Festival : le Moulin de l’Hydre, les ailes du partage

Depuis quatre ans, Simon Falguières et sa compagnie Le K construisent de leurs mains une utopie théâtrale dans un moulin du XIXe siècle niché en plein bocage normand. La 4e édition de leur festival de l’Hydre, les 5 et 6 septembre, a été un tournant pour cette formidable aventure où l’art et la vie ne font qu’un.

Anaïs Heluin  • 11 septembre 2025 abonné·es
Festival : le Moulin de l’Hydre, les ailes du partage
© Christophe Raynaud de Lage

Parmi les raisons qui font affluer début septembre de nombreux visiteurs dans le village de Saint-Pierre d’Entremont (Orne), où vivent moins de 400 habitants, le Moulin de l’Hydre tient une bonne place. Depuis l’installation en 2021 de l’auteur, metteur en scène et comédien Simon Falguières et de cinq membres de sa compagnie Le K dans cette ancienne filature du XIXe siècle, on vient chaque année des alentours et de beaucoup plus loin pour suivre l’avancée des travaux.

On constate cette fois que, si le bâtiment principal n’est pas encore converti en théâtre – il faudra pour cela attendre 2028, selon les prévisions du groupe, dont l’utopie est très concrète et structurée –, la rénovation avance à une vitesse impressionnante. Tout en cultivant volontiers l’allure quichottesque de leur Moulin, Simon Falguières et ses complices, épaulés par de nombreux bénévoles, proposent ainsi une alternative très sérieuse à la décentralisation théâtrale telle qu’elle existe aujourd’hui.

Utopie rurale

Dans la démarche qui consiste à partager au maximum le lieu avec les habitants, le festival de l’Hydre est pour ce joyeux collectif un rendez-vous d’importance. Il s’agit d’affirmer l’ouverture du Moulin à toutes celles et ceux qu’attire cette aventure singulière. Au départ centré sur le travail de la compagnie Le K, le festival invite désormais de nombreux autres artistes. Sélectionnés par l’équipe du Moulin, ceux qui ont composé la 4édition du festival y ont présenté des spectacles très divers, mais tous en écho profond avec les valeurs de la maison.

Le premier soir, Hatice Özer a ouvert avec panache les festivités avec Koudour. Accompagnée de trois musiciens français de formation jazz et d’un chœur d’amateurs formé sur place, la comédienne fait de la scène un espace de rencontre entre des cultures éloignées, ce qui sied bien à l’utopie rurale de Simon Falguières. En s’appropriant à sa manière les musiques des mariages auxquels elle a assisté enfant au sein de la diaspora turque, Hatice Özer subvertit aussi les codes du théâtre occidental auquel elle a été formée au Théâtre national de Strasbourg. Le regard critique, bien que toujours tendre, qu’elle pose sur les traditions turques, en particulier lorsque la condition féminine est concernée, n’épargne pas le paysage artistique dans lequel elle évolue.

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Dans la relation très forte qu’elle établit avec le spectateur, faisant de celui-ci l’hôte dansant d’un mariage sans marié, cette jeune artiste exprime la nécessité de briser les frontières qui séparent habituellement la scène et la salle. La danse collective qu’elle suscite s’inspire des rituels soufis et des concerts de divas orientales. Elle se nourrit aussi de la transe rurale qu’elle a découverte chez Jean Giono auprès de Clara Hédouin, dont le Prélude de Pan se joue au Moulin le lendemain de Koudour. L’Hydre persévère avec bonheur dans la transe.

Tribulations

Dans cette adaptation de la nouvelle éponyme de Giono, à laquelle s’entrelacent des témoignages d’agriculteurs locaux récoltés par l’équipe, trois comédiens mènent le public à travers le bocage, le long du Noireau, pour dire des destins d’hommes et de femmes étroitement liés à la nature. Pris dans un tourbillon étrange, les protagonistes dont ils portent l’histoire résonnent avec le passé, dont le Moulin est un fier témoin.

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Il faut encore évoquer la venue de l’Orchestre du Nouveau Monde. Fondé il y a quelques années pour, lit-on sur son site internet, « donner du sens à la pratique musicale », cet ensemble militant pour la justice sociale et climatique a trouvé une demeure provisoire idéale entre les murs – ou plutôt dans le jardin, où soixante-cinq de ses musiciens ont campé – du vieux bâtiment en pleine cure de jouvence.

Louis de Villers, lui aussi habitant du Moulin, a offert avec l’inédit Vivre une autre immersion dans la terre et les mots de Giono, ceux de son réquisitoire anti-militariste écrit en 1934. Enfin, Simon Falguières a créé pour l’occasion un délicieux épisode de son Journal d’un autre, où il mime et narre ses tribulations utopiques et livre un ultime message d’espoir dans un contexte où celui-ci se fait rare.

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Théâtre
Temps de lecture : 4 minutes