Aux municipales, comment gauche et quartiers populaires ferraillent pour exister

Partout dans le pays, les collectifs et des militants des quartiers populaires se préparent à la bataille de 2026. Un scrutin qu’ils ne veulent surtout pas ignorer. Mais ils font face à un dilemme : assumer l’autonomie ou rallier des forces politiques.

Hugo Boursier  et  Lucas Sarafian  • 22 octobre 2025 abonné·es
Aux municipales, comment gauche et quartiers populaires ferraillent pour exister
© Bahareh Akrami

Cette fois, c’est la bonne. 2026 sera le scrutin des voix méprisées. Au fond de la salle du café La Table ronde, à Saint-Denis, une petite bande de citoyens engagés, des associatifs et d’ex-militants partagent un rêve : monter une liste d’union de la gauche qui associerait les citoyens et ferait tomber Mathieu Hanotin, l’édile socialiste élu en 2020, trop « autoritaire » selon eux. « Nous ne sommes derrière personne, notre projet n’est pas de prendre la tête d’une liste. Nous voulons que les partis de gauche s’unissent, sans hégémonie d’une force sur une autre, et que les citoyens partent avec eux », affirme Adjera Lakehal-Brafman.

Le groupe s’organise aujourd’hui dans un collectif baptisé « On s’en mêle », une émanation citoyenne du comité dionysien du Nouveau Front populaire (NFP). Leur dernière réunion publique a attiré plus de 70 personnes. « Avec ce collectif, on va être une force d’interpellation. On crée un cadre pour que la société civile s’en empare et pèse dans le débat public », annonce Jonathan Gilberg, salarié dans le logement social.

Ce sont les étiquettes partisanes qui ont dégoûté les quartiers populaires.

J. Gilbert

Le collectif On s’en mêle tente aussi de créer des ponts avec les partis politiques traditionnels. François Longérinas, militant associatif (et ancien directeur de publication de Politis), l’affirme : « On ne veut pas qu’une force politique ait une hégémonie sur les autres, en ayant par exemple la majorité absolue dans la liste. » Pour le moment, le groupe se confronte à des murs. Jonathan Gilberg raille : « Je trouve ça déplorable que les partis soient dans des guéguerres de postes. Ce sont les étiquettes partisanes qui ont dégoûté les quartiers populaires, parce que les partis restent systématiquement dans leurs jeux d’accord. »

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Mais La France insoumise (LFI) a de l’ambition dans cette sous-préfecture de Seine-Saint-Denis. Bally Bagayoko est déjà en campagne. En 2020, cette figure locale portait la liste Saint-Denis en commun, soutenue par le mouvement mélenchoniste. « On est en campagne permanente depuis l’été 2020 car on reste dans une logique d’éducation populaire », assume le candidat. Petit-déjeuner gratuit à l’école, police de proximité, un agent territorial spécialisé des écoles maternelles (Atsem) par classe… Le programme est en cours d’écriture. En parallèle, Bagayoko discute avec les communistes, les écolos et d’autres collectifs comme Seine-Saint-Denis au cœur, un mouvement citoyen proche de LFI.

Quand l’attitude insoumise passe mal

La campagne a déjà commencé à Marseille aussi. Mohamed Bensaada, membre du collectif Quartiers Nord/Quartiers forts et du Syndicat des quartiers populaires de la cité phocéenne, travaille sur son projet municipal. Ce militant et compagnon de route de LFI veut faire voter les abstentionnistes. Une priorité pour Jean-Luc Mélenchon et les siens. « Ces élections doivent faire entrer les quartiers populaires dans le débat politique, lance Bensaada, qui échange avec le collectif écolo-citoyen Vaï, monté par l’adjoint au maire Sébastien Barles. On ne doit plus être réduits à des gens à qui l’on parle seulement au moment des élections. Nous sommes un angle mort pour les élites politiques. »

On ne doit plus être réduits à des gens à qui l’on parle seulement au moment des élections.

Bensaada

Le discours est partagé par Omar Slaouti, militant antiraciste et élu au conseil municipal d’Argenteuil. Dans cette sous-préfecture du Val-d’Oise, il sait ce qu’il compte défendre : les services publics, un nombre de berceaux suffisant pour cette ville qui compte plus de 20 % de familles monoparentales, de nouvelles garanties d’emprunt pour les bailleurs sociaux afin de répondre à la demande de logements sociaux, la question des ascenseurs en panne, la lutte contre la privatisation des parkings… « Il est hors de question que la parole des militants associatifs et des quartiers populaires disparaisse », avance-t-il.

En 2026, Slaouti portera avec d’autres le collectif Argenteuil tous ensemble, une liste associative soutenue en 2020 par LFI, le Parti communiste (PCF) et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Mais, cette fois, il ne sera pas la tête de liste. Une place revendiquée par les insoumis. « Le danger fasciste est là. Et au regard de cette situation, nous devons préserver l’unité. » Dans cette ville où le « clientélisme » règne à gauche comme à droite, il est persuadé qu’il existe un chemin : « Si les quartiers populaires votent, on sera en tête au premier tour. »

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Pour porter la voix des quartiers durant la campagne, la question des alliances est centrale. À Toulouse, plusieurs militants de ­l’Assemblée des quartiers figureront sur la liste emmenée par le député insoumis François Piquemal. Malgré des dissonances stratégiques, ils rêvent de rallier les Verts et Archipel citoyen, un collectif qui s’était présenté en 2020. Le Parti socialiste (PS), le PCF et le Parti radical de gauche (PRG) sont, eux, absents des discussions. « Toulouse est gagnable et perdre n’est pas une option », veut croire Salah Amokrane, figure toulousaine du collectif.

S’allier avec le mouvement mélenchoniste n’est-il pas risqué ? Ce choix n’est-il pas perçu comme une trahison pour les quartiers populaires ? Pour Amokrane, le contexte local s’impose : « LFI est bien implantée à Toulouse et dans plusieurs quartiers de la ville. » Et François Piquemal est loin d’être un parachuté : il a grandi à Toulouse, a fait ses preuves au sein du Droit au logement.

Si LFI veut être à la hauteur, il faut qu’elle accepte que les élections municipales ouvrent un autre champ politique.

Mais, dans plusieurs villes, l’attitude insoumise passe mal. Car depuis 2020 la stratégie mélenchoniste a changé. Un an avant la présidentielle, le mouvement insoumis voit dans ce scrutin un moyen de conquérir des bastions. Et depuis que certaines revendications historiques des quartiers populaires, sur l’anti­racisme, les violences policières ou la Palestine, sont au cœur du logiciel insoumis, LFI n’imagine plus vraiment laisser le champ libre à ces listes citoyennes.

L’heure est au verrouillage. Un militant proche de LFI mais engagé dans un collectif citoyen lâche : « Si LFI veut être à la hauteur, il faut qu’elle accepte que les élections municipales ouvrent un autre champ politique que le coup de sifflet présidentiel. Des gens qui se sentent d’ordinaire éloignés de la chose publique peuvent participer à ce scrutin. Et ce, sans l’adoubement de la sacro-sainte ligne nationale. »

Des mouvements locaux hors des partis

Ailleurs en France, certains font le pari de l’autonomie. Retour en 2014. À Aubervilliers, quelques semaines avant les municipales, un petit groupe de militants de quartiers, lassés d’être réduits par les grands partis à faire du tractage, se pose cette question : « Et pourquoi pas nous ? » La bande se regroupe en collectif, surnommé 100 % Auber, et monte une liste, qui obtient 7,1 %. « C’était énorme, en si peu de temps », se rappelle Nabila Djebbari, membre de la liste.

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Mais en 2020, du fait de la désunion de la gauche, l’UDI arrive au pouvoir. Sidération. « C’est face à ce constat qu’il faut agir et trouver des points de convergence avec les formations de gauche », estime Nabila Djebbari, qui arrive à unir les écolos, le PRG et un autre mouvement local, l’Alternative citoyenne. Elle portera la tête de liste aujourd’hui baptisée Aubervilliers en commun, mêlant partis et collectifs citoyens, en 2026. Sans le PS, sans le PCF et sans LFI. Pour l’instant, en tout cas.

Il y avait la promesse de changer les profils du monde politique, elle n’a pas été tenue.

M. Traoré

À Rennes, Ulysse Rabaté, président de l’association Rennes commune et chargé d’enseignement à l’université de Rennes, se prépare à entrer dans l’arène. Il le promet : la liste qu’il construit sera représentative du terrain. En ce moment, il parle aux organisations de gauche, mais aussi aux habitants engagés dans la vie locale.

« L’espace de politisation qu’on crée sert la gauche et met en dynamique beaucoup de gens à l’écart de la politique », assume Rabaté. Mais les écologistes ont choisi de se ranger derrière l’actuelle édile socialiste Nathalie Appéré. Un choix stratégique qui fragilise les insoumis et pourrait isoler Ulysse Rabaté. Sauf si cette décision pousse LFI à se ranger derrière l’initiative citoyenne pour refléter les dynamiques locales.

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Du côté de Villeneuve-Saint-Georges, Mamadou Traoré a tiré les conclusions des élections anticipées de janvier dernier. « On a pris les devants pour pouvoir peser et s’inscrire dans une forme d’autonomie », explique celui qui se présente pour l’initiative citoyenne. En début d’année, LFI, qui ne devait être qu’en soutien du mouvement local, avait pris de court tout le monde en plaçant le député Louis Boyard.

« Il y avait la promesse de changer les profils du monde politique, elle n’a pas été tenue », regrette le natif des quartiers villeneuvois, se disant aujourd’hui « insoumis aux insoumis ». Il discute avec toutes les composantes de la gauche. Et si Louis Boyard ne répond pas à ses messages, un accord unitaire pourrait être trouvé, selon lui, d’ici à fin octobre. Le combat ne fait que commencer.

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