« Franz K. », l’être au père rustre

Agnieszka Holland propose un portrait personnel et empathique de Kafka.

Christophe Kantcheff  • 18 novembre 2025 abonné·es
« Franz K. », l’être au père rustre
Franz K. n’a rien du biopic classique qui aurait suivi la vie de Kafka de A à Z. La cinéaste procède par tableaux, mêlant des récits biographiques, un certain nombre de visions et des scènes d’aujourd’hui.
© BAC Films

Franz K. / Agnieszka Holland / 2 h 07.

Mettre en scène la figure de Franz Kafka est un pari pour le moins audacieux. Le personnage est cerné par une imagerie considérable, outre qu’au cinéma Steven Soderbergh lui a consacré un film marquant, Kafka (1992). Mais la réalisatrice d’Europa, Europa (1990) et de Green Border (2023) n’a pas froid aux yeux. Agnieszka Holland portait en elle son Kafka depuis longtemps. Elle vient de franchir le pas pour le représenter à l’écran.

Franz K. n’a rien du biopic classique qui aurait suivi la vie de Kafka de A à Z. La cinéaste procède par tableaux, mêlant des récits biographiques, un certain nombre de visions et des scènes d’aujourd’hui. Les séquences contemporaines montrent à quel point Kafka est présent parmi nous, pas forcément par la lecture de ses livres, mais réduit à une légende kitsch, l’écrivain étant devenu une valeur touristique sûre.

Au contraire, celui qu’incarne Idan Weiss est extrêmement vivant, un homme de chair et de sang qui plaît aux femmes. Mais il est clair qu’il n’est pas adapté là où il est. Dans sa famille notamment, où il passera au total une grande partie de sa vie. Même s’il est aimé et soutenu par sa sœur cadette Ottla, Kafka est incompris.

Sur le même sujet : « Green Border », jeu tragique aux frontières

Le jeune homme à la sensibilité exacerbée se tient à son bureau dans le capharnaüm de la maison, en butte à un père rustre, méprisant la passion littéraire de son fils, désireux qu’il reprenne l’affaire familiale. Une scène résume ce dont Franz rêve à la place de cette indifférence : que son père un jour le lise, quitte à ce qu’il le gifle l’instant d’après.

Singularité

Si Kafka s’adonnant au travail d’écriture n’est pas montré, son aspiration à la reconnaissance littéraire l’est, à l’encontre du mythe de l’écrivain s’opposant à la publication. La cinéaste joue avec plusieurs esthétiques (dont l’expressionnisme, qui était exacerbé chez Soderbergh), y compris le grotesque, davantage pour évoquer une atmosphère psychologique ou cérébrale. Étrange idée, et plutôt malheureuse : la transposition à l’écran de La Colonie pénitentiaire, qui abrase l’imaginaire.

Un Kafka éloigné des clichés et rendu à sa singularité.

Le Kafka vraiment heureux se situe à la fin de sa vie, malgré la maladie qui va le tuer. Son bonheur se nomme Milena, femme indépendante et amoureuse. « Kafka a emporté les clés de son œuvre avec lui. » Cette phrase prononcée dans les séquences d’aujourd’hui indique la visée de Franz K. : approcher les questionnements d’un univers littéraire en dressant un portrait personnel et empathique de son auteur, éloigné des clichés et rendu à sa singularité. C’est ce à quoi parvient Agnieszka Holland.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes