Quand Trump réinvente le fascisme
Les commentaires trop souvent élogieux, surtout après le précaire cessez-le-feu à Gaza, donnent du Président américain une image trompeuse. Il se rattache en vérité à une sinistre tradition politique.
dans l’hebdo N° 1885 Acheter ce numéro

On a beaucoup célébré ces jours-ci Donald Trump en « faiseur de paix ». Un autoportrait que l’hypernarcissique président américain a réussi à imposer dans la plupart des médias occidentaux après le cessez-le-feu à Gaza. Mais moins d’une semaine après le discours triomphant de Charm el-Cheikh, Israël a de nouveau bombardé l’enclave palestinienne, et menacé de reprendre ses opérations sous divers prétextes. Le Hamas ne manquant pas d’ailleurs de lui en fournir. Seul garant du cessez-le-feu, Trump n’était intéressé en réalité que par la libération des otages. Peu lui chaut la suite des événements.
Trump partage la même vision du monde que Poutine et Netanyahou. Il adhère à leurs objectifs.
En Ukraine, il danse la danse de Saint-Guy, promettant un jour des missiles de longue portée à Zelensky, et se déjugeant le lendemain. En un seul coup de fil, Vladimir Poutine aurait réussi à le « retourner ». Conclusion de la plupart des médias : Trump est un esprit faible, d’une naïveté confondante. Il n’est pas interdit d’avancer une autre hypothèse. Trump partage la même vision du monde que Poutine et Netanyahou. Il adhère à leurs objectifs. Les trois hommes ont en commun le racisme, le mépris du droit et de la démocratie, et une haine farouche de l’Europe. Le reste n’est que poudre aux yeux, tantôt pour amadouer les pays arabes, tantôt pour séduire les jurés du Nobel.
Un jeu cynique et dérisoire. Car les fondamentaux de Trump le « faiseur de paix » ne varient pas d’un iota. Il ne fera rien pour interrompre la colonisation de la Cisjordanie, rien non plus pour dissuader Netanyahou de reprendre son génocide inachevé. Et le voilà à deux doigts de mener des actions de guerre contre le Venezuela et la Colombie, opérant un retour à la doctrine de James Monroe (1758-1831), ce président esclavagiste qui considérait que l’Amérique du Sud était la chasse gardée des États-Unis. Il ne lui déplairait pas non plus que l’Ukraine échappe à l’Europe pour retomber dans l’escarcelle du dictateur Poutine.
L’Amérique de Trump est hantée par le « grand remplacement ».
Devant les méandres d’une « diplomatie » en apparence illisible, mieux vaut pour comprendre Trump se tourner vers l’intérieur des États-Unis. Après les attaques contre les lieux de savoir et de santé, le temps est aujourd’hui à la traque des immigrés, et de tous ceux qui n’ont pas la peau assez blanche. Son Amérique est hantée par le « grand remplacement » démographique. Pour cela, il a lancé dans les rues des grandes villes, de préférences gérées par les Démocrates, quelque vingt mille gros bras de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) habilités à attaquer tout ce qui ressemble à un immigré, principalement hispanique.
Le règne de la force brutale
Rien ne différencie cette milice fédérale d’un groupe de délinquants. Cagoulés et le plus souvent en civil, ils cognent d’abord et s’enquièrent ensuite du statut de leur victime. Si celle-ci est en règle, ils peuvent l’abandonner pantelante et ensanglantée avec la bénédiction de Trump, qui a doté sa police très spéciale de moyens records en juillet dernier avec sa One Big Beautiful Bill Act (littéralement « un grand et beau projet de loi »). S’ils ne sont pas en règle, même résidants depuis des décennies et employés, ils sont conduits dans des centres de rétention, traités comme des grands criminels, avant expulsion. L’ICE, à la différence de la police migratoire des administrations précédentes, peut intervenir partout, de l’école à l’hôpital, à l’église, au cimetière lors d’une cérémonie funéraire, installant un régime de terreur.
Si ce n’est pas du fascisme, cela y ressemble. Il n’y a là bien sûr ni oriflamme nazie ni chemise brune mussolinienne. Mais une abolition de la loi et un règne de la force brutale. Cela suffit à caractériser un système. Ce qui est le plus étonnant, c’est l’atonie des oppositions politiques, Parti démocrate en tête. Mis à part l’héroïque Bernie Sanders, et la jeune génération new-yorkaise, dont le candidat à la mairie Zohran Mamdani, « socialiste et musulman », qui est à lui seul un défi au trumpisme. Mais c’est New York, un monde à part ! Quant aux caciques du parti, comme le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, s’ils critiquent Trump pour son « autoritarisme », ils veillent surtout à ne pas se mettre à dos les milieux d’affaires.
En une semaine, Trump a connu la gloire internationale, et la montée d’une contestation massive chez lui.
C’est donc la rue qui a sonné le signal de la résistance. Quelque 2 500 rassemblements et sept millions de citoyens ont manifesté le 18 octobre dans toutes les grandes villes sous le slogan « No Kings ». En une semaine, Trump a connu la gloire internationale, et la montée d’une contestation massive chez lui. On ne soulignera jamais assez que l’homme du précaire cessez-le-feu à Gaza et celui des rafles anti-immigrés est le même.
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