« L’Entroubli », dans la grâce du chaos

Le premier roman de Thibault Daelman raconte son passage de l’enfance à l’âge adulte dans un quartier populaire, entre violence et amour.

Lola Dubois-Carmes  • 5 octobre 2025 abonné·es
« L’Entroubli », dans la grâce du chaos
Le livre raconte l’expérience sensible d’un jeune garçon qui doit composer avec une famille dysfonctionnelle en plus d’une pauvreté inscrite sur son front.
© Le Tripode 2025

L’Entroubli / Thibault Daelman / Le Tripode, 288 pages, 20 euros.

C’est une langue taillée au cordeau, du « sur-mesure ». Afin de raconter son enfance, le narrateur – alter ego de l’auteur, Thibault Daelman, dont ­L’Entroubli est le premier roman – agence les mots d’une manière qui surprend parfois. « J’ai dans le crâne, du verbe au lieu des neurones. Le verbe, sur tout, m’est un souffle », écrit-il. Une fois les premières pages passées et le lecteur acclimaté au rythme singulier de l’auteur, se déroule l’expérience sensible d’un jeune garçon qui doit composer avec une famille dysfonctionnelle en plus d’une pauvreté inscrite sur son front.

Les sensations et le bruit constant de cette famille nombreuse sont la musique de fond de ce roman d’apprentissage qui court de la petite enfance à la majorité. Le récit apparemment convenu du transfuge de classe devient une épopée unique dans laquelle la misère n’est jamais misérabiliste et où tous les personnages sont dignes et complexes. La mère est ainsi tour à tour dure, héroïque, volage, injuste, colérique ou courageuse. Elle considère l’éducation de ses fils comme l’une de ses priorités et s’échine à les placer en école privée, au prix d’ardentes et humiliantes négociations sur les frais d’inscription.

Le narrateur se trouve alors ballotté d’établissements publics à privés, en fonction de la magnanimité du directeur, compliquant davantage la sociabilité de cet adolescent mal dans sa peau. Et lorsqu’il rentre chez lui, le désordre des lieux et les cris de ses frères l’accueillent, telle une peinture banale et trop intense à la fois.

Ligne de crête

Plusieurs épisodes innocents et joyeux, comme les vacances avec le beau-père, l’amitié avec les voisins ou les visites fréquentes chez ses cousins à la campagne, ponctuent le texte de délicieuses scènes de bêtises et d’effervescence. Celles-ci permettent de tenir sur une délicate ligne de crête, celle qui sépare les enfances heureuses des cabossées. Les efforts de l’auteur pour rester authentique vis-à-vis des souvenirs et des réflexions d’antan, sans céder à la tentation de les édulcorer ou de les interpréter, sont palpables.

Plus sensible encore, le plaisir d’écrire. Cette attraction se révèle être progressivement une bouée de sauvetage entre un père gravement alcoolique, que la mère incite à ignorer et va jusqu’à asperger de javel un soir, un frère violent et un autre légèrement handicapé. C’est d’ailleurs l’attention portée à chaque détail du réel qui raconte au mieux l’effet du climat familial et social sur la maturité de l’enfant, survenue trop précocement.

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Littérature
Temps de lecture : 3 minutes