De la dette publique à la lutte contre la démocratie : une stratégie néolibérale
Pour les néolibéraux – qu’ils soient globalistes comme Emmanuel Macron ou nationalistes comme le RN –, la démocratie comme régime fondé sur le principe d’égalité doit être nécessairement limitée. Explications.
dans l’hebdo N° 1880 Acheter ce numéro

© Maxime Sirvins
La dette publique occupe une place centrale dans le jeu politique français et européen. Le premier niveau d’affrontement concerne la pertinence des dépenses sociales. Les médias mainstream, c’est-à-dire attachés à l’ordre économique dominant, présentent la dette comme l’effet de leur augmentation trop importante. Pour tenir ce discours, il faut supposer que ces dépenses sociales sont inutiles, voire néfastes pour la société. Si elles étaient considérées comme essentielles au vivre ensemble, elles ne seraient jamais trop importantes.
La détestation des dépenses sociales est le vieux fond de l’idéologie néolibérale.
La détestation des dépenses sociales est le vieux fond de l’idéologie néolibérale. Cette dernière estime qu’elles sont le seul résultat d’intérêts et d’appétits privés (et populaires) qui mine l’intérêt général, identifié à la liberté des entreprises. La pensée néolibérale a toujours estimé que la démocratie est un danger pour la liberté individuelle… des plus riches car elle permet qu’une majorité populaire puisse mettre en place une « discrimination économique à l’égard des plus riches » par une taxe Zucman, un impôt sur la fortune ou un taux progressif sur les revenus.
Ainsi, la démocratie comme régime fondé sur le principe d’égalité doit être nécessairement limitée, soit par la réduction du nombre d’élections, soit – comme c’est le cas dans l’Union européenne – en réduisant les compétences en matière économique des assemblées élues au suffrage universel. La connotation péjorative des dépenses sociales s’appuie sur l’absolutisme du primat de la liberté économique individuelle, c’est-à-dire l’absolutisme de la liberté des dominants.
État-providence pour les entreprises
C’est la raison pour laquelle Emmanuel Macron s’opposera toujours au vote démocratique si ce dernier s’attaque aux intérêts des riches et des grandes entreprises. Il ne sert à rien d’en faire une critique morale. C’est pure idéologie : les intérêts des plus riches sont l’intérêt général, qui est l’ordre harmonieux du capital et de la concurrence.
Mais les dépenses publiques ne sont pas seulement des dépenses sociales de solidarité. Une partie de ces dépenses sont destinées au soutien des entreprises dans le jeu de la concurrence internationale. C’est le deuxième niveau. Là encore, le néolibéralisme impose sa marque idéologique.
Loin de marquer un retrait de l’État et une privatisation généralisée, le néolibéralisme soutien l’État fort capable par le droit et la force publique de soutenir le capital et les grandes entreprises contre ses ennemis. En France, les aides aux entreprises ont plus que triplé entre 1999 et 2019, passant de 50 à 157 milliards d’euros. Ce montant représente presque un tiers des dépenses publiques et trois fois plus que le budget de l’Éducation nationale. C’est l’État-providence pour les entreprises (Welfare Corporate).
Pour les nationalistes néolibéraux comme Bardella ou Trump, ce sont les institutions internationales et européennes qui sont à combattre.
Enfin, le troisième niveau d’analyse de la dette publique pose la question de la souveraineté nationale en matière de politique budgétaire et monétaire. Si l’Union monétaire européenne a dépossédé en grande partie l’État de ses leviers monétaires et budgétaires, on voit bien qu’une réponse de gauche à la dette publique ne peut être seulement une renationalisation de ces deux grandes politiques économiques. En effet, en régime néolibéral, l’État est aussi néolibéral.
C’est la raison pour laquelle, concernant la dette, il n’y a aucune opposition de fond entre les néolibéraux globalistes autour d’Emmanuel Macron et les néolibéraux nationalistes du RN. Ces deux groupes politiques portent ensemble une critique de l’égalité, de la solidarité et de la démocratie. Pour les nationalistes néolibéraux comme Bardella ou Trump, ce sont les institutions internationales et européennes qui sont à combattre car elles menacent les élites nationales au nom d’une démocratie mondiale.
Pour les globalistes néolibéraux comme Emmanuel Macron ou Ursula von der Leyen, ce sont les revendications démocratiques nationales qu’il faut limiter car elles menacent les intérêts des élites internationales. La frontière entre les deux n’est qu’une question d’élites. Rien n’empêche sur le fond une alliance entre ces deux groupes néolibéraux pour lutter contre les dépenses sociales et réprimer tout mouvement social porté par de revendications démocratiques et égalitaires.
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