« Bloquons tout » : à la colère sociale, le RN préfère l’ordre et les urnes
Au lieu de soutenir les colères du mouvement du 10 septembre, Marine Le Pen et Jordan Bardella ont préféré dénigrer le chaos. La stratégie de la respectabilité continue.

© Vanina Delmas
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Lecornu : la rupture… vers l’extrême droite « Le RN reste un parti hostile à tout mouvement social » Marine Le Pen, la démocratie confisquéeUne mobilisation, quelle mobilisation ? Face à « Bloquons tout », Marine Le Pen, Jordan Bardella et tout le Rassemblement national (RN) ont fait la politique de l’autruche. Le jour de la mobilisation, la triple candidate à la présidentielle a simplement dénoncé sur X un acte de vandalisme sur une église en Bretagne. Et pendant de longues heures, le silence.
À la fin de la journée du 10 septembre, les deux têtes de l’extrême droite ont accordé leurs violons. « Partout où l’extrême gauche passe, l’ordre public trépasse. Le mouvement “On bloque tout”, récupéré par Mélenchon, en est aujourd’hui l’illustration. La France a urgemment besoin d’ordre et d’alternance », selon Bardella. « Comme il fallait hélas s’y attendre, la confiscation et la récupération par LFI du mouvement de protestation contre la politique macroniste ont une fois encore débouché sur des scènes de dégradation et de violence contre les forces de l’ordre, d’après Le Pen. La sortie de crise se fera par les urnes et non par cette stratégie de l’insurrection permanente et de la légitimation du chaos qui sont les seuls mots d’ordre de l’extrême gauche. »
« Le Rassemblement national n’a jamais défendu le peuple »
Alors que les insoumis et, dans une moindre mesure, le reste de la gauche ont soutenu la mobilisation, les marinistes préfèrent camper le parti de l’ordre. À la fin du mois d’août, la vice-présidente du RN Edwige Diaz affirmait à l’AFP que le parti à la flamme n’avait « pas vocation à être l’instigateur ni l’organisateur de manifestations ».
Lors du mouvement pour la réforme des retraites, ils n’étaient pas là.
A. Belouassa Cherifi
« Le Rassemblement national n’a jamais défendu le peuple. Je ne vois pas pourquoi il commencerait à le faire aujourd’hui. Il ne le défendra jamais, lâche la députée insoumise Anaïs Belouassa Cherifi. C’est la conduite qu’ils ont depuis plusieurs années. Lors du mouvement pour la réforme des retraites, ils n’étaient pas là. » Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l’université de Lille l’analyse : « Ils sont sur une stratégie de respectabilisation, donc il n’est pas question, pour eux, d’être associés au chaos. Ils ont leur capital politique, un électorat fidèle, et un discours de plus en plus tourné vers la France qui travaille en critiquant l’assistanat. En termes de communication, c’est cohérent. »
Le RN a peut-être identifié très vite qu’il n’avait rien à gagner en se mêlant à ce mouvement plutôt investi par des militants et sympathisants de gauche. Selon une étude de la Fondation Jean-Jaurès parue le 1er septembre et dirigée par Antoine Bristielle, directeur de l’observatoire de l’opinion de ce think tank, ce mouvement, « loin d’être un mouvement transpartisan ou un espace de convergence des colères », serait « structuré par les sympathisants de la gauche radicale ». Sur les répondants au questionnaire, près de 69 % des participants ont déclaré avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle de 2022 alors que Marine Le Pen n’aurait recueilli que 3 % des suffrages au sein des groupes.
Le 7 septembre, lors de la rentrée parlementaire de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), la triple candidate à la présidentielle a parlé crise démocratique, de critique budgétaire, de ce « système » responsable de la situation… Mais pas un mot sur « Bloquons tout ». Et pourtant, selon un sondage commandé par Le HuffPost à Yougov, les électeurs du RN sondés ont déclaré cautionner à 61 % le mouvement.
Équilibre précaire
Pour ne pas se couper de sa base, les marinistes ont tenté de maintenir un équilibre précaire, entre compréhension des raisons de la rage nationale et accusation de « l’extrême gauche » de vouloir saborder le mouvement. Invité sur France 2 le matin du 10 septembre, le vice-président du RN Sébastien Chenu a déclaré : « J’entends que des Français aient envie d’exprimer leur mécontentement. Je l’entends, je le comprends et je peux même soutenir certains messages sans aucun problème (…). Ce qui m’inquiète, ce sont les tentatives de récupération totalement grotesque et grossière de l’extrême gauche. »
Au moment des gilets jaunes, personne ne pouvait croire que le RN pouvait gagner électoralement. Mais aujourd’hui, ça a bien changé.
R. Lefebvre
Pour les marinistes, la lutte est ailleurs. « Au moment des gilets jaunes, personne ne pouvait croire que le RN pouvait gagner électoralement. Mais aujourd’hui, ça a bien changé. Donc le discours que tient Marine Le Pen et Jordan Bardella, c’est : “N’allez pas dans la rue, on va gagner dans les urnes, on est proches de la victoire”. Et à la différence des personnes qui se sont mobilisées dans “Bloquons tout”, leur électorat croit massivement au vote et à la victoire de l’extrême droite dans les urnes », affirme Rémi Lefebvre. À la fin de son discours de rentrée, Marine Le Pen l’a rappelé : « Il y a trois ans, nous étions 6 députés. Il y a deux ans, 89. Aujourd’hui, nous sommes 140. » Le message est clair : la marée électorale monte inéluctablement.
Avec l’accélération du calendrier politique, la pression de l’électorat mariniste se fait de plus en plus pressante. Si le RN ne semblait pas en phase avec le soutien aux mobilisations sociales, il pourrait très vite accélérer la chute du nouveau premier ministre dont ses électeurs ne veulent pas. Depuis sa nomination, les élus RN – à commencer par les deux premiers d’entre eux – n’ont que le mot dissolution à la bouche. Jusqu’à censurer à la première occasion ?
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