Comment Trump et les Gafam empêchent la résistance contre les expulsions forcées
L’application ICEBlock, qui permettait d’anticiper les raids des forces spéciales anti-immigration, a été fermée par Apple, en accord avec Donald Trump. Politis donne la parole à son développeur, en colère contre la trahison du géant américain.

© Brendan SMIALOWSKI / AFP
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Aux États-Unis, « une esthétique de la peur au cœur de la médiatisation des expulsions » Budget record pour l’ICE : Trump déploie sa machine anti-immigrationEntre colère légitime et stupéfaction presque amusée. Quand Joshua Aaron parle du sort qu’Apple et le gouvernement fédéral américain ont fait subir à son projet, il reste partagé : « Ils ont essayé de me présenter comme un dangereux terroriste de la gauche radicale. Parce que j’ai développé une application ! C’est ridicule à en être risible. »
Ce développeur texan d’Austin, âgé de 48 ans, est à l’origine d’ICEBlock, une application permettant de signaler la présence d’agents de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE), la police migratoire fédérale, pour alerter les autres utilisateurs dans un rayon de cinq miles (environ huit kilomètres).
Le but est que les personnes les plus vulnérables puissent éviter de se retrouver nez à nez avec les agents – toujours masqués – d’ICE, qui raflent souvent à vue les personnes qu’ils soupçonnent d’être des immigrants, une stratégie autorisée par la Cour Suprême, aujourd’hui ultra-conservatrice.
L’application a néanmoins été retirée de l’App Store par Apple le 2 octobre dernier. L’entreprise justifie sa décision par « un signalement des forces de l’ordre quant aux risques pour leur sécurité. » Dans un communiqué publié le jour-même, la procureure générale des États-Unis Pam Bondi a décrit comment le département de la Justice a simplement « contacté Apple pour leur demander de retirer l’application ICEBlock de son App Store – et Apple l’a fait ».
L’application incite à la violence contre les agents d’ICE, qui ne font que leur travail.
Maison blanche
Joshua Aaron a eu l’idée d’une application pour aider les immigrants, « la nuit de la réélection [de Trump]. Dès que j’ai vu les résultats, je savais ce qui allait se passer et j’ai décidé que je devais faire quelque chose », se rappelle-t-il. L’application devient disponible sur l’App Store le 2 avril.
Aaron se souvient que « la première journée, l’appli a été téléchargée dix fois max. Et elle marche par crowdsourcing [financement participatif, N.D.L.R.], donc pour qu’elle soit efficace, il fallait qu’elle soit populaire. Je n’ai pas d’équipe, je faisais la promo tout seul sur Bluesky », un équivalent de X (ex-Twitter).
Application la plus téléchargée
Or, cette promotion vient finalement quand des médias commencent à s’intéresser à l’application, d’abord Slate puis, surtout, CNN, qui a consacré en juin un sujet de trois minutes sur ICEBlock, diffusé chaque heure.
Mais la couverture médiatique n’a pas attiré que l’attention de futurs utilisateurs : Karoline Leavitt, la porte-parole de la Maison Blanche, fustige l’application lors d’une conférence de presse, l’accusant même « d’inciter à la violence contre les agents d’ICE, qui ne font que leur travail. » Puis, Todd Lyons, le directeur par intérim d’ICE, qualifie ICEBlock et le reportage de CNN le promouvant « d’ignoble » et « mettant en danger la vie d’agents qui risquent leur vie chaque jour et permettant à de dangereux immigrants criminels d’échapper à la loi ».
Toutes ces attaques ne font toutefois que promouvoir l’application. ICEBlock devient en juillet l’application la plus téléchargée de tout l’App Store et ce, durant trois semaines d’affilée. L’application comptait ainsi plus de 1,14 million d’utilisateurs quand elle a été supprimée. Une fierté pour Aaron, qui est encore aujourd’hui « honoré de pouvoir [s]e dire qu’[il] a contribué à ce que des personnes, des communautés, puissent se sentir un peu plus sûres dans des circonstances si compliquées ».
Aaron est convaincu qu’ICEBlock respectait la loi américaine et qu’Apple n’aurait pas dû la retirer avant même que des procédures judiciaires aient été engagées. Il cite d’autres applications ayant un fonctionnement semblable, notamment Waze, qui sont toujours disponibles sur l’App Store.
« L’application recense juste que quelqu’un a vu des agents », résume-t-il. « L’interdire, c’est dire que vous ne pouvez plus décrire ce que vous voyez. C’est complètement contraire au premier amendement [de la Constitution états-unienne] qui garantit la liberté d’expression. » Il révèle en outre qu’Apple avait pris plus de quatre semaines avant d’approuver l’application à son lancement, justement pour s’assurer de sa légalité.
Apple, comme la plupart des grandes entreprises du secteur tech, s’est rapproché de Donald Trump depuis le début de son second mandat.
« J’ai échangé à de nombreuses reprises avec l’équipe juridique d’Apple », assure-t-il, « et je leur ai expliqué de nombreuses fois le fonctionnement de l’appli et son but. Tout le processus d’approbation avait donc été rigoureusement contrôlé par les avocats d’Apple. »
Ce qui ne fait qu’exacerber sa colère face au retournement de veste du géant de la tech. Et de souligner : « Ce n’est pas comme si l’application, ou la loi, avait changé. Tim Cook [PDG d’Apple, N.D.L.R.] a juste décidé que si Pam Bondi avait un problème avec l’application, il la retirait. Sans poser de questions. Sans essayer de défendre ses utilisateurs. Juste une capitulation rapide et totale. »
Excès de zèle
Apple, comme la plupart des grandes entreprises du secteur tech, s’est rapproché de Donald Trump depuis le début de son second mandat. Tim Cook, a d’ailleurs donné un million de dollars de sa poche pour financer la cérémonie d’investiture du président en janvier dernier. Où, invité, il occupait une place au premier rang, juste derrière Trump, aux côtés d’autres grands patrons de la tech, tels que Jeff Bezos (PDG d’Amazon), Mark Zuckerberg (PDG de Meta), ou Sundar Pichai (PDG de Google).
Le 6 août dernier, Cook a rejoint Trump à Washington pour annoncer un investissement par Apple de 100 milliards de dollars dans l’économie américaine. L’entreprise espère ainsi que ses smartphones ne sont pas concernés par les frais de douanes sur les produits chinois. Celui que Trump avait appelé « Tim Apple » lors de son premier mandat, a d’ailleurs profité de sa visite au Bureau ovale pour offrir une plaque avec une base en or de 24 carats au président.
ICEBlock n’était disponible que sur iOS, mais plusieurs applications avec un fonctionnement similaire avaient été lancées pour d’autres systèmes d’exploitation. Google a annoncé, le jour suivant le retrait d’ICEBlock, qu’il allait supprimer ces applications de son Google Play Store, avant même que le gouvernement ne lui demande.
La semaine dernière, Meta a annoncé fermer le groupe Facebook « ICE Sighting-Chicagoland », utilisé par les habitants de Chicago pour signaler l’activité de l’agence fédérale dans leur ville. Dans un post sur X, Pam Bondi affirme que le réseau social a agi suite à la demande du Département de la Justice.
Aaron entend combattre la décision, sans pouvoir pour le moment donner plus de détails. Il n’est néanmoins pas sûr que l’application sera un jour de retour sur l’App Store. « Je ne retiendrai pas mon souffle si j’étais vous », raille-t-il, « toutes les entreprises de la tech que l’État américain peut influencer ont montré qu’elles se plieraient à ses demandes dans la minute. »
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