Le Bondy Blog fête ses 20 ans d’expression populaire
C’est dans l’urgence des révoltes de 2005 que naît ce média en ligne qui raconte le quotidien des quartiers par ceux qui le vivent. Face à la montée en puissance de l’extrême droite, son utilité est plus que jamais criante.
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Les Ateliers Médicis, l’art de mettre la périphérie au centre Travailler, penser, écrire depuis les quartiers populaires Aux municipales, comment gauche et quartiers populaires ferraillent pour existerFondé en novembre 2005 par le magazine suisse L’Hebdo, sous l’impulsion de Serge Michel et Mohamed Hamidi, le Bondy Blog naît de la volonté de donner la parole aux habitants des quartiers populaires. « Le Bondy Blog, c’est avant tout une famille », résume Sarah Ichou, à la tête du média depuis 2022. Une famille où le débat est une seconde nature : « Dans les quartiers, avoir un avis politique fait partie de notre culture. On a grandi avec des débats à table. Ici, on a juste élargi la table pour continuer les discussions ensemble. »
Chaque mardi soir, sans exception depuis la création du Bondy Blog, ses blogueuses et ses blogueurs se retrouvent au local du média pour la conférence de rédaction hebdomadaire. Ils ne sont pas tous journalistes professionnels, mais en formation, en recherche d’emploi, en début de carrière, à la retraite, curieux de voir ce qu’est la profession ou simplement portés par l’envie de s’exprimer : le Bondy Blog ouvre ses portes à toutes celles et tous ceux qui souhaitent faire entendre ou connaître une voix.
C’est à la fois un média et une asso, un espace d’échange.
S. Ichou
Depuis ses débuts, le média incarne une forme de contre-pouvoir médiatique. En donnant la parole aux habitants des quartiers populaires, il propose un récit alternatif à celui, souvent stigmatisant, véhiculé par de plus grands médias. C’est un acte politique autant que journalistique : affirmer que les territoires marginalisés ont leur place dans le débat public.
Le média est aussi une structure associative, un aspect que Sarah Ichou tient à souligner. « C’est à la fois un média et une asso, un espace d’échange », insiste-t-elle. « Depuis 2005, même si de plus en plus de médias ont émergé, beaucoup d’associations de terrain dans les quartiers ont été fermées. On sent que les gens ont besoin de lien, de se retrouver, de s’exprimer. » Donner la parole prend un sens profond. Il ne s’agit pas seulement de tendre un micro, mais de permettre aux habitant·es de se réapproprier le récit de leur quotidien. En cela, le Bondy Blog ne se contente pas de couvrir l’actualité, il redonne du pouvoir à ceux que l’on n’écoute pas.
Contre le racisme décomplexé
C’est à l’occasion de son stage de 3e, à 15 ans, que Sarah Ichou intègre la rédaction du Bondy Blog. « Nordine Nabili [ancien directeur, N.D.L.R.] m’avait dit de revenir à la fin du stage, et depuis… je ne suis jamais partie. » Héléna Berkaoui rejoint l’aventure en 2018, elle aussi comme blogueuse. « Je lisais énormément d’articles du Bondy Blog et, un jour, j’ai fini par passer le pas de la porte. » Elle en devient rédactrice en chef quatre ans plus tard, en 2022. Au fil des années, le média a publié des enquêtes et des tribunes marquantes, qui illustrent son engagement.
En 2012, Widad Ketfi signait « J’accuse ! », une tribune poignante contre les discriminations systémiques. Plus récemment, « Aux chibanis, le 1er janvier » (2024), un hommage de Latifa Oulkhouir aux travailleurs immigrés oubliés, a touché par sa justesse et sa mémoire sensible. En période électorale, le ton se fait plus incisif : « Macron s’est baladé et nous avec » ou encore « À défaut de voter contre, on ne vote plus », ces articles signés par Jalal Kahlioui traduisent un désenchantement politique très présent dans les quartiers.
Depuis vingt ans, le paysage médiatique s’est diversifié : « Il y a d’autres médias qui racontent les quartiers populaires aujourd’hui, c’est une bonne chose », souligne Héléna Berkaoui. Mais, en parallèle, elle observe l’émergence de médias d’extrême droite au discours « extrêmement raciste, islamophobe et violent », qui ciblent notamment les habitants des quartiers. Une parole décomplexée, amplifiée par les réseaux sociaux, et qui touche directement les jeunes en construction identitaire : « Ils grandissent dans un pays où ils se font insulter et cracher dessus tous les jours. »
Le Bondy Blog, c’est une valorisation de nos récits dans les quartiers populaires.
Selim
Si des initiatives comme l’Association des journalistes antiracistes et racisées (Ajar) accompagnent aujourd’hui les journalistes racisés, les rédactions traditionnelles restent en retard. « Il y a eu des avancées sur la diversité, mais elles sont encore trop lentes. Les questions de racisme structurel dans les recrutements ou au sein des équipes sont rarement posées », regrette-t-elle.
Laboratoire inclusif
En moyenne, une vingtaine de blogueurs participent régulièrement, avec des auteurs qui changent fréquemment. Parmi les plus assidus, Selim, 22 ans, étudiant, qualifie le Bondy Blog de « Clairefontaine du journalisme ». Au-delà de la bienveillance qui règne dans ce lieu, il insiste sur son rôle formateur. « Par rapport à d’autres rédactions, on y raconte des histoires qui nous parlent, qu’on vit au quotidien. Le Bondy Blog, c’est une valorisation de nos récits dans les quartiers populaires. »
Cet espace d’apprentissage se décline à plusieurs niveaux. « Des centaines de journalistes formés au Bondy Blog travaillent aujourd’hui dans des rédactions traditionnelles », rappelle Sarah Ichou. Au fil du temps, le Bondy Blog a structuré ses formations en proposant des masterclasses et des interventions dans les écoles. « Le but, c’est de donner la possibilité à chacun de connaître ce métier, de pouvoir raconter son histoire. Parce que c’est ça, l’objectif : donner aux gens la possibilité de se raconter », affirme-t-elle.
Depuis sa création, le média lutte pour exister, aujourd’hui avec seulement trois salariés – dont deux à mi-temps – et une étudiante en alternance. Il y a quelques mois, sa survie a été sérieusement menacée. Face à une baisse inédite de ses subventions, notamment après les révoltes urbaines de 2024, le Bondy Blog avait lancé une campagne de soutien.
« Le Bondy Blog est né dans l’urgence, pas pour durer vingt ans, rappelle la directrice. Créé en 2005 pour raconter 2005, c’était même initialement un simple reportage sur Bondy. Mais quand on a réalisé que ce projet allait perdurer, il a fallu repenser notre modèle économique. » Consciente de la force du collectif, elle souligne aussi les difficultés du contexte : « On sait que les gens ont d’autres priorités dans un contexte économique compliqué. C’est toujours notre combat, mais c’est aussi celui de plusieurs médias qui veulent préserver leur indépendance. Alors qu’en face il y a des milliardaires d’extrême droite. »
Le Bondy Blog continue de faire figure de laboratoire d’un journalisme plus inclusif.
Et même s’ils sont peu nombreux et que l’indépendance du média reste un combat difficile, la force se renouvelle chaque mardi soir, quand la salle se remplit de rédacteurs. « C’est le mardi qu’on se dit qu’on est prêts à se battre pour eux », confie Sarah Ichou. Malgré un paysage médiatique en mutation rapide, une crise structurelle de financement des médias indépendants et une droitisation des espaces d’information, notamment sur les réseaux sociaux, plus qu’un simple média, le Bondy Blog continue de faire figure de laboratoire d’un journalisme plus inclusif.
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