Alerte rouge sur le front républicain
Nouvel indicateur de la victoire de la dédiabolisation de l’extrême droite, l’effritement significatif du front républicain. Plus qu’une photographie du moment, un sondage que Politis publie ce 29 octobre doit sonner l’alerte, notamment à gauche dont une partie des sympathisants décroche du réflexe dit « républicain ».
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© Maxime Sirvins
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Comment la droite du PS a torpillé l’union de la gauche Ces personnalités de gauche qui obsèdent l’extrême droite Aux États-Unis, Donald Trump répand la peur des antifas Qui a peur du grand méchant woke ?Il fut un temps où la République savait dresser ses digues. Quand la vague brune menaçait, la droite, la gauche, le centre – tous, ou presque – se tenaient côte à côte, le temps d’un second tour, pour dire non à l’extrême droite. Ce réflexe, que l’on croyait constitutif du paysage politique français, s’effrite à vue d’œil. Un sondage que Politis a commandé vient en apporter la confirmation froide : seuls 41 % des Français se déclarent favorables au front républicain. Autrement dit, près de six sur dix refusent aujourd’hui l’idée même d’un barrage face au RN.
Télécharger ici le sondage Bonafidé pour Politis : « Les Français et le front républicain ».
Ce chiffre dit tout. Le front républicain, né dans les années 1980 pour contenir la progression du Front national de Jean-Marie Le Pen, n’est plus qu’un souvenir. En 2002, quand le patriarche d’extrême droite accédait au second tour, des millions de citoyens descendaient dans la rue. Ce n’était pas un mot, mais un réflexe civique. Vingt ans plus tard, l’appel au barrage contre Marine Le Pen n’a mobilisé que par lassitude. Déjà, nombre d’électeurs de gauche s’étaient abstenus ou avaient voté blanc, faute de croire encore à la vertu d’un vote de refus.
En se présentant comme seul rempart crédible, Emmanuel Macron a transformé le front républicain en plébiscite de sa propre politique.
Depuis, l’érosion s’est accélérée. À droite, la digue a cédé la première. L’héritage gaulliste du refus de toute alliance avec l’extrême droite a été remplacé par une course au mimétisme : la droite classique a repris les thèmes du RN – immigration, insécurité, identité nationale – tout en prétendant garder les mains propres. Résultat : une part croissante de son électorat ne voit plus dans le parti lepéniste un danger, mais une continuité. Au centre, le réflexe républicain résiste, mais s’affaiblit. Le macronisme, qui avait fait du « ni-ni » son horizon moral, a brouillé le message.
En se présentant comme seul rempart crédible, Emmanuel Macron a transformé le front républicain en plébiscite de sa propre politique, au risque de le vider de sa substance civique. Beaucoup d’électeurs qui rejettent le président rejettent aussi ce barrage perçu comme une injonction d’en haut. Et à gauche, le socle se fissure. Si la majorité des électeurs continue de refuser l’extrême droite, 30 % des sympathisants de gauche et 40 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon y sont désormais opposés. Le barrage leur apparaît comme un chantage, reconduisant au pouvoir ceux qu’ils tiennent pour responsables des fractures sociales et territoriales.
La gauche, nouvel « ennemi de la République »
Mais plus inquiétant encore : pendant que la digue s’effondre, le regard s’est déplacé. La gauche, des insoumis aux écologistes, des féministes aux militants pro-palestiniens, est devenue le nouvel « ennemi de la République » (voir notre dossier spécial). Le discours public, médiatique et politique a retourné le stigmate : ceux qui alertaient sur la dérive autoritaire sont désormais accusés de la nourrir. La République a changé de cible. Ce basculement a offert à Marine Le Pen la victoire symbolique qu’elle cherchait depuis vingt ans. La dédiabolisation du RN n’a pas triomphé parce que le parti aurait changé, mais parce que nous avons cessé de le considérer comme un danger.
Refuser le front républicain, s’abstenir, détourner le regard, reste un luxe : celui de ceux que les politiques xénophobes, antisociales et anti-écologistes n’atteindront pas directement.
Dans le même temps, le terrain social s’est miné : désindustrialisation, sentiment d’abandon, inégalités territoriales. Là où la République recule, l’extrême droite s’installe. Ce sondage n’est pas une simple photographie de l’opinion : c’est un avertissement. Si rien ne change, le prochain scrutin pourrait consacrer la fin d’un tabou politique vieux de quarante ans. Ce jour-là, il ne s’agira plus de voter « contre », mais de vivre « avec ».
Pourtant, refuser le front républicain, s’abstenir, détourner le regard, reste un luxe : celui de ceux que les politiques xénophobes, antisociales et anti-écologistes n’atteindront pas directement. Mais dans une démocratie, ce luxe a un prix : il se paie toujours par la liberté des autres.
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