« Enfant de la diaspora, je suis admirative de la jeunesse marocaine »

Hafsa 29 ans, franco-marocaine, observe depuis la France le mouvements de révolte au Maroc. Elle exprime sa fierté devant le courage de la jeunesse.

• 21 octobre 2025
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« Enfant de la diaspora, je suis admirative de la jeunesse marocaine »
Manifestation organisée par des jeunes pour réclamer des réformes dans les domaines de la santé publique et de l'éducation devant le Parlement à Rabat, au Maroc, le 18 octobre 2025.
© Abdel Majid BZIOUAT / AFP

Dans plusieurs villes du Maroc, des mouvements de jeunes ont émergé pour dénoncer la misère sociale et l’abandon des services publics. Ce cri de révolte résonne bien au-delà des frontières : il interpelle celles et ceux issus de la diaspora. H., enfant de la diaspora, partage sa douleur face à la répression mais aussi sa fierté devant le courage de cette jeunesse qui brise le silence.


Nous sommes issus de la diaspora. Au fond, pour la grande majorité d’entre nous, les raisons qui ont poussé nos parents à émigrer dans les années 1980 ou 1990 pour l’Europe sont les mêmes que celles qui ont déclenché les manifestations à Agadir. Personne ne quitte son pays de gaieté de cœur pour faire – pour beaucoup – des métiers ingrats et subir de la discrimination dans un pays étranger. C’est pourquoi, en tant qu’enfants de la diaspora, nous avons le devoir de soutenir ce mouvement. Comment peut-on accepter qu’en 2025, pas moins de huit femmes meurent en accouchant ?

La corruption gangrène la société marocaine à tous les niveaux. Les élites s’enrichissent sur le dos du peuple, le chômage des jeunes est alarmant, l’accès à une éducation de qualité est terriblement insuffisant, et le système de santé publique est lamentable. Le gouvernement se moque du bien-être des citoyens.

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Toutes les grandes infrastructures sont pensées pour le tourisme, à destination des touristes étrangers et cela au détriment des Marocains. Et ce qui semble le plus important pour ceux qui dirigent, c’est de lisser l’image du pays à l’international, quels que soient les problèmes auxquels sont confrontés les Marocains.

Patriotisme mal placé

Comment peut-on construire des stades de haut standing et laisser les hôpitaux dans un état catastrophique, avec un personnel médical vénal, incompétent, ou en sous-effectif ? Comment peut-on tolérer que des personnes touchées par le tremblement de terre de septembre 2023 vivent encore dans des tentes ? Que les zones rurales soient totalement abandonnées alors qu’on ponctionne les ressources de leurs terres ? Que les écoles publiques soient dans un tel état ?

Cette jeunesse a été élevée par des personnes qui ont grandi dans la peur de formuler la moindre critique à l’encontre du système ou du roi.

Ces manifestations font écho à celles qui avaient éclaté dans le Rif en 2016, que j’avais soutenues à l’époque, même si elles avaient reçu moins de solidarité de la part des Marocains, peut-être à cause de l’image négative héritée du règne de Hassan II.

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Certains enfants de la diaspora refusent encore de soutenir ces mouvements, peut-être par déconnexion avec la réalité du pays ou par un patriotisme mal placé. Ce que je voudrais leur dire, c’est qu’aimer le Maroc, c’est vouloir le meilleur pour son pays : pointer les imperfections et les problèmes est la première étape pour les résoudre.

Je ne peux pas me réjouir de la situation, notamment du fait qu’elle ait dégénéré en violences policières, allant jusqu’à des personnes tuées. Les autorités et la presse attribuent d’ailleurs l’entière responsabilité aux manifestants, affirmant qu’ils comptaient attaquer un commissariat pour y dérober des armes. En réalité, on n’aura sans doute jamais le fin mot de l’histoire, puisque je n’ai pas vu un seul média qui ait cherché à vérifier si la version officielle avancée pour justifier ces morts était véritable : ils l’ont simplement reprise et répétée.

Briser l’injonction au silence

Hormis les violences et la manière dont les manifestants ont été réprimés, si je me concentre uniquement sur le fond – à savoir que la jeunesse marocaine est descendue dans la rue pour réclamer ses droits et des infrastructures dignes de ce nom, pour dénoncer les fléaux qui gangrènent la société marocaine – je ne peux qu’être fière et admirative.

Comment peut-on tolérer que les zones rurales soient totalement abandonnées alors qu’on ponctionne les ressources de leurs terres ?

Cette jeunesse a été élevée par des personnes qui ont grandi dans la peur de parler, de formuler la moindre critique à l’encontre du système ou du roi. Peut-être que je me trompe, mais j’ai la sensation que peu de gens osent encore évoquer les années de plomb et la manière dont cette période a marqué les « anciens » au Maroc. Et malgré cela, la jeunesse a eu le courage de sortir, de briser cette injonction au silence qui pèse depuis si longtemps sur les Marocains.

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Mon souhait le plus cher serait que le Marocains n’ait plus à envisager l’exil pour améliorer sa qualité de vie, voire, pour certains, avoir simplement une vie décente. Que chacun ait accès à un système de santé fonctionnel, un accès à l’éducation digne de ce nom, un emploi stable, une sécurité financière.

J’aime le Maroc et j’aime tous mes frères et sœurs marocains et j’estime qu’ils sont en droit de demander le meilleur car c’est ce qu’ils méritent tous sans exception.

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