Comment la droite du PS a torpillé l’union de la gauche
Une partie des socialistes n’a de cesse de placer La France insoumise et Jean-Luc Mélenchon en dehors de l’arc républicain. Entre calculs électoraux et tactiques d’appareil, retour sur une alliance manquée.
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© Loïc VENANCE / AFP
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De quoi faire espérer ses camarades historiques, comme Clémentine Autain et Alexis Corbière, partisans d’une union de la gauche… Mais le PS ne saisira pas la main tendue lors des européennes, et ses anciens alliés seront « purgés », comme ils se surnomment alors entre eux.
« C’est tragique parce que cette tentative n’a pas eu de suite », rembobine aujourd’hui le maire de Marseille Benoît Payan auprès de Politis. L’ancien socialiste (il a quitté le parti lors de son élection en 2020) qualifie ce moment de « point de bascule ». La suite est connue : le concept des « gauches irréconciliables » théorisé par Manuel Valls lors de son passage à Matignon en 2016 sera repris par une partie du PS, qui va finir par exclure LFI de l’arc républicain, mais aussi par une partie de la droite, y compris les macronistes, et l’extrême droite.
Comment expliquer cette occasion manquée ? « Vous avez deux mots à écrire : François Hollande », affirme un très proche de Jean-Luc Mélenchon à Politis. « Jean-Luc Mélenchon a saisi la perche tendue dès la fin de son quinquennat, en démontrant que tout ce que Manuel Valls avait théorisé sur la gauche allait se retourner contre lui et les socialistes », déclare le maire de Marseille, qui rappelle que ce débat animait déjà la gauche au début du XXe siècle, avec la scission de la SFIO lors de son 18e congrès à Tours en 1920.
Jean-Luc Mélenchon lui-même semble osciller entre deux positions, comme l’explique le politologue Émeric Bréhier, directeur de l’Observatoire de la vie politique à la Fondation Jean-Jaurès et ancien député PS de Seine-Et-Marne : « Un coup, il fait de LFI le fer de lance de la gauche, exigeant des autres partis qu’ils se rassemblent autour de lui lors des législatives ; un autre, il se présente en surplomb de la gauche comme un parti du peuple contre les élites capitalistes, notamment lors des élections présidentielles. »
Les artisans de la division de la gauche se comptent entre eux. Le patron de Place publique, Raphaël Glucksmann, passe son temps à justifier sa rupture avec LFI, y compris pour faire barrage au Rassemblement national (RN). Contrairement à l’accord du Nouveau Front populaire (NFP) conclu en juin 2024 avec l’ensemble de la gauche, en cas de nouvelle dissolution.
« Nous ne reproduirons pas la même stratégie décidée alors dans la hâte », affirme l’eurodéputé à la rentrée dans un entretien à Libération. « Nous savons tous qu’à la présidentielle il y aura deux offres à gauche. Pas à cause des ego : à cause des idées qui sont trop antinomiques », ajoute l’élu, qui compte tout juste trois députés à l’Assemblée.
LFI sur le même plan que le RN
Carole Delga affirme dans L’Opinion en septembre que, « sur le terrain, Jean-Luc Mélenchon fait plus peur que Marine Le Pen », provoquant la fureur du camp insoumis. « En Seine-Saint-Denis, ce n’est peut-être pas le cas, mais dans le reste de la France, c’est la réalité », précise la présidente socialiste de la région Occitanie, en référence au communautarisme supposé de LFI.
Une prise de position qu’elle mettra en pratique dans la foulée, en organisant ses « rencontres de la gauche » avec Raphaël Glucksmann, Olivier Faure, Marine Tondelier, etc., « tout l’arc de la gauche républicaine », selon elle, ce qui exclut La France insoumise. Objectif : prouver que « la vraie radicalité » réside dans « la nuance ».
Même procédé le mois suivant : Carole Delga refuse cette fois de soutenir la candidate LFI au second tour, lors d’une législative partielle pour le siège de député de la 5e circonscription des Français de l’étranger. Tollé chez les insoumis, embarras du Parti socialiste, qui affirme qu’il s’agit d’une « prise de position personnelle ».
Au dernier congrès du PS, « la principale bataille a porté non pas sur la vie et le destin des Français, mais sur la relation des socialistes avec les insoumis », se désole un cacique du parti. Le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, s’écharpe avec Olivier Faure à ce sujet. L’actuel premier secrétaire du PS refuse d’exclure des discussions avec LFI si le RN était en position de conquérir le pouvoir. Il obtiendra gain de cause avec sa réélection.
Sollicité par Politis, son rival n’était pas disponible pour revenir sur cet épisode. « Alors que l’extrême droite est aux portes du pouvoir […], certains ici ont la vocation de faire de ce congrès un référendum pour ou contre LFI », soulignait alors Olivier Faure. « Il n’a pas changé d’avis », assure l’un de ses lieutenants.
L’actuel premier secrétaire du PS refuse d’exclure des discussions avec LFI si le RN était en position de conquérir le pouvoir.
Une partie des macronistes joue aussi à ce petit jeu délétère qui consiste à mettre LFI en dehors des partis dits « républicains » et à jeu égal avec le RN. Après avoir annoncé que « pas une voix ne devait aller au RN » lors des dernières législatives anticipées, le patron de Renaissance, Gabriel Attal, a renvoyé dos à dos le parti fondé par Jean-Luc Mélenchon et le mouvement dirigé par Marine Le Pen dans l’un de ses tracts. Et ce, alors que de nombreux députés macronistes doivent à la gauche et au front républicain leur réélection.
Un changement de ton pour tenter de renvoyer la responsabilité de la censure de Michel Barnier aux deux partis. Cependant, le parti macroniste semble toujours inclure LFI dans le front républicain. Il y a quelques jours, l’eurodéputée Valérie Hayer, figure de Renaissance, a défendu sur France 3 son maintien, incluant La France insoumise, en cas de nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale. Tout en affirmant que « le RN et LFI sont aujourd’hui délétères pour notre démocratie ». Comprenne qui pourra…
Après la scission de la gauche en 1920, il a fallu attendre 1936 pour que la gauche s’unisse avec le Front populaire, autour du Parti radical, de la SFIO et du Parti communiste. « Espérons qu’il ne faudra pas attendre 2036 pour réaliser à nouveau l’union à gauche », déclare le maire Benoît Payan.
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