La neutralité, dernière fiction du macronisme

Après avoir essayé plusieurs nuances de macronistes, puis la droite, puis le centre, puis encore la droite, et alors que l’inventeur du « en même temps » s’entête à ne pas vouloir nommer la gauche, Macron pourrait nommer un premier ministre « neutre », ou « technique ». Fumeux !

Pierre Jacquemain  • 9 octobre 2025
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La neutralité, dernière fiction du macronisme
Manifestation contre la réforme des retraites à Paris, le 7 mars 2023.
© Lily Chavance

Il paraît qu’il faut désormais « un gouvernement le plus neutre possible ». C’est Maud Bregeon, députée Renaissance, qui l’a dit ce matin sur TF1, avant d’avouer qu’elle ne savait pas très bien ce que cela voulait dire. Ce lapsus a le mérite de la franchise : personne ne sait. Parce qu’un gouvernement « neutre » n’existe pas. C’est un oxymore, une invention de communicant, un cache-misère pour une majorité qui n’en est plus une et un président qui cherche encore la sortie sans avoir le courage d’en franchir la porte.

Le « technique » n’est qu’un masque pour ce qui demeure profondément idéologique.

Sébastien Lecornu, premier ministre démissionnaire mais missionné pour organiser sa propre succession, incarne cette mécanique absurde. Emmanuel Macron lui demande de « trouver la formule » pour éviter une dissolution. Traduction : éviter le peuple. Ne pas affronter le verdict des urnes, ne pas risquer la sanction, ne pas admettre la défaite politique d’un camp réduit à gérer la continuité comme une fin en soi. Dans ce théâtre sans suspense, la « neutralité » devient un refuge commode. Elle prétend apaiser les tensions, dépasser les clivages, offrir une respiration « technique » – un autre mot qui va devenir très en vogue dans les heures prochaines – à une République essoufflée.

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Mais comment être neutre lorsque le premier geste du prochain gouvernement sera de présenter un budget ? Rien n’est plus politique qu’un budget : choisir, c’est trancher entre celles et ceux qui paieront et ceux qui seront protégés. Il n’y a pas de neutralité entre la hausse du Smic et son blocage, entre la taxation des grandes fortunes et la préservation des intérêts du capital, entre la suppression de l’aide médicale d’État, l’AME, et la défense des droits fondamentaux. Le « technique » n’est qu’un masque pour ce qui demeure profondément idéologique.

La neutralité est un mirage qui ne dure qu’un temps : tôt ou tard, le réel reprend ses droits, et le conflit refait surface.

Cette fiction, pourtant, se rejoue inlassablement. Depuis 2017, la même mise en scène se répète : un appel à la responsabilité, des visages interchangeables, la promesse d’un équilibre introuvable. À force de prétendre dépasser la politique, le pouvoir a fini par la dissoudre – dans les esprits, sinon dans les urnes. Mais la neutralité est un mirage qui ne dure qu’un temps : tôt ou tard, le réel reprend ses droits, et le conflit refait surface. Une partie de la gauche, dans ce paysage, se heurte à un paradoxe. Elle réclame Matignon, mais dans quel but ?

Gouverner dans les conditions actuelles, sans majorité – même relative, sous le joug d’une Constitution verrouillée et d’un président qui conserve la main sur tout, reviendrait à gérer l’impuissance. Ce serait risquer la déception immédiate de celles et ceux qui espèrent un changement profond. L’entrée de la gauche à Matignon, sans rupture institutionnelle, ne serait qu’une parenthèse avant la désillusion – et le jackpot pour l’extrême droite.

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Pendant ce temps, la Macronie continue son cycle d’usure : gouverner sans majorité, nommer sans convaincre, tenir sans projet. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le prochain premier ministre – qui pourrait, sans blague nous dit-on, n’être que l’actuel premier ministre démissionnaire – finira par être contraint de démissionner à nouveau ou d’être censuré. Car on ne gouverne pas un pays politique comme la France avec des mots creux et des illusions procédurales.

Un pouvoir qui ne croit plus à la politique, mais s’accroche à son décor.

À force de ne pas vouloir essayer la gauche, le pouvoir s’échine à répéter les mêmes erreurs, espérant des résultats différents. Le gouvernement neutre est la dernière fable d’un régime à bout de souffle : celui d’un pouvoir qui ne croit plus à la politique, mais s’accroche à son décor. Et dans ce théâtre d’ombres, les acteurs changent, mais la pièce reste la même.

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Parti pris

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