La proportionnelle, oui… mais pas seule
En cette période de crise politique, la question du mode de scrutin proportionnel refait surface. Avec un risque majeur : livrer les clés du Parlement à l’extrême droite, sans pour autant redonner le pouvoir au peuple.

© Lily Chavance
À l’heure où plane la menace d’une accélération de la crise politique, où les rumeurs de dissolution bruissent et où les partis affûtent déjà leurs armes pour d’éventuelles législatives anticipées, la question du mode de scrutin refait surface. Emmanuel Macron lui-même avait promis d’introduire une dose de proportionnelle.
Une promesse comme tant d’autres, suspendue dans l’air depuis 2017, et aujourd’hui reprise avec insistance par une partie de la classe politique pour que chaque voix compte à sa juste valeur. Et que l’Assemblée nationale ressemble enfin au pays. Mais dans le contexte présent, cette réforme porte en elle un risque majeur : celui de livrer les clés du Parlement à l’extrême droite, et donc Matignon, sans pour autant redonner le pouvoir au peuple.
La proportionnelle, c’est la vérité mathématique de la démocratie mais pas nécessairement sa vérité politique. Elle traduit fidèlement les rapports de force, mais elle fragmente aussi le pouvoir, le disperse, l’émiette. Dans une France fracturée, en proie à la défiance, à la fatigue civique et à la tentation autoritaire, cette transparence pourrait bien devenir un miroir déformant. Le RN, porté par une dynamique électorale, y gagnerait une influence institutionnelle inédite, un droit de veto au cœur du jeu parlementaire.
La proportionnelle met à nu les déséquilibres d’une Ve République pensée pour le chef, pas pour le peuple.
La proportionnelle intégrale risquerait ainsi d’accoucher d’une démocratie intégralement paralysée. Le danger est d’autant plus fort que la proportionnelle, isolée, ne répare rien : elle expose tout. Elle met à nu les déséquilibres d’une Ve République pensée pour le chef, pas pour le peuple. En instaurant la représentation sans refondre les contre-pouvoirs, on changerait la carte sans toucher aux règles du jeu. Ce serait croire qu’une réforme électorale peut, à elle seule, guérir une crise démocratique profonde – alors qu’elle pourrait n’en être que le révélateur brutal.
Refonder la démocratie
La gauche de transformation a pourtant raison de rouvrir ce débat. Parce qu’il faut rompre avec la mécanique implacable d’un scrutin majoritaire qui écrase les minorités, neutralise les nuances, fabrique artificiellement des majorités sans adhésion. Mais la réponse ne peut être purement technique. Elle doit être politique, au sens le plus noble du terme : refonder la démocratie sur un nouveau pacte de confiance.
Cela passe par la proportionnelle, certes, mais aussi par un Parlement réaffirmé face à l’exécutif, par la possibilité pour les citoyens de s’autosaisir de grandes décisions, par voie de référendum ou d’initiative populaire. Cela suppose de déverrouiller la présidence jupitérienne, de déconcentrer le pouvoir, de faire respirer les institutions. Tant que la logique présidentialiste restera dominante, la proportionnelle restera bancale.
Une proportionnelle seule, dans une République hyperprésidentielle, reviendrait
à juxtaposer deux logiques inconciliables.
C’est bien là que se joue la crédibilité de cette réforme : dans sa capacité à réinventer un équilibre démocratique. Une proportionnelle seule, dans une République hyperprésidentielle, reviendrait à juxtaposer deux logiques inconciliables : celle du chef et celle du compromis. Le risque est clair : une instabilité chronique, des gouvernements de courte durée, des majorités introuvables, et, à la clé,
la tentation d’un retour au pouvoir fort.
Donc la proportionnelle, oui. Mais pas seule. Elle doit s’inscrire dans une vision d’ensemble : celle d’une démocratie refondée, vivante, participative. Il faut rouvrir l’horizon démocratique : redonner sens au vote, réhabiliter le rôle du Parlement, et permettre au peuple de s’autosaisir des grandes décisions de l’époque. Sinon, la proportionnelle risque de n’être qu’un miroir tendu à notre impuissance collective – et, ironie tragique, le tremplin institutionnel de ceux qui rêvent moins de la pluralité démocratique que de sa fin.
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