Comment comprendre le succès de l’extrême droite chilienne
La victoire probable d’un admirateur de Pinochet au Chili n’est pas dépourvu d’enseignements pour nous
dans l’hebdo N° 1889 Acheter ce numéro

© Marvin RECINOS / AFP
Longtemps, le Chili fut la grande affaire de la gauche française. C’était au temps d’Augusto Pinochet, quand le plus épouvantable des dictateurs latino-américains (la concurrence était rude avec l’Argentin Videla) avait installé son pouvoir sur la dépouille de l’héroïque Salvador Allende, avant de torturer et d’assassiner quiconque ressemblait à un démocrate. On croyait cette époque révolue. Et voilà que l’élection présidentielle du 16 novembre place en position de grand favori pour le second tour un homme qui se réclame fièrement de l’héritage du défunt tortionnaire.
José Antonio Kast coche toutes les cases du parfait facho : fils de nazi, admirateur de Pinochet, ultralibéral en économie, ultraconservateur sur les questions sociétales, opposé à l’avortement même en cas de viol, partisan de la vente d’armes et de la loi du talion, férocement anti-immigrés… j’en passe et des pires.
Tel est l’homme qui talonne la sociale-démocrate sous étiquette communiste Jeannette Jara. Le report des voix de deux candidats de droite et également d’extrême droite (un autre fils d’immigré allemand !) devrait lui assurer le 14 décembre une confortable victoire. Cette situation est saturée de symboles. On en retient ce qu’on savait déjà : la mémoire est un vaccin dont l’effet s’use vite. Elle est peu de chose contre la propagande et une réalité cyniquement exploitée.
Par-delà les frontières et les océans, le ressort des extrêmes droites est toujours le même : la peur. Peur d’une criminalité en effet en hausse dans un pays où pourtant elle reste faible. Peur d’une immigration que les démagogues amalgament à l’insécurité.
C’est l’éternelle loi du bouc émissaire qui fait de l’autre un coupable facile, exonérant nos sociétés de s’interroger sur les politiques antisociales. Il y a bien sûr d’importantes différences entre la France et le Chili. Chez nous, l’extrême droite a dû faire l’effort de se « relooker », selon le mot consacré. Allez placer Bardella et « fasciste » dans la même phrase, et vous aurez une protestation indignée et un procès. C’est pourquoi on ne le dira pas ici.
L’obsession xénophobe de notre extrême droite et l’influence grandissante de la galaxie Bolloré ont avec le discours de José Antonio Kast plus que des ressemblances.
Pour Kast, en revanche, ce n’est pas loin d’être un compliment. Il y a bien sûr un tropisme chilien de pronunciamiento (coup d’État militaire). C’est la longue histoire d’un pays colonisé, des conquistadors jusqu’à la doctrine Monroe, ce président (1758-1831) qui avait fait de l’Amérique latine la chasse gardée des États-Unis. Et, au Chili, depuis Pinochet, le « ménage » n’a jamais été fait. Le dictateur est mort dans son lit après avoir été nommé sénateur « à vie ». Il n’a eu maille à partir avec la justice internationale que pour avoir imprudemment mis un pied à Londres en 1998.
Un rapport a bien été établi sur les meurtres et la torture de son régime, mais les témoignages recueillis ne peuvent toujours pas être utilisés dans le cadre de procédures judiciaires. Il faut dire un mot aussi de la conjoncture internationale. Pinochet n’a pas été un pur produit chilien. En 1973, son coup d’État a été parrainé par le tandem Nixon-Kissinger.
Les « Chicago boys », et l’économiste Milton Friedman, idéologues de l’ultralibéralisme, ont inspiré sa politique, après que la présidence d’Allende eut été sabotée par une propagande férocement anticommuniste et des grèves de syndicats de camionneurs à la réputation sulfureuse.
L’interventionnisme états-unien revient en force aujourd’hui, moins discret que jadis. Là où Kissinger et la CIA ourdissaient de subtils complots, Donald Trump envoie un porte-avions géant en mer des Caraïbes. Hélas, la « gauche » que vise Trump au Venezuela n’a pas la noblesse et la sincérité d’un Salvador Allende. Le régime de Nicolàs Maduro est un autre genre de dictature qui n’est guère attrayant pour les pays voisins.
Or, c’est précisément l’afflux de nombreux Vénézuéliens fuyant la dictature de Maduro qui est rejetée au Chili et fait argument à Kast. Le Chili est certes un pays de l’extrême. Comme si sa géographie, prise entre le Pacifique et la cordillère des Andes l’y condamnait. Mais sa singularité ne doit pas nous empêcher de tirer quelques leçons du scrutin de dimanche.
L’obsession xénophobe de notre extrême droite et l’influence grandissante de la galaxie Bolloré ont avec le discours de José Antonio Kast plus que des ressemblances, aggravées par la pétaudière créée par Macron. Les digues morales sont fissurées de toutes parts. Nous n’avons pas, que je sache, de fils de nazi dans notre casting politique, mais nous avons des nostalgiques de l’Algérie française et des dévots de Pétain. À chacun sa tradition.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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