Extinction Rebellion : « On nous réprime alors qu’on est juste des personnes lambda »

Pour avoir participé à une action en 2023 qui visait à dénoncer l’implication de la BNP Paribas dans l’énergie fossile, plusieurs militant·es d’Extinction Rebellion passent en procès ce vendredi 12 septembre. Une procédure judiciaire qui s’inscrit dans une vague de répression toujours plus importante.

Caroline Baude  • 12 septembre 2025
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Extinction Rebellion : « On nous réprime alors qu’on est juste des personnes lambda »
La police française interpelle des membres d'Extinction Rebellion (XR) lors d'une manifestation devant les bureaux de la banque BNP Paribas, le 23 mai 2025.
© Leo VIGNAL / AFP

Lors d’une grande manifestation pour la Palestine, le 14 juin à Paris, Cha habille la statue de la place de la République d’une chasuble aux couleurs du drapeau palestinien, avec l’inscription « Free Gaza ». Au bout de plusieurs heures, une brigade habilitée à intervenir en hauteur interpelle les sept activistes d’Extinction Rebellion (XR) perchés. Ces derniers leur déclarent qu’ils « ne vont pas se rendre car considèrent n’avoir rien fait de mal ». À la première interpellation de l’un des sept, « on a vraiment cru qu’ils allaient le tuer », se rappelle Cha. « Ils ont dit plusieurs fois n’avoir aucun souci à nous balancer dans le vide si on ne coopérait pas. » Face à la menace, quatre capitulent.

Ils m’ont attrapée par le cou et tiré la tête en arrière.

Cha, elle, reste assise, « et ça, ils ont considéré que c’était de la rébellion ». Elle est menottée, sanglée, et « poussée d’un coup de pied dans le vide ». Cha raconte avec émotion : « Ils n’ont pas tendu la sangle pour maîtriser la descente et mon coccyx a heurté un rebord », ce qui l’aurait déplacé. Au pied de la Marianne, la violence ne s’arrête pas. Les forces de l’ordre veulent photographier Cha à son insu : « Je ne pouvais pas cacher mon visage avec mes mains donc j’ai essayé de me mettre en boule. Ils m’ont attrapée par le cou et tiré la tête en arrière. Je n’ai plus les souvenirs exacts mais d’autres m’ont raconté que j’ai perdu connaissance quelques minutes. »

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La militante assure avoir encore pris des coups devant le commissariat. À l’intérieur, elle est projetée contre les murs. En garde à vue, les premières heures, ni eau ni nourriture ne sont fournies aux activistes. La raison évoquée : « Il n’y avait plus de gobelets ». Après 48 heures de garde à vue, le maximum légal, les activistes sont déférés au tribunal. Le juge des libertés prolonge de 20 heures.

Pour rébellion, refus de prélèvement d’ADN et mise en danger d’autrui, Cha a écopé d’un contrôle judiciaire lui interdisant de manifester, de paraître sur la place de la République et d’être en contact avec ses coprévenus. Elle est aussi obligée de pointer au commissariat tous les quinze jours. À l’ouverture du procès, le 19 août, « même le procureur a admis que la mise en danger d’autrui n’était pas qualifiée ». Lors du délibéré, le 10 septembre, les sept militants sont relaxés pour nullité d’infraction.

Pressions judiciaires

Ce mois de septembre 2025, XR ne cumule pas moins de cinq procès. Le premier étant contre le groupe LVMH, pour avoir lancé de la peinture sur la façade de la Fondation Louis Vuitton en 2023. Léa, militante XR prévenue dans ce procès, explique le but de cette action : « Visibiliser l’optimisation fiscale du groupe ». De 2007 à 2017, le groupe a dépensé 863 millions d’euros pour la construction et le fonctionnement de la Fondation. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2018, ces coûts ont permis au groupe d’économiser 518 millions d’euros d’impôts.

Ce jour-là, le 1er mai 2023, aucune arrestation. Plus d’un an plus tard, quatre personnes sont brutalement réveillées à 6 heures du matin et perquisitionnées. Lors du procès, le 2 septembre 2025, Léa rapporte que « le procureur a avancé que cette perquisition était nécessaire, comme toutes, pour trouver des preuves qu’on était sur les lieux ». La militante constate une incohérence dans le dossier : les factures du nettoyage de la façade fournies par le groupe de Bernard Arnault datent « d’après la perquisition, soit un an après l’action, ça n’a aucun sens ».

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Après sa perquisition, Léa est emmenée en garde à vue, puis au tribunal. Elle aussi est placée sous contrôle judiciaire, lequel lui interdit notamment d’entrer en contact avec ses co-prévenus. « Ça fait partie des choses qui tuent les mouvements comme XR […] Le fait que des dizaines de militants ne puissent pas se voir, ça complique la mise en œuvre de nos actions. »

Entre la fin de la garde à vue et le déferrement, neuf heures se sont écoulées. Une zone de non-droit qui laisse espérer une semi-victoire pour ce procès. « Ce vice de procédure a été retenu. Toute la procédure est tombée depuis la fin de la garde à vue. Si le procureur veut nous poursuivre, il doit recommencer à nous convoquer, ce qu’il va sans doute faire. Mais ce n’est pas très grave, parce que le sujet est important et c’est toujours bien de pouvoir en parler. »

Enquêtes à l’envers

Mangoa fait partie des prévenus du prochain procès contre XR qui a lieu ce vendredi 12 septembre. Cette fois-ci c’est la BNP qui s’est portée partie civile. La banque réclame des dommages et intérêts d’une dizaine de milliers d’euros pour nettoyage. Les faits se sont déroulés début 2023 dans le cadre de l’initiative BanqueTropCrade, qui visait à dénoncer les importants financements de la BNP dans les énergies fossiles et les agios conséquents qu’elle prélève à ses clients les plus fragiles. L’action a été coordonnée dans toute la France, « une centaine de distributeurs ont été salis, par une pâte gluante et plusieurs stickers expliquant pourquoi la BNP est une banque sale ».

Ils ont décidé de ne plus nous lâcher et c’est une vraie tactique pour essayer de nous épuiser et nous faire peur.

Mangoa

« Les distributeurs ont pu être nettoyés, ils n’ont pas été cassés, il n’y a pas eu besoin de les remplacer. » Pourtant, Mangoa est poursuivie pour « dégradation avec deux circonstances aggravantes : masquée et en réunion », ce qui a justifié une perquisition à son domicile, comme pour ses camarades. « En GAV, ils m’ont montré une personne masquée qui me ressemble et qui pose un sticker. »

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Pour Mangoa, « les enquêteurs disent que c’est moi parce qu’une personne qui me ressemble portait soi-disant les mêmes lunettes que j’ai sur une de mes photos sur Facebook. L’écart entre les deux photos est de pratiquement 10 ans. Aussi, il s’avère que mon téléphone a borné près d’une des banques ou ielles m’ont identifiée. Il a borné deux ou trois heures avant l’action, je dînais dans un restaurant », affirme-t-elle.

Une répression qui s’accentue et invisibilise

Mangoa suit Extinction Rebellion France depuis le début, et « constate une vraie évolution de la criminalisation ». Selon elle, « au début c’était surtout de la lacrymogène, des nasses et contrôles d’identité avec peu de gardes à vue. Maintenant quoiqu’on fasse, les procédures sont longues : déferrement, procès. Ils ont décidé de ne plus nous lâcher et c’est une vraie tactique pour essayer de nous épuiser et nous faire peur. »

Pour la chercheuse spécialiste de la répression Vanessa Codaccioni, l’accumulation de procès est « une étape supérieure » dans la répression politique, « dans le sens où c’est plus visible et plus risqué ». Elle ajoute que cette pratique « s’inscrit dans d’autres formes de répression qui sont peut-être moins visibles, mais tout aussi préjudiciables pour le mouvement et pour la lutte. ». Telles que les arrestations, amendes ou empêchements de manifester.

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Le traitement médiatique influence également la lutte menée par XR. Mangoa a « l’impression qu’il y a une absence d’intérêt de ce qu’on vit » de la part de l’opinion publique. Elle trouve « disproportionné les mots employés par les médias ». Un traitement qui arrange bien les grands groupes, selon elle. « Au début, la tactique de Lafarge, Total, BNP était de ne rien dire, pour ne pas que les militants écologistes y voient l’opportunité d’une tribune – ce qui était notre but et l’est toujours. Aujourd’hui ils contre-attaquent, parce qu’on a moins cette portée médiatique qu’auparavant. »

Il y a le désir que les gens ne puissent pas s’identifier à nous.

Elle dénonce une parole qui « veut nous faire passer pour des personnes qui cassent pour rien, qui évoquent un imaginaire qui fait peur aux gens, alors qu’on est des personnes lambda ». Pour elle, « il y a le désir que les gens ne puissent pas s’identifier à nous ; parce que si c’est le cas, ça voudrait dire qu’eux aussi peuvent le faire et nous rejoindre ».

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