Gen Z : l’internationale contestataire

Comme en 1968, une jeunesse mondiale se lève à nouveau, connectée, inventive et révoltée. De Rabat à Katmandou, de Lima à Manille, la « Gen Z » exprime sa colère contre la corruption, les inégalités et la destruction de l’environnement.

Olivier Doubre  • 17 octobre 2025 abonné·es
Gen Z : l’internationale contestataire
Une femme tient une pancarte alors que des jeunes Marocains appartenant à un collectif appelé GenZ 212 descendent dans les rues de Rabat afin de réclamer des réformes dans les domaines de la santé et de l'éducation, le 3 octobre 2025.
© Abdel Majid BZIOUAT / AFP

On soulignait en 1968 l’importance en nombre de la jeunesse, celle dite du « baby-boom ». De San Francisco ou Chicago à Berlin, Amsterdam ou Londres, de Prague à Varsovie, mais aussi de Mexico à Montevideo, d’Alger à Dakar, de Santiago du Chili à Rio, une génération s’est alors levée, simultanément, contestant l’ordre établi par ses aînés, avec de multiples points communs dans ses exigences, modes d’actions et slogans. Évidemment, dans chaque pays, les revendications se déclinaient, chacune, selon leur situation locale.

Mais toutes ces jeunesses à travers le monde avaient de multiples points communs, avec en premier lieu la volonté de rompre avec l’encadrement séculaire des modes de vie, et surtout des mœurs, volonté qui trouvait à s’exprimer à travers des modes vestimentaires, la longueur des cheveux, ou la musique, volonté souvent résumée avec emphase dans un couplet des Rolling Stones, des Beatles ou des Doors.

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Que se passe-t-il donc aujourd’hui ? Assiste-t-on à un phénomène similaire, quand des manifestations massives – essentiellement composées par cette jeunesse née entre la fin du siècle dernier et le début des années 2010 –, envahissent les grandes artères des capitales et grandes agglomérations de nombre de pays à travers la planète ? Si les cheveux longs ne sont plus forcément un des signes distinctifs des mouvements qui ont émergé ces dernières semaines aux quatre coins du globe, force est de constater leurs nombreux points communs.

Autocrates renversés

Tout d’abord, cette « Gen Z » est ultra-consciente de la force de l’information – synonyme de potentielles indignations collectives –, grâce à un usage immodéré du smartphone, permettant de diffuser vidéos, images, textes, interviews, partout dans le monde en une seconde. Et souvent capable très rapidement de déjouer les contrôles et blocages mis en œuvre par les pouvoirs, en utilisant, voire en créant, des canaux de communications alternatifs aux tentatives de « répression numérique », parvenant de déjouer celles-ci – et de les prendre de vitesse – pour organiser des rendez-vous, rassemblements et des initiatives, avec une grande imagination.

Des manifestations massives envahissent les grandes artères des capitales et grandes agglomérations de nombre de pays à travers la planète.

Si l’on se souvient que l’application Facebook, désormais « ringarde » pour ces jeunes, avait permis de mobiliser et d’organiser les mouvements qui renversèrent plusieurs autocrates (criminels) que l’on dénomma les « printemps arabes », de Tunis à Bahrein ou Damas, Discord est aujourd’hui devenu l’un des instruments les plus redoutés – car cryptés, donc difficilement déchiffrable – des pouvoirs en place, de Rabat ou Agadir à Katmandou, de Lima, Djakarta ou Bandoeng à Antananarivo.

Mais alors qu’à partir de 2011, les mobilisations s’étaient essentiellement cristallisées contre les pouvoirs autoritaires, en place souvent depuis des décennies, exprimant une aspiration irrépressible à la liberté d’expression, à la démocratie et au multipartisme, il semble que, depuis la fin de l’été, les revendications de cette jeunesse à travers le monde se soient élargies. Les régimes autoritaires et dictatoriaux en place restent, bien sûr, leurs premières cibles, mais en les contestant d’abord pour leur corruption généralisée et l’enrichissement indu de leurs clans au pouvoir.

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Surtout, cette colère (légitime) s’élargit aujourd’hui – et d’abord – à une demande expresse de redistribution des richesses au sein de la population, avec l’exigence du rétablissement ou de l’organisation de services publics, de santé publique, d’éducation, d’accès à la culture ou d’une protection sociale, dignes de ce nom. Sans oublier le refus de la destruction de l’environnement due à un néolibéralisme sans vergogne.

Comme au Népal, où le mouvement a été si rapide que le pouvoir sclérosé et corrompu (d’un exécutif se déclarant pourtant « maoïste » !) a été renversé en à peine trois jours. Ou aux Philippines, où, cependant, le mouvement est encore loin de l’avoir emporté, après des semaines de manifestations audacieuses dans ce pays où la répression est une tradition ancienne et où les dictatures se sont succédé depuis près d’un siècle.

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La population (dont 50 % des personnes en âge de voter ont moins de trente ans) est en effet sortie dans les rues lorsqu’elle a appris que les députés s’étaient octroyé une « indemnité logement » d’un montant équivalent à dix fois le salaire minimum. Un peu comme si nos députés avaient décidé à leur profit une « indemnité » de… 13 000 euros mensuels.

Au Népal, le mouvement a été si rapide que le pouvoir sclérosé et corrompu a été renversé en à peine trois jours.

Inégal dénouement des mobilisations

Mais la mobilisation a vite élargi ses revendications à l’amélioration du système de santé, à des distributions de nourriture décente pour les plus pauvres, alors que ce type de programmes, certes existants, étaient gangrenés par d’importants détournements de fonds, avec de la nourriture avariée. Au Maroc, l’actuel mouvement de la « GenZ 212 », chiffre de l’indicatif téléphonique du pays, a débuté après le décès de huit femmes enceintes dans un hôpital d’Agadir fin août, mettant sous les projecteurs un système de santé inégalitaire (à deux vitesses entre privé et public).

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Pour bientôt réclamer l’amélioration du système d’éducation, notamment de l’enseignement supérieur, dans un pays où le niveau de vie a augmenté de façon significative ces trois dernières décennies, permettant l’accès de beaucoup plus de jeunes aux facultés et écoles supérieures spécialisées. Mais le pouvoir préfère, pour parfaire son image « à l’international », investir dans la construction de stades très coûteux pour la future Coupe du monde de foot dont il est le co-organisateur en 2030…

Beaucoup de questions demeurent quant à l’aboutissement possible de cette levée en masse contestataire de la jeunesse sous toutes ces multiples latitudes. Sans savoir (évidemment) l’issue de leur aventure. Il reste que les inégalités de développement entre les différentes nations peuvent peut-être expliquer l’inégal dénouement de ces mobilisations.

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Si, au Népal ou à Madagascar, pays très pauvres, ces révoltes ont rapidement conduit au renversement de régimes honnis – sans que l’on sache bien ce qui en sortira in fine –, les pouvoirs des pays plus développés – et donc aux moyens répressifs plus organisés (comme le Maroc, l’Indonésie ou les Philippines) –, semblent pour l’instant parvenir, tout en tremblant sur leurs assises, à se maintenir en place. Il est assurément trop tôt pour se risquer à de plus amples élucubrations.

Tous les « soixante-huitards » de tous les pays n’ont certainement pas, à l’époque, renversé leurs élites. Loin de là ! Mais comme disait Gilles Deleuze dans son Abécédaire, ces jeunes sont « pris dans un devenir-révolutionnaire, parce qu’il n’y a pas, pour eux, d’autre chose à faire ».



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