« Big Money », pour remettre les pendules à l’heure
Le pianiste et chanteur Jon Batiste revient aux origines noires des musiques populaires américaines.
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© Zite et Léo
Big Money / Jon Batiste / Verve – Interscope.
En février 2025, lors de la cérémonie des Grammy Awards, Beyoncé remportait le prix du meilleur album country. Détonation dans le monde de la musique, la nouvelle s’était ensuivie d’échanges virulents autour de la question des héritages raciaux des musiques américaines. D’un côté, l’initiative, accordant pour la première fois cette statuette à une artiste africaine-américaine, fut saluée ; de l’autre, elle fut dénoncée comme une entreprise niant l’ancrage de la country dans son passé blanc.
Pour Beyoncé, il s’agissait, avec l’excellent Cowboy Carter, de remettre les pendules à l’heure : non seulement les Noirs peuvent jouer ce qu’ils veulent, mais toutes les musiques populaires américaines, y compris celles catégorisées comme « blanches », s’inscrivent dans la continuité de leurs propres expérimentations.
En ouverture de Cowboy Carter, « American Requiem », coécrit par l’auteur-compositeur Jon Batiste. Coqueluche du moment, Batiste a longtemps assuré la direction musicale du « Late Show with Stephen Colbert » (talk-show politique culte bientôt annulé par sa chaîne, CBS) et composé la musique de la production Pixar Soul.
Pour Batiste, il est question de multiplier les approches pour partir aux origines des musiques populaires
Pianiste de talent, il avait d’ailleurs commenté sa collaboration avec Beyoncé comme une tentative d’en finir avec les barrières du genre. Un an plus tard, son album Big Money s’inscrit dans une même logique. Pour lui aussi, il est question de multiplier les approches pour partir aux origines des musiques populaires. Mais là où Beyoncé le faisait avec l’influence de productions R’n’B et hip-hop, lui propose un retour aux musiques acoustiques.
Épure sophistiquée
Album court de neuf titres, enregistré live en deux semaines, Big Money s’inscrit dans une tradition néo-orléanaise de l’épure sophistiquée – Batiste est, comme les Marsalis, l’héritier d’une famille locale de musiciens. En duo avec Andra Day, le titre d’ouverture impose sa montée en puissance, de ses débuts minimalistes à l’apparition de cuivres et de chants gospel. « Big Money », critique de l’appât du gain, et « Petrichor », manifeste écologiste, sont des blues sudistes entraînants, pleins de banjo. « Lonely Avenue », perle de l’album, est un duo avec Randy Newman, sous la forme d’un passage de générations.
Légèrement slamée et regardant vers la surf music, « Pinnacle » appartient à une bande originale de Tarantino, alors qu’« Angels » mêle rock and roll et reggae. Pétri d’influences maîtrisées, chaque titre est un voyage attachant qui, sans être révolutionnaire, séduit par son élégance.
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