À la prison de la Santé, plus d’un millier de détenus dans l’ombre d’un seul, Sarkozy
Le lundi 27 octobre 2025, les députés insoumis Ugo Bernalicis et Danièle Obono ont pu visiter la prison de la Santé pour échanger avec des détenus sur leur quotidien. Ces derniers racontent des cellules bondées, loin de la médiatisation autour de l’ex-chef de l’État.

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Entassés dans des containers, 50 détenus de Kanaky gagnent au tribunal Christian Tein : « Je pensais que l’époque des bagnards était révolue »Le quartier disciplinaire ou le « mitard » est le paroxysme de l’enfermement. À la prison de la Santé, dans le 14e arrondissement de Paris, une des portes s’ouvre et laisse entrevoir un jeune homme. Il est dans cette cellule depuis 27 jours. À 28 ans, c’est son quatrième séjour en prison. Son anniversaire, il l’a passé ici, coupé du monde. Pourtant, il ne se lamente pas sur son sort alors que les conditions sont extrêmement sommaires : un lit, une douche, un bureau et une radio.
Il explique s’être retrouvé ici pour avoir refusé de rentrer dans une chambre surpeuplée. « Je préfère être ici. On ne nous écoute pas, se plaint le jeune homme. Il y a des détenus avec qui je ne peux pas être, qui me font peur. » Il prend pour exemple l’affaire de Robin Cotta, 22 ans, égorgé par son codétenu le 9 octobre 2024 à la prison des Baumettes (Marseille), alors qu’il avait multiplié les alertes et demandé un changement de cellule.
Cette rencontre a été permise dans le cadre d’une visite parlementaire des députés de La France insoumise, Ugo Bernalicis et Danièle Obono. L’objectif, « visiter toute la prison et rencontrer des détenus », explique Ugo Bernalicis. Dehors, on ne parle que d’un seul nom, celui de Nicolas Sarkozy, incarcéré depuis mardi 21 octobre pour associations de malfaiteurs dans l’affaire libyenne. Mais dedans, ce sont plus de 1 300 personnes qui s’y entassent.
Surpopulation endémique
Couloirs, sas de sécurité, gardiens et caméras : la visite suit son cours en présence du directeur, André Varignon, en poste depuis septembre et de la chargée de communication de la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP), basée habituellement à Fresnes. L’état général de la prison est bon : elle a été rénovée en 2019. Danièle Obono prend la peine de rappeler que ce n’est pas le cas de la majorité des autres prisons.
À la santé, le taux d’occupation est de 188 % au moment de la visite alors que les détentions provisoires représentent 49 % de sa population. Au 1er septembre 2025, la surpopulation carcérale est de 134,7 % en France avec un quart de prévenus, selon les statistiques du ministère.
« Il n’y a pas assez de nourriture »
Le quartier bas, construit autour d’un poste de sécurité central d’où l’on peut surveiller tous les pavillons, se répartit en plusieurs allées. On y retrouve le quartier des arrivants, celui des personnes vulnérables pour les « personnalités et les cas particuliers » et le quartier « Respecto » où les détenus peuvent circuler avec moins d’entraves qu’ailleurs. À l’entrée du quartier des arrivants, un « auxi », détenu qui travaille au sein de la prison, remarque les députés.
La surpopulation est terrible, certains sont trois par cellules et dorment par terre.
En pleine distribution de repas, il se confie : « La surpopulation est terrible, certains sont trois par cellules et dorment par terre. Il y a des souris. » L’homme annonce un autre problème bien connu d’Ugo Bernalicis qui s’était déjà mobilisé sur le sujet. « Il n’y a pas assez de nourriture, il manquait 21 poissons aujourd’hui. » Le directeur, fraîchement arrivé, prend note.
Un peu plus tôt, ce dernier s’était entretenu avec les députés, sans la presse. À la sortie du bureau, Ugo Bernalicis avait expliqué que le quartier d’isolement, où est enfermé Nicolas Sarkozy, ne sera pas accessible aux journalistes et aux collaborateurs. Le directeur détaillera plus tard avoir reçu des « consignes pour des mesures de sécurité » venant d’une « instruction qui concerne la Santé depuis quelques jours ». Devant les journalistes, les élus n’ont jamais demandé à le voir explicitement.
« La douche change la vie »
Dans le quartier des arrivants, le surveillant montre un long couloir lumineux qui dessert une quinzaine de cellules. Ici, les détenus restent entre « quatre et quinze jours », le temps du « choc carcéral » et d’être « profilés » pour être placés au bon endroit. Une des cellules s’ouvre devant les visiteurs. Sur la table, du boulgour, des merguez et du café. Dedans, deux hommes de 28 et 39 ans. Ils sont tous les deux prévenus et n’ont donc pas encore été jugés. Alors que l’émission « Les 12 coups de midi » tourne en fond, ils expliquent que la douche, dans les cellules, « change la vie ». Dans la cellule de deux places, l’un des deux explique qu’il y a quelques jours, ils étaient trois.
Pour les médecins de l’annexe de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris aussi, la saturation de la prison n’apporte rien de bon. Dans cette aile médicale, il y a quasiment tout ce qu’il faut : cabinet dentaire, salle de radiologie et autres salles de consultations. On y croise des détenus en béquilles pendant que certains sont enfermés dans une salle d’attente d’où une forte odeur de cigarette s’échappe.
La surpopulation est un problème majeur.
Une psychiatre explique que « les troubles sont surreprésentés en prison » et que cette surpopulation aggrave les problèmes. « Chacun d’entre eux mérite une cellule seul. » Même son de cloche pour le chef de service de l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA). « La surpopulation est un problème majeur. »
« Il y a 439 personnes aujourd’hui pour 220 places »
Retour aux cellules avec le quartier des personnalités vulnérables. Les personnes détenues y vivent à l’écart pour être protégées, en raison de la nature des faits qui leur sont reprochés ou de leur exposition médiatique. La directrice de la communication décide d’ouvrir une cellule dans laquelle, là encore, les deux détenus sont prévenus. « On n’est pas mélangés aux autres, mais on essaie de faire le plus d’activités pour sortir de la cellule. » En plus de la double promenade quotidienne séparée, ces détenus ont accès à la bibliothèque, au gymnase, à des cours de piano et de yoga.
Il y a 439 prisonniers aujourd’hui pour 220 places.
La visite continue ensuite vers les « quartiers classiques » qui représentent la majorité de la population carcérale. La responsable du QH5, l’un des deux quartiers hauts, donne directement le ton. « Il y a 439 prisonniers aujourd’hui pour 220 places. La semaine dernière, c’était 450. Ce matin, on a 29 matelas au sol. » Pour gérer ce quartier, il y a seulement sept surveillants et surveillantes, pas assez selon la gradée au vu de la surpopulation.
« L’intimité, il faut l’oublier »
La densité saute aux yeux : cellules pour deux occupées par trois, matelas à même le sol. Au mur, des étagères débordent d’affaires. Des draps, noués en corde pour étendre du linge, traversent les cellules. L’une est habitée par trois hommes plutôt âgés. Devant un des lits, des cartes postales recouvrent le mur, certaines reçues à l’occasion d’un anniversaire. Le plus âgé des trois, 75 ans, explique en larmes sa situation à Ugo Bernalicis. Il y raconte sa détention en montrant ses maquettes en bois dont une encore en fabrication. Pendant ce temps, Danièle Obono écoute l’homme au sol qui n’a pas pu joindre sa famille au Sénégal depuis plus de trois mois.
L’autre cellule de trois choque tout autant. Ici, avec un matelas au sol, pas de place pour marcher. « On est obligé de passer la majorité du temps dans le lit. L’intimité, il faut l’oublier », raconte l’un d’eux en pantoufles à l’effigie d’Homer Simpson.
On est obligé de passer la majorité du temps dans le lit. L’intimité, il faut l’oublier
Les trois pères de famille racontent le prix « hallucinant » du téléphone. Sur une fiche, on apprend qu’une heure de communication vers un portable coûte 10 euros. L’un d’eux raconte aussi que son dernier parloir a été retardé de presque une heure, ce qui peut « créer des complications pour celles et ceux qui viennent de loin ». Ils suspectent que ce retard vienne de la présence de Nicolas Sarkozy. Tout au long de la visite, les détenus ont raconté le « blocage total » de la prison quand l’ancien président s’y déplace. Contacté, le ministère de la Justice n’a pas répondu à notre sollicitation pour vérifier cette information.
Ensuite, Ugo Bernalicis et Danièle Obono partent seuls visiter le quartier d’isolement. Ils expliquent avoir pu voir seulement une cellule vide, rien de plus. Ils ajoutent, malgré leur demande, n’avoir vu aucune directive écrite autorisant la présence des officiers armés du SDLP (service de la protection) accompagnant Nicolas Sarkozy. Une situation « inacceptable » pour le syndicat pénitentiaire UFAP UNSa Justice.
Tout au long de la visite, les parlementaires rappellent vouloir profiter de la médiatisation actuelle pour soulever les problèmes de l’enfermement. Dans les couloirs, un surveillant lâche : « C’est affreux. La gestion est difficile et on a peu de marge de manœuvre. Il y a trop de promiscuité quand il y a une personne au sol. Ils ne peuvent pas bouger. » À l’heure où un seul nom attire les caméras, la visite à la Santé rappelle surtout l’ordinaire de l’enfermement : promiscuité, isolement et fatigue des détenus et du personnel. Pour les élus, il reste maintenant à savoir si ce coup de projecteur débouchera sur des décisions concrètes.
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