En s’attaquant à l’AME, François Bayrou tente de se sauver grâce au RN 

Le gouvernement travaille sur des projets de décrets réformant l’aide médicale d’État (AME). À quelques jours d’un vote de confiance qui s’annonce plus que défavorable pour le premier ministre, il tente de manoeuvrer en douce pour séduire l’extrême droite.

Lucas Sarafian  • 3 septembre 2025 abonné·es
En s’attaquant à l’AME, François Bayrou tente de se sauver grâce au RN 
François Bayrou lors d'une interview sur les chaînes d'information LCI, CNews, BFMTV et FranceInfo à l'Hôtel de Matignon à Paris, le 31 août 2025.
© Alain JOCARD / AFP

Une bombe politique. Alors que les jours de François Bayrou à l’hôtel de Matignon sont comptés, le premier ministre et son gouvernement ciblent l’aide médicale d’État (AME), ce panier de soins pour les étrangers sans-papiers qui gagnent moins de 10 000 euros par an. Une demande de la droite et de l’extrême droite qui souhaitent un durcissement des conditions d’accès à cette aide, voire même sa suppression. 

Dans la soirée du 2 septembre, l’Agence France Presse rend compte de l’existence de deux projets de décrets portés par les ministres Catherine Vautrin (Travail, Santé, Solidarités et Famille), Yannick Neuder (Santé et Accès aux soins), Éric Lombard (Économie) et Amélie de Montchalin (Budget). Dans le détail, le premier décret réduirait l’offre de soins couverts par cette aide. La balnéothérapie est notamment visée.

Ce texte élargirait également la liste des soins conditionnés à un délai d’ancienneté. Cela pourrait concerner les soins pour le traitement de l’obésité, des aides auditives ou encore la rééducation de la déambulation des personnes âgées. Enfin, ce décret reverrait les critères d’attribution du bénéficiaire : les ressources du demandeur, de son conjoint et des enfants mineurs seraient uniquement prises en compte. De ce fait, les enfants majeurs sortiraient du calcul. 

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Quant au second décret, il obligerait les demandeurs à fournir plus de pièces dans leurs dossiers, comme un extrait d’acte de naissance ou une copie du livret de famille. Des documents souvent inaccessibles pour de très nombreux étrangers ayant fui leur pays. « C’est une mesure de bon sens, avance François Bayrou, ce 3 septembre sur RMC. Lorsque vous demandez des efforts aux Français, il n’est pas possible que le sentiment qu’ils éprouvent soit : “Eux font des efforts et les étrangers n’y sont pas associés.” »

Le premier ministre reprend ainsi le constat d’un rapport d’information, publié le 9 juillet et dirigé par le sénateur centriste Vincent Delahaye. Le document considère notamment que l’AME a « un coût très élevé pour les dépenses publiques ».

Main tendue

Politiquement, la manœuvre a le mérite de la clarté. Le premier ministre sait qu’il tombera le 8 septembre, jour du vote de confiance qu’il a lui-même sollicité, s’il n’arrive pas à convaincre les oppositions. Et, pour éviter de faire des concessions à la gauche, François Bayrou tend la main au Rassemblement national (RN). « Ça peut être une stratégie, mais ce n’est pas ça qui va sauver le gouvernement », assure Joël Aviragnet, député socialiste et membre de la commission des Affaires sociales.

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Mais cette initiative risque même de faire trembler son propre camp. Car le Modem est plutôt favorable à la défense de l’AME. Le 6 novembre 2023 dans La Croix, 26 députés Modem signaient une tribune pour contester une potentielle suppression de l’AME durant les débats de la très brûlante loi immigration.

« C’est l’honneur de la France d’accueillir celles et ceux qui souffrent, et c’est l’honneur de tous les professionnels de santé de soigner les personnes en souffrance, peu important leurs origines, leurs opinions ou leurs religions », écrivaient-ils. François Bayrou vient-il de marquer un but contre son camp ? Le premier ministre à l’assise parlementaire la plus fragile de la Ve République vient-il de réussir l’exploit d’aggraver son cas ? 

Sur le fond, il faut considérer que l’AME est un enjeu de santé publique, ce sont des humains qui sont sur notre territoire.

A. Firmin Le Bodo

Agnès Firmin Le Bodo, ex-ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des professions de santé, éphémère ministre de la Santé et de la prévention, critique cette décision : « Le timing de cette décision ne surprend personne. C’est une main tendue vers le Rassemblement national et ceux qui, parmi les Républicains, veulent une réforme de l’AME. »

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Pour elle, l’initiative de l’exécutif pose  un problème de méthode et de fond : « Sur le fond, il faut considérer que l’AME est un enjeu de santé publique, ce sont des humains qui sont sur notre territoire et qu’il faut soigner. On peut demander des contrôles, on peut imaginer des demandes d’ententes préalable, mais il faut objectiver. Sur la forme, c’est aussi problématique. Un rapport à été commandé, il n’y a eu aucun débat sur le sujet. »

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L’ancienne ministre fait référence au rapport publié le 4 décembre 2023, commandé par Élisabeth Borne. Ce rapport dirigé par Claude Evin, ministre sous François Mitterrand, et Patrick Stefanini, conseiller de droite depuis les années 1990 et secrétaire général du ministère de l’Immigration sous Nicolas Sarkozy, considère que l’AME est un dispositif nécessaire « encadré sur le plan réglementaire, mis en oeuvre et contrôlé de manière professionnelle par les services de l’Assurance-maladie et qui ne génère pas de consommation de soins faisant apparaître des atypismes, abus ou fraudes structurelles ».

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Lors du compte-rendu du conseil des ministres ce 3 septembre, la porte-parole du gouvernement Sophie Primas défend cette décision : « Ce sont en fait deux décrets qui n’empêchent pas l’AME naturellement, qui ne font pas prendre de risque sanitaire ou qui ne sont pas inhumains vis-à-vis de certaines populations, mais qui évitent la fraude et restreignent un certain nombre de prestations médicales qui sont parfois un peu caricaturales. » 

« Manque d’humanité »

« Il peut y avoir des abus, des interventions qui ne se justifient pas. Oui, il faut traiter la fraude, il faut regarder, analyser et prendre des décisions en fonction. Mais cette décision est surtout symptomatique de la politique de ce gouvernement qui veut faire des économies à tous les niveaux tout en réduisant les recettes de l’État à la hache », analyse le socialiste Joël Aviragnet. Dans un communiqué, le groupe socialiste demande officiellement le retrait de ces décrets.

« En plus du manque d’humanité de ces décisions, il y a un risque que ces mesures suscitent davantage de dépenses ultérieures et de rendre insolvables des gens soignés de toute façon dans l’hôpital public qui ne reverra donc jamais ses factures honorées », selon un conseiller financier d’un groupe de gauche à l’Assemblée. François Bayrou troquerait-il sa survie politique contre la santé publique ? 

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