Dans sa chute, Bayrou embrasse le RN

Austérité, xénophobie, renoncements écologiques et mise au pas de l’audiovisuel public : le programme économique et politique du Rassemblement national reprend les obsessions du « bloc central », en version aggravée. Ce que Bayrou a commencé, le RN promet de l’achever, avec brutalité.

Pierre Jacquemain  • 3 septembre 2025
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Dans sa chute, Bayrou embrasse le RN
François Bayrou à Matignon le 2 septembre 2025, avant d’accueillir les représentants des différents partis politiques pour une série de consultations.
© Thomas Samson / AFP

À première vue, tout oppose François Bayrou et Jordan Bardella. L’un est le représentant historique du centrisme, l’autre le visage juvénile d’une extrême droite décomplexée. Mais à mesure que se précise la trajectoire idéologique du Rassemblement national en campagne, un constat s’impose : le RN ne propose pas une rupture avec le modèle néolibéral dominant – il en propose le durcissement.

On l’a déjà écrit dans ces pages, le bayrouisme est un lepénisme. Mais voilà que tout s’accélère. Sur le plan budgétaire, les convergences sont désormais assumées. Le président du MoDem, François Bayrou, a récemment fixé à 44 milliards d’euros le montant des économies nécessaires pour « redresser » les finances publiques. Ce chiffre, loin d’être contesté par le RN, est validé par Jean-Philippe Tanguy, député RN et responsable du projet budgétaire du parti, qui y voit une base « réaliste ».

Plus encore, Jordan Bardella entend aller deux fois plus loin, évoquant un objectif de 100 milliards d’économies, sans jamais en livrer le détail complet – dans une vidéo de trois minutes et demie pour présenter son plan d’économie. Mais le peu que l’on découvre est éloquent : la purge budgétaire promise repose sur une violente compression des services publics, des coupes massives dans les politiques de solidarité, et la stigmatisation constante des plus fragiles. Le fameux « programme économique de gauche » du RN, comme le martèlent et le valident de nombreux éditorialistes depuis des mois !

Cette trajectoire ne se distingue pas radicalement de celle proposée par le « centre ».

Loin d’un prétendu « pragmatisme économique », c’est pourtant bien un projet de régression sociale d’ampleur, qui prolonge – et radicalise – les logiques déjà à l’œuvre sous Macron. Et plutôt que de s’attaquer à la fraude fiscale ou aux niches injustifiées, le RN fait de la fraude sociale une priorité, au prix d’un ciblage direct des plus modestes.

Le plus préoccupant est que cette trajectoire ne se distingue pas radicalement de celle proposée par le « centre ». Le MoDem, fidèle soutien du macronisme, a lui aussi validé la nécessité de coupes budgétaires sur les postes sociaux. Bayrou, en façade, s’inquiète du danger RN. En pratique, il en prépare le terrain.

Le même logiciel austéritaire, les mêmes cibles

Dans la courte vidéo publiée sur les réseaux sociaux, Jordan Bardella affirme vouloir réaliser 28 milliards d’euros d’économies en réduisant les aides sociales versées aux étrangers. Or, ce chiffre est largement exagéré et contredit par l’ensemble des rapports officiels disponibles. En réalité, les dépenses sociales spécifiquement allouées aux étrangers sont bien moindres.

Même Éric Woerth, ancien ministre des Comptes publics issu de la droite, l’a récemment reconnu en affirmant que « l’immigration a un coût zéro ». Parce que dans ses tableurs Excel, le RN oublie une ligne. S’il y a bien la ligne exagérée des dépenses sociales attribuées aux étrangers, il y a de l’autre, leur contribution à l’économie – qui manque à la feuille comptable du RN.

Pourtant, selon France Stratégie, l’impact net de l’immigration sur les finances publiques est proche de l’équilibre, et son effet sur la croissance est même légèrement positif – environ +0,5 point de PIB par an. Plusieurs études de l’OCDE confirment cette évaluation. En somme, loin de représenter un fardeau économique, l’immigration contribue de façon réelle à l’activité du pays. Mais la vérité économique importe peu ici : ce que le RN cherche, c’est un bouc émissaire politique, et un levier rhétorique pour justifier l’austérité.

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Cette logique de stigmatisation traverse l’ensemble de son programme budgétaire. À la base du programme du RN : l’obsession des étrangers. Pas un discours de Bardella sans promesse d’en finir avec les « privilèges » des immigrés.

Il ne s’agit pas seulement d’agiter un fantasme sécuritaire : l’objectif est de justifier la purge sociale au nom d’un prétendu redressement moral et budgétaire. Mais cette rhétorique a déjà été en partie digérée par le pouvoir en place. La réforme annoncée de l’Aide médicale d’État (AME), que le gouvernement entend restreindre par décret, confirmé ce mercredi 3 septembre par le premier ministre sur BFM, reprend purement et simplement les propositions du RN.

Renoncement écologique partagé, climatoscepticisme assumé

Sur l’écologie, même logique : là où Macron et ses alliés se sont contentés d’enterrer méthodiquement les ambitions affichées, le RN revendique l’abandon pur et simple de la transition écologique. Bardella promet de supprimer les subventions aux énergies renouvelables, qu’il considère coûteuses et inefficaces.

La rhétorique est connue : au nom de l’« efficacité économique », il s’agit d’éteindre tout effort de décarbonation, de recherche ou d’investissement dans les technologies propres. Mais cette posture va plus loin qu’un simple conservatisme énergétique. En s’attaquant à l’ADEME elle-même, l’agence de la transition écologique, que le RN souhaite supprimer, Bardella affiche un climatoscepticisme de gouvernement, assumé, organisé, et parfaitement en phase avec les intérêts de certains lobbys industriels.

Le refus du renouvelable n’est pas une erreur technique : c’est un choix idéologique, contre la science, contre l’intérêt général, contre l’urgence climatique. Face à cela, le centre recule, tergiverse, compose. Bayrou n’a jamais été à la pointe de ces combats, et le macronisme a systématiquement reporté ou vidé de leur substance les politiques écologiques. Là encore, le RN se contente d’en radicaliser les renoncements.

Ce rapprochement rhétorique avec l’extrême droite sert les intérêts clientélistes de Bayrou.

L’Union européenne sacrifiée

Les convergences inattendues entre François Bayrou et le Rassemblement national sur la contribution financière de la France à l’Union européenne révèlent là aussi un glissement inquiétant. Pour l’actuel premier ministre, Bruxelles serait « trop gourmande ». Et assume devant les quatre chaînes d’info en continue dimanche dernier : « Si on peut baisser la contribution de la France, il faut le faire », rappelant pourtant que la France contribue à hauteur de 27 milliards d’euros, et reçoit de l’Union européenne l’équivalent de 32 milliards d’euros.

Tandis que le RN renoue publiquement avec son euroscepticisme décomplexé, dénonçant régulièrement le coût et les dérives de l’Union, Bayrou, pourtant défenseur historique de l’idéal européen, adopte désormais un ton critique similaire, évoquant une contribution excessive de la France.

Ce rapprochement rhétorique, loin d’être anodin, sert les intérêts clientélistes d’un Bayrou soucieux de ne pas se couper d’un électorat de plus en plus méfiant vis-à-vis de Bruxelles. En adoptant une posture ambivalente, il affaiblit encore davantage la légitimité d’institutions européennes déjà perçues – souvent à juste titre – comme éloignées des préoccupations citoyennes.

Audiovisuel public : convergence autoritaire

Un autre champ de convergence mérite attention : l’audiovisuel public, que le gouvernement malmène et que le RN veut démanteler. La réforme menée par Rachida Dati, visant à fusionner France Télévisions, Radio France et l’INA, a ouvert une brèche. Jordan Bardella propose d’y enfoncer le mur : privatisation pure et simple de l’audiovisuel public, jugé « trop sectaire ».

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Derrière ce langage, une réalité politique : le RN entend remplacer l’audiovisuel public par les chaînes qui lui sont acquises – notamment celles du groupe Bolloré, dont l’agenda ultra-conservateur, réactionnaire et nationaliste épouse les contours du lepénisme contemporain. Dans un contexte de désinformation massive, de fake news virales, d’ingérences étrangères dans les médias français, une telle orientation constitue une menace directe pour la démocratie.

Ce que Bardella propose, c’est un paysage médiatique où la contradiction est supprimée, où les journalistes critiques sont muselés, où l’information devient un instrument idéologique au service du pouvoir.

Le même projet, une radicalité de plus

À mesure que se dessine le paysage politique issu de la crise démocratique française, une ligne de fond apparaît : le RN est moins une alternative qu’un aboutissement. Ce que le macronisme a amorcé, il promet de l’achever. Là où le pouvoir actuel opère par prudence, Bardella agit par brutalité. Là où le centre déplace les lignes, le RN les efface.

Austérité, xénophobie, renoncement écologique, mépris démocratique : ce ne sont pas des accidents du projet RN. Ce sont ses fondements. Et ils trouvent leur origine, souvent, dans les logiques du pouvoir actuel. Face à cette radicalisation, il ne suffit plus de dire que le RN est un « danger » tout en reprenant ses thèses. Il ne suffit plus de poser Bayrou en rempart, quand il ouvre la voie par ses compromis et ses renoncements.

L’alternative n’est pas entre un centre mou qui plie et une extrême droite qui frappe. Elle est ailleurs : dans la réinvention d’un projet démocratique, social et écologique qui rompe réellement avec le logiciel néolibéral. Car si l’on continue de traiter Bayrou comme un moindre mal, on finira par considérer Bardella comme un mal acceptable.

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