« Les policiers ont tiré 8 fois. J’ai dû leur verser 15 000 euros »
Nordine raconte la nuit du 16 au 17 août 2021 où sa compagne, Merryl, enceinte, et lui, ont failli mourir sous les tirs de la police.
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© Maxime Sirvins
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Violences policières : le combat des familles endeuillées Mères des quartiers populaires : « Nous vivons la peur au ventre »J’ai été victime dans la nuit du 16 au 17 août 2021 d’une tentative d’homicide volontaire de la part d’individus armés alors que je rentrais tranquillement en voiture d’une sortie avec ma femme, Merryl, enceinte à ce moment-là. Je n’ai pas compris qu’il s’agissait de policiers tellement leur violence, verbale comme physique, était incontrôlée. J’ai cru à une attaque de type « car-jacking », d’autant plus que cela se passait la nuit.
Ces individus en voiture banalisée se sont placés à mon niveau. Le passager à droite du conducteur a commencé à m’agresser en me disant : « T’as une sale gueule de défoncé. » Puis ils m’ont coupé la route. L’un d’entre eux est sorti du véhicule, a brisé la vitre du nôtre et a cherché à entrer dans l’habitacle. Me sentant en danger, je me suis mis à manœuvrer pour nous protéger. Malheureusement, ils ont commencé à tirer, alors que j’étais à l’arrêt.
J’ai cru à une attaque de type « car-jacking », d’autant plus que cela se passait la nuit.
Rien ne pouvait faire penser qu’ils étaient des policiers. Ils n’avaient pas de brassard, ni de gyrophare, et n’ont procédé à aucune sommation. Ils ont tiré 8 fois. J’ai reçu 7 balles à bout portant. Je me suis retrouvé allongé sur le siège. Ma femme et moi sommes restés gisants sur nos sièges de longues minutes. Merryl est sortie de la voiture et, titubant sur le trottoir, elle s’est agrippée à une barrière pour ne pas tomber. Le policier n’est pas venu à son secours.
Ma vie, depuis ce jour, n’a jamais pu reprendre son cours normal. Ils ont brisé ma vie et celle de ma femme. La balle qu’elle a reçue a brutalement interrompu sa grossesse. Nous nous sommes tous les deux retrouvés entre la vie et la mort. En dehors du fait que j’avais perdu un enfant et qu’ils ont tiré sur ma femme, le pire dans cette histoire a été mon traitement judiciaire. Encore hospitalisé, quasi inconscient, j’ai dû subir des interrogatoires de police sur mon lit d’hôpital, puis on m’a jeté en prison, sans enquête sérieuse.
Les policiers, eux, ont bénéficié de la présomption d’innocence et ont été couverts par le système judiciaire. Il a fallu qu’un juge d’instruction courageux, sur la base de vidéos amateurs, décide de renvoyer les policiers devant la justice correctionnelle. Mais c’est devant les assises qu’ils auraient dû passer.
Même si les policiers ont été condamnés à du sursis et à une interdiction définitive d’exercer, cette victoire reste en demi-teinte. Cela fait maintenant quatre ans que je me bats au quotidien pour retrouver mes droits, et obtenir réparation et justice. Un juge d’instruction puis des magistrats de Bobigny ont reconnu la culpabilité des policiers. Pour autant, je n’ai toujours pas obtenu réparation. J’ai été condamné à verser 15 000 euros aux policiers. Eux sont toujours en liberté et peuvent toujours exercer, car ils ont fait appel de leur condamnation en 2024.
J’ai dû subir des interrogatoires de police sur mon lit d’hôpital, puis on m’a jeté en prison, sans enquête sérieuse.
Rapport de force raciste
Confronté très jeune à la violence policière, je la vois telle un système. J’ai obtenu une victoire, mais trop de violences restent impunies. Même avec des moyens, la victime est souvent tenue pour responsable. L’État juge d’abord la personne interpellée (si elle survit), puis éventuellement les policiers. Les procès sont inéquitables : les policiers s’appuient sur le jugement du conducteur.
Pendant quatre ans, entre procédures, prison et sans réel soutien psychologique, je me suis senti isolé. Trop de victimes le sont. Les frais d’avocats sont inaccessibles pour beaucoup. Des associations m’ont soutenu, certaines m’ont aidé à financer ma défense.
Les violences policières sont très peu politisées, alors qu’elles incarnent un rapport de force raciste entre l’État, la jeunesse des quartiers populaires et les générations issues de l’immigration. Les politiques ne réagissent qu’en cas de médiatisation, d’émeutes ou avant les élections. Ensuite, on reste peu informé des suites judiciaires et des difficultés des familles.
Les politiques ne réagissent qu’en cas de médiatisation, d’émeutes ou avant les élections.
Pour les victimes, c’est épuisant de devoir constamment sensibiliser, militer, expliquer. Moi, je plaide pour l’unité, pour agir avec toutes celles et tous ceux qui sont sincèrement engagés, pour changer des lois trop permissives avec les policiers, comme la L-435-1, lutter contre les contrôles au faciès, les abus de pouvoir, les faux en écriture publique.
S’engager pour les quartiers et la jeunesse, c’est prendre conscience que police, justice et prison ne doivent pas être incontrôlées. Il faut des actions, pas seulement des instances dirigées par l’État, pour protéger les jeunes et la société du rouleau compresseur police-justice. Vingt ans après Zyed et Bouna, le nombre de tués par la police est à un niveau record.
La carte blanche est un espace de libre expression donné par Politis à des personnes peu connues du grand public mais qui œuvrent au quotidien à une transformation positive de la société. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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