« Loin de garantir la paix, l’arme atomique n’empêche ni les guerres ni les attentats »
Philippe Gardelle milite contre le nucléaire depuis plus de 40 ans. Comme chaque année, il a participé aux commémorations des bombardements atomiques états-uniens sur Hiroshima et Nagasaki.
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Philippe Gardelle milite contre le nucléaire depuis plus de 40 ans. Comme chaque année, il a participé aux commémorations des bombardements atomiques états-uniens sur Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945. Mais l’événement ne s’est pas passé comme espéré, témoignant de la difficulté à sensibiliser sur la question du nucléaire, notamment militaire.
Les 6 et 9 août derniers, le groupe local Sortir du nucléaire-Touraine avait décidé, comme depuis plusieurs années déjà, de commémorer les bombardements sur Hiroshima et Nagasaki, à Tours, en Indre-et-Loire. Passé le cap obligatoire de la demande d’autorisation, nous avons donc installé tonnelle, tables et matériel sur une grande place près d’un endroit passant. Un choix qui va se révéler piégeux. En effet, ces deux jours furent caniculaires, le soleil tapait dur, la chaleur était torride et l’ombre rare.
Si, le 6 août, nous vîmes arriver avec satisfaction des sympathisant·es, des curieux·ses et surtout la presse, le 9, ce fut une autre histoire. Une presse inexistante, peu de monde sous la tonnelle et surtout des gens méprisants : « Vous êtes naïfs », « Je suis pour, au moins on est protégés ». Le genre de déclarations qui fait oublier les personnes bienveillantes, même s’il y en eut, heureusement.
Essuyer de tels sarcasmes (…), je ne le veux et ne le peux plus.
Mais le summum fut atteint lorsqu’une dame me dit, après que j’eus expliqué que nous étions là pour commémorer les 80 ans de ces ignobles bombardements : « Bon anniversaire ! » Puis un monsieur à qui je rappelais – puisque, pour lui, les bombes étaient nécessaires – les 250 000 victimes japonaises me dit : « Ah toujours le même argument, de toute façon il y a trop de monde sur Terre. » C’en était trop ! J’ai arrêté le tractage et nous avons rangé le matériel deux heures avant la fin.
Alors aujourd’hui, j’en ai assez. Essuyer de tels sarcasmes, des propos à la limite de l’insulte alors que nous sommes des personnes pacifistes qui honorons la mémoire de victimes innocentes, je ne le veux et ne le peux plus. Je reste profondément antinucléaire, antimilitariste, anti-armes de toutes sortes, atomiques ou pas, pour la paix, formidable utopie, et je participerai aussi à la 81e commémoration et aux suivantes tant que je tiendrai sur mes jambes.
Mais il faut que les choses changent ! Il n’est pas normal que la majorité ou presque des Français·es aient en tête ce discours stupide qui prétend que, grâce à la bombe, la France ne sera pas attaquée : mais par qui le serait-elle ? Est-ce que l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce, la Belgique, la Suisse le risquent ?
Posséder l’arme ultime peut encourager les va-t-en-guerre !
La France a fait exploser plus de 200 bombes atomiques (et non pratiqué des essais, comme le prétend le lobby nucléaire pour rendre ces bombardements nécessaires et acceptables) en Algérie puis en Polynésie. Elle a ainsi rendu ces territoires inhabitables en théorie et, surtout, a contaminé des milliers de personnes innocentes. Elle refuse de considérer ces explosions comme des crimes. Refuse aussi de ratifier le traité d’interdiction des armes nucléaires, évidemment, comme les neuf pays possesseurs de cette arme de destruction massive.
Loin de garantir la paix, l’arme atomique n’empêche ni les guerres ni les attentats. Au contraire, les conflits ensanglantent les continents et jamais la menace atomique n’a été si présente, avec Poutine, Trump ou Kim Jong-un, sans parler des dirigeants iraniens. Il ne faut pas non plus oublier que M. Netanyahou peut décider d’employer l’un des 90 missiles nucléaires présents sur le territoire d’Israël. Et avoir en tête que la Russie est depuis deux ans l’agresseur de l’Ukraine : posséder l’arme ultime peut encourager les va-t-en-guerre !
Ce sont les discours officiels qui engendrent les sarcasmes, l’intolérance, cette non-acceptation de l’évidence que l’arme atomique ne sert à rien, que les dépenses liées à la maintenance des bombes sont énormes et devraient être stoppées, que les nucléaires civil et militaire sont étroitement liés. La centrale nucléaire de Civaux, dans la Vienne, va fabriquer du tritium pour la maintenance des bombes, et le plutonium est issu du retraitement des déchets radioactifs des réacteurs des dix-huit centrales nucléaires françaises.
Je crains qu’aucune action ne fasse bouger les mentalités, que les gouvernements continueront leur fuite en avant.
Comment faire pour que les choses changent ? Malheureusement, je n’en sais rien. Cela fait plus de quarante ans que je suis militant, et je crains qu’aucune action ne fasse bouger les mentalités, que les gouvernements continueront leur fuite en avant. Faudra-t-il qu’une bombe atomique explose sur une ville, que des milliers de gens meurent ou soient contaminés ? Je ne suis même pas sûr que cela servirait la cause des pacifistes… Tout comme les accidents de Tchernobyl et de Fukushima n’ont pas arrêté l’exploitation des réacteurs nucléaires. Il m’est impossible de rester muet, sans réaction. Il en est de ce combat comme de tous ceux qui nous animent. Il nous fait pester contre la bêtise et l’intolérance, mais il nous use.
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