« Stups » : petites mains menottées
Alice Odiot et Jean-Robert Viallet filment les passages au tribunal judiciaire de Marseille des prolétaires du trafic de drogues.
dans l’hebdo N° 1882 Acheter ce numéro

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Stups / Alice Odiot et Jean-Robert Viallet / 1 h 26
« Il y aura toujours des gens comme moi ici, des rebeus, des gitans. On nous dit “si tu restes droit…”, mais c’est du mensonge tout ça. Si t’as été en prison, tu peux pas te racheter. Impossible. » Interpellé en possession de 61 grammes de cannabis et 15 grammes de cocaïne, un prévenu s’adresse en ces termes à un enquêteur social avant son audience.
Des moments de vérité comme celui-ci, Stups en propose des paquets, déballés au cours des comparutions de différentes petites mains du trafic de drogues à Marseille : les guetteurs souvent mineurs, les vendeurs, les « nourrices » et les conductrices… Après Des hommes en 2019, portant sur la prison des Baumettes, le duo de documentaristes Alice Odiot et Jean-Robert Viallet remonte la chaîne de l’industrie carcérale pour filmer le tribunal judiciaire de Marseille.
Points de vue
Le film se focalise sur les prolétaires du trafic de stupéfiants, ceux qui enchaînent les allers-retours en prison au profit de leurs patrons, qu’on ne verra jamais à l’écran. La narration construit un regard sociologique assez fin, qui n’élude pas le contexte social poussant les suspects dans l’illégalité. À ce titre, la condamnation à huit mois de prison ferme d’une femme dont la condition relève de la traite d’êtres humains apparaît comme l’injustice la plus flagrante.
À défaut de pouvoir suivre les prévenus dans leur vie quotidienne, on quitte parfois leur procès pour les retrouver dans leurs geôles glaciales, les yeux bouffis de fatigue. Alternant pour chaque séquence d’audience entre le juge, le suspect et quelquefois l’avocat, la caméra essaye différents points de vue pour capter au mieux les gestes et les expressions cruciales des personnes.
Ou plutôt des personnages, car les procès relèvent toujours de la mise en scène. Et, dans ce cadre, Stups révèle un paradoxe saisissant. Si les juges incarnent le rôle de l’accoucheur de vérité, leur jeu n’en multiplie pas moins les effets de manche, là où celui des prévenus qui jouent leur vie apparaît bien plus authentique, jusque dans leurs mensonges les plus grossiers. Ces moments de confrontation donnent une épaisseur au film, qui dépasse ainsi le simple constat des déterminismes sociaux.
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