À Rouen, l’académie refuse de scolariser des mineurs isolés et à la rue
Malgré un droit constitutionnel adoubé par la convention des droits de l’enfant, la scolarisation est une bataille au quotidien pour les jeunes exilés de la plus grande ville de Seine-Maritime. Depuis plusieurs mois, ils luttent face au refus de l’académie de les scolariser.

© Louis Witter
À la sortie du métro Saint-Sever à Rouen, ce mercredi 8 octobre, une cinquantaine de personnes se rassemblent sous un ciel gris. Sur le dos, quelques gilets floqués aux noms de syndicats, SUD Solidaires, Snuipp, FSU. Quelques étudiants aussi. Au mégaphone, béret sur la tête, un jeune garçon mène la foule : « Première, deuxième, troisième génération : nous sommes tous des enfants d’immigrés ! » Lui, c’est Lebon, un des membres fondateurs du CJMR, le collectif des jeunes mineurs isolés de Rouen.
Ce collectif a vu le jour le 2 mai 2025, porté par les jeunes eux-mêmes. Une lutte démarre alors aux pieds de la préfecture de Seine-Maritime pour demander une prise en charge. L’occupation du parvis est lancée. Trois jours plus tard, le collectif publie une lettre ouverte alarmante : « Nous voulons alerter sur nos situations, faire entendre nos voix et faire valoir nos droits. Nous sommes dehors, livrés à nous-mêmes, exposés aux dangers de la rue, à la faim, à la soif et au manque d’hygiène. Nous ne demandons pas la charité, nous voulons le respect de nos dignités et le droit à la protection des mineurs. »
Depuis ce jour, une vingtaine de mineurs se battent pour avoir accès à l’école, un droit pourtant consacré par la constitution française et la convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France en 1990. « Le problème de la lenteur du département, c’est que sans la reconnaissance de minorité, le rectorat refuse de nous affecter à des établissements scolaires », détaille Abdoulaye, 16 ans. À l’inverse d’autres départements en France, celui de Seine-Maritime indique ne pas pouvoir scolariser les élèves en attente de reconnaissance de minorité. En cause, l’absence de tuteur légal.
« Une sorte de mépris »
Pour Marie-Hélène, syndicaliste Sud Éducation 27 & 76 et participante aux délégations envoyées par le collectif, la situation est simplement lunaire : « Nous n’avons jamais été reçus directement par la rectrice malgré plusieurs demandes répétées. Une fois on nous a annoncé sa présence en visio, finalement c’était son secrétaire général et au bout de dix minutes, la visio a planté. Tout ça dénote d’une certaine forme de mépris. »
Lors des dernières audiences entre la délégation du collectif des jeunes mineurs de Rouen et les autorités académiques, aucune réponse n’a été apportée quant à cette demande d’accueil en milieu scolaire. Le préfet lui-même a adressé un courrier au rectorat, répondant à la maire de Petit-Quevilly, près de Rouen.
Dans celui-ci, Jean-Benoît Albertini rappelle les obligations qui sont celles de l’académie. « Même après ce courrier, la rectrice nous a fait comprendre qu’elle refuserait. On a eu l’impression d’un refus de la parole de l’État. C’est spécial. » Ailleurs en France, d’autres académies scolarisent des jeunes en procédure d’évaluation de minorité comme celle de Lille ou de Toulouse, même sans tuteur légal.
Après deux mois de mobilisation et une pétition ayant rassemblé plus d’un millier de signatures, le collectif a en partie obtenu gain de cause le 2 juillet. Mais pas sur le volet scolarisation. La mairie socialiste de la ville, tenue par Nicolas Mayer Rossignol (PS), a ouvert les portes d’un hébergement pour les jeunes jusqu’au 30 septembre. Depuis, bien que des négociations soient en cours, la mairie souhaite récupérer le foyer afin de le mettre à la disposition de familles à la rue, cet hiver.
Il y a pourtant de la place dans des formations pour des métiers en tension. La situation est rocambolesque et discriminatoire !
Marie-Hélène, syndicaliste Sud Éducation 27 & 76
« Pour le moment, une vingtaine de jeunes y sont encore mais nous ne savons pas jusqu’à quand », continue Abdoulaye. Si lui est hébergé près de Rouen, il rend souvent visite à ses camarades pour leur apporter son soutien et participer à l’organisation de la mobilisation.
Ce mercredi, c’est devant le centre d’action et de promotion sociales qu’ils se retrouvent, pour dénoncer le processus d’évaluation de minorité. « Quand tu arrives de ton pays, c’est le premier endroit où tu viens pour demander une protection », explique Lebon, 16 ans également. Avant de se mettre en route pour l’hôtel du département, qui gère les reconnaissances de minorité, premier pas vers la scolarisation.
Le soutien du mouvement social
Pour les jeunes comme pour les syndicats, c’est l’incompréhension. « Je milite depuis plusieurs décennies. Ça nous est arrivé d’aller inscrire des enfants en les tenant par la main et les chefs d’établissement acceptaient avec plaisir de les accueillir. Là, il y a de la place dans les lycées et aussi pour des formations dans les filières professionnelles, sources de pourvoi de boulot dans des métiers dits en tension. C’est rocambolesque et discriminatoire ! », se désole Marie-Hélène.
Dans la manifestation, le 8 octobre, les soutiens sont divers. Clara, étudiante en histoire et militante à La France insoumise, est présente depuis les débuts du collectif. « C’est important de se mobiliser et de contre-attaquer quand on voit l’injustice subie par ces jeunes. Il y a un racisme évident de la part des autorités. Voir le soutien d’autant de monde, même si aujourd’hui la mobilisation s’essouffle un peu, c’est encourageant. »
Lors de la journée « Bloquons tout » du 10 septembre, la manifestation unitaire était même passée devant le rectorat, faisant des revendications des jeunes une priorité.
Pour Marie-Hélène, « le collectif a réussi à mobiliser au sein du mouvement social. Très vite, ils ont pris contact avec les organisations du mouvement ouvrier. Le campement devant la préfecture a vu se relayer de nombreux militants en soutien ».
Un hébergement en suspens
À quelques kilomètres de là, c’est dans l’ancienne école Colette Yver que les jeunes sont hébergés depuis juillet. Dans le quartier, la solidarité s’est mise en place. « Il y a même des voisins qui sont venus plusieurs fois nous apporter des repas », sourit Seydou, l’un des jeunes fondateurs du collectif. Sur une enceinte, cinq garçons écoutent de la musique en préparant du café. En cette fin d’après-midi, ils sont nombreux à rentrer de stages.
« Seydou et moi on s’est dit « ils doutent de notre minorité ». Si on fait un truc, que l’on revendique ça, pour nous-mêmes, on peut réussir. On a essayé de nous dissuader, on nous a dit qu’un collectif existait déjà à Paris. On a répondu « c’est une bonne idée, on va aller prendre des conseils là-bas et faire la même chose ici pour faire reconnaître nos droits « . On est donc allés rencontrer le collectif de Belleville et quand on est revenus, on a monté le nôtre à Rouen. On était alors plus de cinquante », se remémore Lebon, assis sur un canapé du foyer.
Cette année que j’ai passée dehors, qui me la rendra, maintenant que je suis reconnu mineur ?
Seydou, mineur isolé
Pour lui comme pour Seydou, la question de la reconnaissance de minorité est le fond du problème. « L’an dernier, mon avocate m’a appelé pour me donner les résultats du test osseux que j’ai effectué au CHU. Selon ce test, je peux avoir entre 35 ans et 79 ans ! Quel culot ! », s’indigne celui qui, après avoir fait appel, a obtenu gain de cause.
« Cette année que j’ai passée dehors, qui me la rendra, maintenant que je suis reconnu mineur ? Bientôt je vais atteindre ma majorité et si je n’ai rien fait, on me mettra dehors. J’aurais pu profiter de cette année pour étudier ou me former mais cette année, je l’ai perdue. Dans ces cas-là, c’est l’Obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui nous guette. »
En septembre, le corps d’un jeune Guinéen avait été retrouvé près de Calais. Mort en tentant de rejoindre le Royaume-Uni, Mamadou Garanké Diallo, 21 ans, avait quitté Rouen quelques jours plus tôt après avoir reçu sa deuxième OQTF, malgré des liens forts à Rouen et un travail en apprentissage dans une boucherie à Darnétal. « Ce n’est pas seulement un Guinéen, c’est le frère de nous tous ici à Rouen et en France », s’indigne Lebon, ému.
« Il avait été reconnu mineur à son arrivée en 2019 et il travaillait. Il était tellement sur la bonne voie. Pourtant, la préfecture ne s’est pas empêchée de lui signifier des OQTF. » Encore sous le choc, ses anciens camarades de lutte espèrent bientôt pouvoir lui rendre hommage. « Pour nous c’est injuste, abominable et inadmissible. On ne va pas rester les bras croisés alors que l’on se bat contre tout ça. »
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