Marine Le Pen, la démocratie confisquée

La cheffe de l’extrême droite profite de la crise politique actuelle pour se placer en bouclier des institutions. Pour que vive la démocratie, elle pose ses conditions : tout le pouvoir pour elle.

Pablo Pillaud-Vivien  • 12 septembre 2025
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Marine Le Pen, la démocratie confisquée
Marine Le Pen, à Hénin-Beaumont, le 7 septembre 2025.
© FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Dimanche dernier, à Hénin-Beaumont, Marine Le Pen s’est posée en incarnation de la démocratie. Son discours, long fleuve de plus de deux heures, pourrait se résumer en une promesse : elle, et son parti, seraient les gardiens de la « souveraineté populaire » et de la démocratie, là où Emmanuel Macron et ses alliés n’auraient fait que piétiner le suffrage universel et le peuple. Hier mis au ban, précisément pour leurs atteintes à la démocratie, les héritiers du lepénisme s’érigent désormais en gardiens des institutions et de la République. Mais de quelle démocratie parle Marine Le Pen ?

Le référendum alimente le mythe de l’expression directe d’un peuple homogène recouvrant du pouvoir face aux élites.

Semblant proche d’une revendication centrale des gilets jaunes – un référendum d’initiative citoyenne (RIC) –, le Rassemblement national (RN) met en haut de ses propositions celle du recours au référendum. Il en fait un équivalent de la démocratie. Sa conception reste verticale : le référendum reste à l’initiative du pouvoir et repose sur une conception plébiscitaire. Il alimente le mythe de l’expression directe d’un peuple homogène recouvrant du pouvoir face aux élites.

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Le Parlement, les partis d’opposition, la presse, la société civile organisée ? Tous sont réduits à des « petits jeux » ou à des « théâtres d’ombres » qu’il faut dépasser par cette expression directe et naturelle du peuple. Quand le suffrage universel est invoqué, il l’est comme un couperet : il ne s’agit plus d’une délibération collective suivie d’un choix, mais d’un mandat conférant à celui qui l’emporte une légitimité totale et exclusive.

Le Pen, c’est une démocratie sans contradictions, sans médiation, sans contre-pouvoirs.

Faisant revivre l’ancien slogan lepéniste d’UMPS, qui amalgamait les partis du système [l’UMP et le PS, N.D.L.R.], Marine Le Pen présente le front républicain comme une vaste opération des élites visant à priver le peuple de son choix, celui d’un gouvernement d’extrême droite. Elle s’indigne que des élus de gauche aient pu se désister pour faire battre ses candidats : elle n’y voit qu’une « trahison du peuple ». C’est donc par fidélité à ce vœu profond de voir le RN au pouvoir qu’elle attribue « aux Français », que Marine Le Pen se présente en ce début septembre. Elle se pare des vertus du combat pour la démocratie.

Rapport fusionnel

Elle en occulte une part essentielle, celle de la pluralité des idées. Elle ne conçoit la démocratie que comme un rapport immédiat et fusionnel entre son camp et « les Français ». C’est une démocratie sans contradictions, sans médiation, sans contre-pouvoirs. Les juges et les journalistes du service public sont systématiquement présentés comme les hauts agents de la confiscation de la volonté populaire. Sans le dire explicitement, elle s’identifie à la nuit qui tombe outre-Atlantique.

Marine Le Pen se présente en « avocate des intérêts de la France et des Français ». Son discours rejoue les obsessions classiques de l’extrême droite : l’immigration comme bouc émissaire, les dépenses sociales associées aux étrangers et aux profiteurs comme preuve de décadence, l’Union européenne comme machine à détruire la nation. Autant de « tabous » qu’elle se dit seule capable de briser, pour rétablir une « vraie démocratie ».

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En réalité, sa démocratie est profondément exclusive : elle définit le peuple non pas comme l’ensemble des citoyens, mais comme une communauté restreinte, ethnique et nationale. Ceux qui en sont exclus (étrangers, binationaux, minorités jugées « non intégrées ») sont à la fois absents et rendus responsables de tous les maux. C’est une démocratie contre une partie du peuple.

Face à elle, la gauche a un défi : redonner chair à une démocratie vivante, conflictuelle, sociale.

La leader d’extrême droite prospère sur le constat de l’épuisement des institutions de la Ve République, du spectacle d’un exécutif autoritaire et d’un Parlement réduit à l’impuissance, sur la confiscation des décisions politiques par une poignée de dirigeants, parfois émargeant dans les cabinets de conseils. Elle exploite la colère, l’exaspération devant une démocratie malade. Mais elle le fait en les détournant : elle remplace la question de la représentation (comment mieux associer les citoyens aux choix collectifs) par une logique de dépossession : il suffirait de la placer, elle, aux commandes.

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Le Pen a compris une chose essentielle : la démocratie n’est pas seulement une procédure, c’est une bataille culturelle sur son objet même. Qu’est-ce qui est démocratique ? Elle s’en empare et la détourne en plébiscite nationaliste. Face à elle, la gauche a un défi : redonner chair à une démocratie vivante, conflictuelle, sociale. Une démocratie qui ne se contente pas d’invoquer le peuple, mais qui lui restitue un pouvoir réel dans les entreprises, les quartiers, les institutions.

Il ne s’agit pas d’attendre un sauveur mais de reprendre collectivement l’initiative.

À l’opposé des promesses lepénistes, il ne s’agit pas d’attendre un sauveur mais de reprendre collectivement l’initiative : dans la rue, sur les lieux de travail, par la grève et la désobéissance. Là où Marine Le Pen réduit la démocratie à un dialogue entre elle et « le peuple », l’inventivité d’un mouvement comme « Bloquons tout » affirme une démocratie horizontale, conflictuelle, où le pouvoir ne se délègue pas mais se conquiert pacifiquement. Marine Le Pen parle au nom du peuple mais le prive de toute voix.

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