Marie Toussaint : face à la destruction de l’Europe verte, « tenir le coup et se battre »

L’eurodéputée écologiste raconte les coulisses du détricotage en cours du Pacte vert orchestré par la Commission européenne et appelle à une prise de conscience en France.

Caroline Baude  et  William Jean  • 21 octobre 2025
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Marie Toussaint : face à la destruction de l’Europe verte, « tenir le coup et se battre »
Marie Toussaint, lors de la campagne pour les élections européennes, en mai 2024, à Paris.
© Maxime Sirvins

L’eurodéputée Marie Toussaint, vice-présidente du groupe des Verts/ALE au Parlement européen, revient sur la proposition de loi de la Commission européenne qui vise à vider de son contenu le Pacte vert. Elle appelle à un sursaut pour l’écologie et la défense des droits humains.

La proposition de loi qui s’attaque au Pacte vert est la première issue de la Commission européenne, dont le mandat de la présidente, Ursula von der Leyen, a été renouvelé en décembre 2024. Ce texte traduit-il un tournant dans la politique de la Commission européenne ?

Marie Toussaint : Ursula von der Leyen a commis un péché originel pour son deuxième mandat. La présidente de la Commission européenne a décidé de s’allier avec Giorgia Meloni en désignant Raffaele Fitto comme vice-président de la Commission alors qu’il est issu du parti d’extrême droite, Fratelli d’Italia. C’est un tournant majeur puisque le cercle « prodémocratique et pro-européen » scelle désormais des stratégies – au moins thème par thème – avec une partie ou toute l’extrême droite européenne.

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Une fois ces nominations menées, la première décision d’Ursula von der Leyen a été de détricoter le Pacte vert. Elle a voulu défaire les règles régissant l’encadrement des activités des entreprises tant sur la question des droits humains que sur la durabilité. Cette proposition de loi, dite Omnibus [elle rassemble plusieurs paquets d’amendements de simplification, N.D.L.R.] touche trois textes : la transparence des entreprises sur leurs impacts sociaux, environnementaux et de gouvernance (CSRD), la prévention et la réparation des dommages sociaux et environnementaux des entreprises (C3RD), et la taxonomie verte, qui désigne une classification européenne des entreprises en fonction de leur impact sur le climat.

Les Verts et la rapporteuse socialiste ont été un partenaire gênant pour la droite européenne : on a voulu résister.

Comment avez-vous réagi quand vous avez reçu la proposition de loi ?

Les socialistes et les libéraux ne voulaient pas toucher au Pacte vert. Mais la Commission a voulu faire intervenir un dispositif qui permet de suspendre les directives du Pacte vert, en attendant d’avoir le résultat des négociations. C’est ce qu’on appelle un « Stop the clock » dans le jargon européen. Les groupes socialistes, libéraux et la moitié des Verts ont accepté de voter ce « Stop the clock » pour, en échange, obtenir de la droite la non-remise en cause des fondamentaux du Pacte vert.

Comment se sont déroulées ces négociations ?

Dans ce cadre, une plateforme avait été mise en place, pour réunir des personnes chargées de piloter ces négociations entre les quatre groupes politiques, dont j’ai fait partie pour les Verts. Mais cette plateforme s’est très peu réunie, en réalité. Les négociations se sont passées en commissions, sans véritable respect de l’engagement de la droite, qui en a profité pour s’allier avec l’extrême droite en intégrant ses amendements. Les Verts et la rapporteuse socialiste ont été un partenaire gênant pour la droite européenne : on a voulu résister. D’où notre exclusion des débats, menée après la partie d’échecs jouée par la droite.

C’est comme si la Commission avait intégré le système de pensée de certaines multinationales.

Comment luttez-vous contre cette alliance entre la droite et l’extrême droite européenne ?

Il faut aller sur le terrain et aller chercher les électeur·ices pour leur dire qu’une autre direction est possible. Il y a la vie politique française… Mais dans l’Union européenne, la situation est pire. Il faut tenir le coup et se battre, parce qu’un nombre croissant de décisions européennes sont prises avec une coopération avec l’extrême droite contre les forces démocratiques et pro-européennes.

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Quelle a été l’influence réelle des lobbys industriels sur la Commission européenne ?

Des enquêtes ont montré que TotalEnergies a joué un rôle important dans la destruction des règles, tant de durabilité que de respect des droits humains. A contrario, des entreprises comme Nestlé ou Ferrero se sont engagées pour la protection des législations qui avaient été adoptées sur le Pacte vert, non sans greenwashing (1). C’est comme si la Commission avait intégré le système de pensée de certaines multinationales. Les faits ne comptent plus. Seule l’idéologie prévaut. Ce qui est ironique, puisqu’on nous reproche à nous, les Verts, d’appartenir au camp des idéologues.

1

Procédé de marketing ou de relations publiques utilisé par une organisation pour se donner une image trompeuse de responsabilité écologique.

D’après les chiffres, 80 à 93 % des entreprises seraient exemptées du devoir de transparence fixé par le Pacte vert. Selon vous, cette simplification est une fausse bonne idée de la Commission ?

Ce n’est pas une simplification : c’est une complexification, dangereuse pour les droits sociaux et l’environnement. Prenons l’exemple des PME du secteur minier. Avec la révision du Pacte vert, ces entreprises, qui appartiennent à un secteur à risque en termes de pollution et de droits humains, seront exonérées de toute transparence. C’est un non-sens.

Quel serait l’impact pour les États membres de l’Union ?

La Commission veut empêcher les États membres d’aller plus loin que ce qui est adopté au Parlement européen. C’est un renversement complet. Les médias européens en ont beaucoup parlé. En France, c’est silence complet. L’instabilité politique fait que la presse traite de moins en moins les enjeux sociaux et environnementaux, a fortiori lorsqu’ils se situent à l’échelle européenne.

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