Après la chute de Bayrou, le mur Emmanuel Macron face au désordre de la gauche

Après le départ de François Bayrou, la Macronie échafaude de nombreux scénarios pour ne pas appeler la gauche à gouverner. Tandis que les anciennes forces du Nouveau Front populaire peinent à s’entendre avant même que la situation leur soit présentée.

Lucas Sarafian  • 9 septembre 2025 abonné·es
Après la chute de Bayrou, le mur Emmanuel Macron face au désordre de la gauche
Emmanuel Macron arrivant à la cérémonie d’Adieu aux armes du général d’armée Thierry Burkhard, à l’Hôtel national des Invalides, le 5 septembre 2025.
© Ludovic Marin / AFP

Une erreur, quelle erreur ? Le premier ministre François Bayrou vient pourtant de tomber lors d’un vote de confiance qu’il avait lui-même sollicité ce 8 septembre. Le centriste de 74 ans, allié historique d’Emmanuel Macron, achève un bail de neuf mois. Sans gloire. Il n’a pas réussi à faire accepter son plan austéritaire de 43,8 milliards dans le pays, sa cote de popularité a chuté à vitesse grand V, et le fragile « socle commun » qui le soutenait s’est effrité.

Bayrou assume-t-il ce bilan ? Pas vraiment. « Ce que dit le moment que nous vivons, c’est qu’il y a un chemin, et c’est le seul pour la France : celui de la vérité et du courage que l’on choisit ensemble », lance-t-il à la tribune lors de son discours de politique générale.

ZOOM : Après Bayrou, la gauche face à ses fractures

Après Bayrou, la gauche face à ses fractures Le départ de François Bayrou a révélé la fragilité de ce qu’il reste du bloc central. Emmanuel Macron, fidèle à sa méthode, cherche encore à repousser l’horizon d’une cohabitation que les équilibres parlementaires rendent légitimes. Mais cette fragilité du pouvoir ne profite pas à la gauche, trop occupée à se débattre dans ses divisions. À l’orée de la Fête de l’Humanité – Fabien Roussel est l’invité de notre dossier de cette semaine –, la gauche avait l’occasion de donner à voir une force recomposée, capable de parler d’une seule voix.

L’image projetée reste celle d’un attelage fragile, où chaque formation martèle sa différence plus qu’elle ne recherche le point commun. Le Nouveau Front populaire demeure une addition de sensibilités plus qu’un projet partagé. Jean-Luc Mélenchon, fidèle à sa stratégie de démarcation, semble acter l’idée des « gauches irréconciliables ». En promettant de censurer tout gouvernement, même exclusivement composé de socialistes, d’écologistes et de communistes, il érige le conflit en méthode. Là où d’autres cherchent le compromis pour reprendre l’initiative parlementaire, le leader insoumis fait le pari de l’intransigeance. Face à cela, Emmanuel Macron exploite les contradictions de ses adversaires. En tenant l’exécutif à distance des turbulences immédiates, il gagne du temps.

En occupant encore le centre, il espère incarner la stabilité et laisser à la gauche la responsabilité de son impuissance. Mais l’équilibre est de plus en plus précaire : une Assemblée intraitable, une opinion en quête de cap, et un président affaibli par l’absence d’alliés solides. Pour la gauche, l’urgence est double : redonner une perspective aux classes populaires, tentées par l’abstention ou l’extrême droite, et incarner une alternative crédible. Tant que l’union restera incantatoire et que les querelles d’ego primeront sur l’écriture d’un projet commun, elle laissera au pouvoir le privilège de durer par défaut.

La Fête de l’Humanité aurait pu être un tremplin. Elle risque d’apparaître comme le miroir d’une impuissance : beaucoup de monde, beaucoup de discours, mais peu d’élan collectif. L’histoire de la gauche reste pourtant jalonnée de sursauts inattendus. Encore faudrait-il que ses dirigeants comprennent qu’on ne bâtit pas une alternance sur des anathèmes, mais sur une vision partagée.

Pierre Jacquemain

Dans un communiqué de six lignes publié trente minutes après le discours, l’Élysée indique qu’Emmanuel Macron « prend acte » du résultat des votes et « nommera un nouveau premier ministre dans les tout prochains jours ». Le choix rapide d’un nouveau locataire à Matignon permettrait de faire redescendre la pression d’une colère qui gronde dans le pays à travers les mobilisations du 10 et du 18 septembre. Il permettrait également d’écarter, au moins pour un temps, l’hypothèse d’une dissolution réclamée à cor et à cri par Marine Le Pen et le Rassemblement national (RN). Manœuvre insidieuse.

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Emmanuel Macron devra donc nommer son cinquième premier ministre en trois ans. Une crise, quelle crise ? En Macronie, la remise en question n’est pas vraiment une habitude. « Quand Bayrou tombera, il restera trois solutions : soit la dissolution, soit la nomination de quelqu’un de son camp en espérant qu’il puisse assurer de la stabilité jusqu’en 2027, soit il renvoie la balle vers la gauche », expose un dirigeant du Parti socialiste (PS). Mais en réalité, pas grand monde ne se fait d’illusion concernant ce dernier scénario.

Comment imaginer les macronistes vouloir soudainement ce qu’ils ont toujours rejeté ? Pourquoi Emmanuel Macron se déciderait-il à nommer cette gauche qui l’accuse d’être le « président des riches », qui hait sa réforme des retraites et toute la politique de l’offre qu’il prône depuis 2017 ?

« Une personnalité neutre »

Peu après le discours de politique générale de François Bayrou, Gabriel Attal, ancien premier ministre et secrétaire général de Renaissance, imagine un scénario : la nomination d’une sorte de négociateur, un médiateur à la « personnalité neutre » capable de mener des négociations pendant plusieurs semaines entre tous les groupes politiques sans exception afin de s’entendre sur un pacte politique minimum autour de trois ou quatre sujets. Avant la nomination officielle d’un premier ministre.

Qui pourrait occuper cette fonction ? Olivia Grégoire, ministre macroniste ayant exercé différents postes au sein du gouvernement entre 2020 et 2024, égraine trois noms : le président du Cese Thierry Beaudet, l’ancien secrétaire général à l’Élysée sous François Hollande et ex-directeur de cabinet de Jean Castex à Matignon Nicolas Revel, actuel directeur des hôpitaux de Paris (APHP) ou encore l’ancienne première ministre et ministre de l’Éducation nationale désormais démissionnaire Élisabeth Borne. « On ne peut pas patauger pendant trois mois », poursuit-elle.

On ne peut pas patauger pendant trois mois.

O. Grégoire

À l’Assemblée, on s’interroge très franchement sur la volonté d’Emmanuel Macron à nommer quelqu’un qui n’est pas issu de son propre camp. Il pourrait alors se précipiter sur Sébastien Lecornu. Après tout, son nom circule à chaque remaniement gouvernemental. Avant que François Bayrou soit finalement choisi en décembre dernier, Emmanuel Macron privilégiait ce ministre qui le suit depuis 2017, en tant que secrétaire d’État auprès des ministres de la Transition écologique Nicolas Hulot puis François de Rugy, ministre chargé des Collectivités territoriales, des Outremers puis, enfin, des Armées.

Selon L’Opinion, il préparerait déjà son cabinet. D’autres noms circulent depuis des jours. Parmi eux, Catherine Vautrin, Gérald Darmanin ou Éric Lombard. Leur point commun : tous appartiennent au dernier gouvernement. Le dernier, ami du patron des roses Olivier Faure, serait un maigre signe d’ouverture à gauche. Et pourquoi pas Yaël Braun-Pivet ? Le président a d’ailleurs échangé le matin du 8 avec la présidente de l’Assemblée.

Lorsque Michel Barnier était premier ministre, Marc Fesneau, le président du groupe Modem à l’Assemblée, avait plaidé auprès du chef du gouvernement pour un contrat entre parlementaires, une forme d’accord entre groupes pour mettre à l’ordre du jour les textes législatifs qui pourraient avoir un consensus au Parlement.

« Cette question est plus que jamais d’actualité, dit-il aujourd’hui. Mais il y a les artisans du chaos, ceux qui pensent que ça ira mieux quand on aura mis la pagaille dans l’ensemble du pays, que bloquer les entreprises et l’activité va permettre au pays de sortir de la crise. Nous ne serons jamais de ce côté-là. » « Il faut que tout le monde se mette autour de la table. Il faut que le quoi préfigure du qui », affirme-t-on dans l’entourage de Gabriel Attal.

Un appel à une éternelle « coalition de compromis », une « entente des modérés », un « pacte des raisonnables » ? Depuis qu’Emmanuel Macron est en situation de majorité relative à l’Assemblée, les expressions de ce type ont fleuri mais aucun macroniste n’est arrivé à élargir ce fameux bloc central.

Le PS s’y voit déjà

Constatant la panne macroniste, les socialistes jouent leur carte à fond depuis quelques jours. Olivier Faure et les siens rêvent de Matignon et d’un gouvernement de gauche dirigé par un premier ministre qui refuserait d’utiliser le 49.3.

« Nous savons qu’il n’y a pas, dans l’hémicycle, de majorité. Encore qu’il en existe une dans le pays, la majorité des vies difficiles, cette majorité des Français qui attendent et espèrent le changement, estime Boris Vallaud, président des députés socialistes. Et dans l’hémicycle, une majorité d’entre nous ont été élus dans l’élan du front républicain avec la promesse de faire face à l’extrême droite. C’est la raison pour laquelle nous proposons un autre chemin politique. »

Olivier Faure, premier ministre ? « Il est en train de passer un cap, on voit que ça se resserre sur lui, il apparaît comme fédérateur dans la période sans avoir forcé les choses, assure Luc Broussy, président du conseil national du PS. Ça se joue entre Faure d’un côté et un macroniste de l’autre. » Les échanges entre l’Élysée et les roses existent. « Mais si quelque chose se débloque, ce sera entre les deux, Emmanuel Macron et Olivier Faure. Ils ont leur canal de communication à eux », garantit Broussy.

Si quelque chose se débloque, ce sera entre Emmanuel Macron et Olivier Faure. Ils ont leur canal de communication à eux.

L. Broussy

Marine Tondelier, la patronne des Écologistes, espère qu’Emmanuel Macron invitera tous les chefs des partis de gauche à l’Élysée avant de trancher sur un nom pour Matignon. « Le président de la République a plein de noms à sa disposition. Et désormais, il n’a pas le choix que de nommer quelqu’un issu du Nouveau Front populaire (NFP) », assure-t-elle.

Le 4 septembre, la première du parti au tournesol a convié toutes les composantes du NFP à une réunion centrée autour du budget. Seuls les insoumis ne sont pas venus. Mais les socialistes, les communistes, les Verts et l’agrégat d’unitaires des ex-insoumis Clémentine Autain, Raquel Garrido, Alexis Corbière et François Ruffin se sont entendus pour se revoir dans les prochains jours. Le début d’une entente ? Encore faut-il accorder ses violons.

En apparence, socialistes, écolos et communistes plaident pour un gouvernement de gauche. En privé, Fabien Roussel l’assure : les échanges entre Olivier Faure, Marine Tondelier et lui sont très fluides. Mais les lignes divergent quelque peu : les roses ne veulent pas d’insoumis dans leur exécutif, les communistes préfèrent éviter le sujet en misant sur le programme plutôt que sur le casting et les écolos veulent respecter le périmètre du NFP.

Sur le même sujet : Fabien Roussel : « Le temps est venu de la cohabitation »

Pour ces derniers, plus unitaires que jamais, c’est en faisant bloc que la gauche pourrait être nommée à Matignon. Et qu’importent les divergences idéologiques et stratégiques. « Je passerai ma vie politique à pousser pour qu’il y ait un gouvernement de gauche, estime l’écoféministe Sandrine Rousseau. Oui, il y a des différences de lignes entre nous. Mais avoir des différences de lignes, ce n’est pas pareil que l’extrême droite au pouvoir. »

Jean-Luc Mélenchon et les siens ne sont pas du tout sur la même stratégie. Eux ne veulent pas s’embêter sur les contours d’un gouvernement de cohabitation. Pour les insoumis, pas question non plus de donner un chèque en blanc à un premier ministre socialiste. Leur seul objectif : destituer Emmanuel Macron. « Le poisson pourrit par la tête », disent-ils à l’envie. Pour prendre le président de court, le dépôt de leur motion de destitution a été avancé au 9 septembre. Manière d’accentuer la pression sur le locataire de l’Élysée et de tracer une ligne différente au sein du bloc de gauche.

Une brèche stratégique est là. Emmanuel Macron pourrait l’identifier : nommer un premier ministre de gauche pour diviser le bloc arrivé en tête lors des législatives de l’année dernière en cas de nouvelle dissolution. Et une fois encore, la gauche serait au pied du mur.

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