Dans la Loire, le médicobus arpente les déserts médicaux

Dans l’agglomération de Roanne (42), un cabinet médical mobile propose des consultations sur les places de plusieurs villages. À son bord, défilent des habitants de tous les âges privés d’accès à un médecin traitant et témoignant de leurs difficultés face à un système de santé défaillant.

Baptiste Thomasset  • 17 octobre 2025 abonné·es
Dans la Loire, le médicobus arpente les déserts médicaux
Dans le médicobus, Raphaël Delorme et Thierry Pierson assurent une dizaine de consultations par jour dans différents villages de l'agglomération de Roanne (42).
© Baptiste Thomasset

À 8 h 30, Raphaël Delorme tourne la clé de contact du médicobus garé sur le parking de l’espace santé. Il quitte rapidement l’agglomération de Roanne (Loire) pour rejoindre le petit village de Saint-Pierre-la-Noaille, à 20 kilomètres au nord. Les premiers patients s’installent dans la salle du conseil municipal transformée en salle d’attente. Puis le docteur Thierry Pierson arrive et les consultations peuvent commencer.

Le médicobus sillonne les routes du département de la Loire depuis mars 2025. Il s’installe trois jours par semaine dans neuf communes rurales touchées par le manque de médecins. À bord de ce camping-car conçu sur mesure, on retrouve l’essentiel d’un cabinet médical : un fauteuil d’examen, une balance, un tensiomètre… Il permet à des médecins à la retraite d’assurer une dizaine de consultations par jour. Raphaël Delorme occupe, lui, le poste d’assistant, un savant mélange entre infirmier, chauffeur et secrétaire.

Ce matin, Daniel, un des 381 habitants de Saint-Pierre-la-Noaille, est venu pour renouveler une ordonnance. Il n’a plus de médecin traitant depuis que le sien a pris sa retraite, en janvier. « On savait que ça allait arriver et personne n’est venu pour le remplacer », raconte-t-il avant de lister les communes voisines ayant perdu un médecin généraliste dans les dernières années : Charlieu, Iguerande, Marcigny, Vougy.

On a reçu des gens qui n’avaient pas consulté depuis plus de dix ans.

R. Delorme, assistant

Sa femme, Valérie, l’accompagne à la consultation : « On a essayé d’appeler tous les cabinets mais personne ne prend de nouveaux patients. On fait en sorte de ne pas tomber malade mais il y a quand même des fois où on n’a pas d’autre choix que de consulter. » Avec chaque patient, le médecin prend le temps de dresser un bilan de santé, d’écouter et de repérer les besoins d’actes préventifs – dépistage, santé mentale, addictologie…

« On a reçu des gens qui n’avaient pas consulté depuis plus de dix ans », rapporte Raphaël Delorme. Lorsque c’est nécessaire, les soignants peuvent amorcer la mise en place d’un suivi d’infirmiers à domicile ou déclencher un accompagnement social. Des premiers pas indispensables pour réinsérer des personnes isolées dans un parcours de soins.

La débrouille pour accéder aux soins

Le docteur Thierry Pierson a fait sa carrière dans la petite ville d’à côté. « J’étais un médecin de campagne à l’ancienne, avec les 60 heures par semaine qui vont avec. » Quatre ans après avoir pris sa retraite, il raconte le « crève-cœur » de laisser une patientèle sur le carreau, dont une partie ne lui trouvera pas de remplaçant.

En effet, dans ce territoire marqué par le passé industriel textile de Roanne, la culture de la vigne et l’élevage bovin, de nombreuses communes sont classées « zone d’intervention prioritaire » par l’agence régionale de santé (ARS). L’Union départementale des associations familiales (Udaf) de la Loire estime à 35 000 le nombre de personnes sans médecin traitant dans le nord du département. Sans parler des listes d’attente pour médecins spécialistes qui dépassent régulièrement un an. « Peut-être que je fais ça aussi pour me déculpabiliser », soupire le docteur Pierson.

Sur le même sujet : Déserts médicaux : « Il faut changer de méthode »

Plusieurs témoignages recueillis autour du médicobus font état de longues heures d’attente dans les centres de santé sans rendez-vous, de consultations express, voire de mauvais traitements. Autant de symptômes d’un système de santé débordé. « La dernière fois que j’ai voulu renouveler mon ordonnance, on m’a houspillée en disant que je venais pour rien, se désole une patiente. J’avais peur de retourner voir un docteur après. »

Interdiction de mourir le week-end

Face à la pénurie de médecins, des stratégies de débrouille se développent. Certains profitent des rares rendez-vous décrochés pour préparer six mois d’ordonnances. D’autres consultent au téléphone des professionnels à Lyon ou se rabattent sur les téléconsultations désormais accessibles en pharmacie. Certains professionnels de santé prennent aussi le relais, dont les infirmiers de pratique avancée – statut créé en 2018 pour seconder les médecins – et les pharmaciens, qui peuvent désormais prescrire contre certaines pathologies.

Quand j’ai voulu renouveler mon ordonnance, on m’a houspillée en disant que je venais pour rien. J’ai eu peur de retourner voir un docteur.

Les personnes âgées et celles qui ne conduisent pas doivent compter sur les coups de main de la voisine, du petit-fils ou parfois même du maire. « Un habitant de ma commune m’a appelée un jour parce qu’il n’avait plus de solution pour rentrer de l’hôpital après 19 heures », raconte Isabelle Dugelet, maire sans étiquette de la commune de La Gresle, desservie par le médicobus. En 2018, l’édile avait tenté d’alerter sur la situation en prenant un arrêté municipal symbolique interdisant à ses administrés de mourir pendant le week-end et les jours fériés.

L’expérimentation du médicobus est portée pour trois ans par trois structures locales : la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) du Roannais, l’Udaf 42 et le centre de soins URG+. Parmi les financeurs, on retrouve la Région, qui a payé la moitié du véhicule, et l’ARS, qui prend en charge la majorité des frais de fonctionnement. L’Assurance maladie, la Mutualité sociale agricole (MSA) et les collectivités locales complètent le chèque.

Mais tous les avis convergent sur un point : le médicobus n’apporte qu’une solution provisoire à l’urgence. D’abord parce qu’il ne remplace pas le suivi personnalisé d’un médecin traitant. Mais aussi parce qu’il ne fonctionne pour l’instant que grâce à l’embauche de retraités, dont certains dépassent les 70 ans. « Ils peuvent décider d’arrêter ou avoir des problèmes de santé à tout moment », constate Véronique Roussel, assistante administrative du médicobus.

Sur le même sujet : « Les décideurs en matière de santé ne subissent pas les effets de leur politique »

En juin 2023, au moment d’introduire le plan France ruralités, la première ministre, Élisabeth Borne, annonçait le déploiement de 100 médicobus sur le territoire français d’ici à la fin de l’année 2024. Deux ans plus tard, moins d’une vingtaine est opérationnelle sur les routes.

« Chaque ministre arrive avec une grande annonce, mais on n’en voit pas souvent les effets sur le terrain », pointe Isabelle Dugelet, qui est également chargée de la commission santé de l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Elle fustige ainsi le manque de concertation autour des 3 800 « docteurs juniors » (stagiaires de quatrième année de médecine) qui devraient arriver dans les communes rurales fin 2026, et le flou concernant les 5 000 maisons France santé annoncées en septembre par le premier ministre Sébastien Lecornu, depuis démissionnaire et reconduit.

Comment attirer les médecins ?

« Les mesures doivent s’adapter aux caractéristiques de chaque territoire, soutient la géographe Véronique Lucas-Gabrielli, directrice de recherche à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes). Les dispositifs type médicobus sont pertinents pour les territoires qui n’ont presque plus rien, mais là où il y a encore une offre de soins, même fragile, il faut avant tout essayer de la pérenniser en s’appuyant sur des maisons pluriprofessionnelles et des initiatives de terrain. »

À plus long terme, comment attirer les médecins en milieu rural ? En mai 2025, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi déposée par le socialiste Guillaume Garot prévoyant de soumettre les ouvertures de cabinet à une autorisation des ARS. Le texte, qui entend « stopper la progression des inégalités entre territoires », rencontre une forte opposition de l’Ordre des médecins, qui dénonce une atteinte à la liberté d’installation.

Sur le même sujet : Dossier : Déserts médicaux, que peut la loi Garot ?

À quelques jours d’intervalle, une autre proposition de loi a été adoptée au Sénat. Portée par l’élu Les Républicains (LR) Philippe Mouiller, elle propose un système de solidarité demandant aux médecins des zones denses d’exercer quelques jours par mois dans les déserts médicaux.

De son côté, la chercheuse Véronique Lucas-Gabrielli souligne l’efficacité des mesures tournées vers la formation, comme le recrutement d’étudiants ruraux ou la décentralisation des enseignements de médecine en zones sous-denses. En attendant, l’équipe du médicobus du Roannais envisage d’accueillir des internes sur les tournées pour leur permettre d’expérimenter le quotidien de la médecine rurale et, pourquoi pas, leur donner envie de s’installer à Saint-Pierre-la-Noaille.

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