaient réunis au parc des expositions de Villepinte contre les politiques mises en place par François Mitterrand. « Cela témoigne du fait qu’ils ont perdu la bataille de la communication. Plus personne ne peut nier qu’ils sont assis sur un tas de privilèges », assène Denis Gravouil, secrétaire confédéral à la CGT.

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Surtout, pour les syndicats, l’annonce de cette mobilisation témoigne d’une « radicalisation » du Medef ces dernières années. « On a un vrai problème. On ne peut plus du tout négocier avec eux, observe Dominique Corona, numéro 2 de l’Unsa, un syndicat pourtant réformiste, ils ne sont que dans la défense d’intérêts de boutique, et ne prennent plus du tout en considération l’intérêt général. » Dernier exemple en date : l’incapacité du Medef à faire le moindre compromis lors du conclave sur la réforme des retraites.

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« Les dirigeants du Medef proclament que seule “l’entreprise” peut résoudre les problèmes et que les entreprises contribuent au bien commun, sans concevoir une politique de compromis. La réaffirmation à Bercy, en petit comité ou en un “hénaurme” meeting, de leur fierté d’entreprendre ne leur vaudra pas plus un regain de faveur dans l’opinion publique, qui est acquise à la taxation, comme elle l’était aux 35 heures lors du dernier grand rassemblement patronal », souligne Michel Offerlé.

Une opinion publique qui défilera dans les rues ce jeudi 2 octobre à l’appel de l’ensemble des organisations syndicales. Dans les cortèges, comme le 18 septembre, les pancartes « Taxer les riches » fleuriront. Le meeting du 13 octobre n’y changera rien : pour le Medef, il est l’heure de passer à la caisse.

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