Lutte contre les pesticides : « On a l’impression que tout est fait pour que ça traîne »
L’Anses et Santé Publique France ont publié une nouvelle étude sur les pesticides. Celle-ci ne s’intéresse pas aux liens avec les pathologies, pourtant primordial. Entretien avec Pierre-Michel Périnaud, président de l’association Alerte des médecins sur les pesticides.

PestiRiv, l’étude nationale sur l’exposition aux pesticides des riverains de zones viticoles, vient d’être publiée. Mais d’ici à ce que des mesures soient prises pour protéger la santé publique, il semble qu’il faille encore attendre.
C’est ce que pointe le docteur Pierre-Michel Périnaud, président de l’association Alerte des médecins sur les pesticides (AMLP). Depuis plus de dix ans, l’AMLP milite pour que des mesures de prévention soient prises pour restreindre l’usage des pesticides, tant pour les professionnels que pour leurs voisins.
L’étude PestiRiv était attendue et réclamée par vos associations. Qu’en retenez-vous ?
Pierre-Michel Perinaud : Le rapport avait pour but de vérifier s’il y avait une surexposition aux pesticides des riverains des zones viticoles, par quels types de substances et si la distance jouait un rôle. L’étude fait suite au cluster de cancers pédiatriques de Preignac, en Gironde, et d’interrogations que nous avions lancé, avec notre association, dès 2015. Il a fallu 9 ans pour dire que oui, il y a eu surimprégnation des riverains, alors qu’elle a déjà été mesurée dans d’autres pays, en Californie par exemple.
Plus précisément, PestiRiv rapporte une exposition aux pesticides et une contamination plus importante des riverains des cultures viticoles que des habitants plus éloignés, notamment des enfants. D’autres études le mentionnent déjà, mais, par exemple, en matière de fongicides (pesticides contre les champignons), on n’avait pas de données. L’étude cible aussi des pesticides pas spécifiquement utilisés pour la vigne : les pyréthrinoïdes, des insecticides large spectre diffusés sur les vignes et autres cultures font partie des substances pour lesquelles il y a un niveau de présomption fort avec les troubles du neurodéveloppement.
De plus, les mesures ont été faites dans l’air ambiant, ce qui a toujours été sous-estimé dans les autorisations de mise sur le marché des produits, et dans l’analyse du problème. Cette fois, on voit bien que c’est un facteur important pour les personnes les plus exposées.
L’étude prouve ensuite qu’il y a un effet de la distance, mais sans pouvoir définir un seuil où ça descend nettement. Ce qu’on sait, c’est qu’à 50 mètres vous en prenez plein la figure, et qu’on en retrouve jusqu’à 500 mètres. Par contre, cette étude n’a pas été conçue pour mettre en relation l’exposition à des pesticides et la survenue de maladie, mais complète le puzzle composé d’autres expertises. Ce qui est frustrant c’est qu’on nous dit qu’il faut faire d’autres études pour prouver qu’il y a bien un lien entre les contaminations et les maladies. On a l’impression que tout est fait pour que ça traîne.
L’étude épidémiologique Geopac montre un risque d’augmentation (de 5 à 10 %) des cas de leucémies de l’enfant lorsque la densité de vigne augmente de 10% dans un rayon d’un kilomètre.
Quels sont les risques pour la santé publique ?
L’étude épidémiologique Geopac, lancée à la suite du cluster de cancers pédiatriques à Preignac montre un risque d’augmentation (de 5 à 10 %) des cas de leucémies de l’enfant et de neuroblastomes (variété de tumeur) dès lors que la densité de vigne augmente de 10 % dans un rayon d’un kilomètre autour du domicile. Un lien est donc établi avec les maladies de l’enfant et PestiRiv rapporte que les enfants sont plus contaminés que les adultes.
Par exemple par des insecticides, de la famille des pyréthrinoïdes. Or, nous savons grâce aux expertises INSERM de 2013 et 2021, que l’exposition à ces pesticides est associée, avec un haut niveau de preuve, aux troubles du neurodéveloppement. Nous savons aussi que l’exposition aux cocktails de pesticides est en lien chez les professionnels avec une vingtaine de pathologies. Nous disposons aussi de données pour la population générale qui lient cette contamination par pesticides à certains cancers, à l’asthme et à des troubles neurologiques (Parkinson, troubles cognitifs).
Quelles solutions peuvent être mises en place ?
Quand nous avions rencontré le ministre de la Santé, nous avions demandé des mesures de précaution concernant les riverains, notamment la protection des écoles et des habitations. Dans certaines régions viticoles, un répertoire des écoles les plus proches de vignes a été identifié, et donc un nombre conséquent d’écoles « à protéger ». Nous avons suggéré de s’en préoccuper et de suivre les préconisations de certains maires : achats de terre autour des écoles ou contractualisation avec les viticulteurs pour passer en culture biologique sur le terrain concerné. Ça n’a pas été fait de façon très large.
Nous avions demandé des mesures de précaution concernant les riverains, notamment la protection des écoles et des habitations.
Quelle est la suite ?
Ce que l’on dit et nous ne sommes pas les seuls, c’est que le moment est venu de tirer des conclusions de cet ensemble d’études. Il y a une petite musique qui commence à monter, notamment jouée par le représentant de Phyteis (lobby des pesticides) : finalement ce ne serait pas très grave d’avoir toutes ces molécules, puisque les liens avec la santé ne sont pas prouvés et qu’on reste très en-dessous des valeurs toxicologiques de référence. Précisons qu’elles sont inexistantes et qu’il n’y a pas de réglementation des pesticides dans l’air, probablement la voie principale de contamination des riverains.
C’est irresponsable, puisque ce monsieur sait très bien que les effets cocktails de cet ensemble de molécules ne sont jamais évalués avant mise sur le marché, ni après d’ailleurs. Ces études n’existent pas car l’État se refuse à tordre le bras aux instances agricoles pour obtenir la déclaration de l’usage des pesticides à la parcelle. Pour l’instant, quand les épidémiologistes font des recherches, ils ont connaissance des cultures en vigne proches d’habitations, et supposent qu’il y a telle ou telle substance émise. Mais ils n’ont pas ces déclarations. En Californie, toutes ces données sont connues depuis plus de 40 ans !
Nous attendons deux choses de l’État. D’abord, qu’il oblige à cette déclaration à la parcelle, afin que les données entrent dans le débat public de l’information des riverains et des chercheurs. De plus, il faut dès maintenant accompagner une transition vers l’agriculture biologique, la seule façon de diminuer la contamination de la population.
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