COP 30 : « Nous, citoyens équatoriens, ne recevons pas la protection qui nous est due par l’État »
En Équateur, les conséquences sanitaires l’exploitation d’hydrocarbure, qui pollue l’air et les eaux, sont connues depuis des décennies. Leonela Moncayo, 15 ans, mène un combat contre ces torchères avec les Guerrières de l’Amazonie. Témoignage.

© Patrick Piro
Dans le même dossier…
COP des peuples : un mouvement mondial contre les grands barrages Devant une usine de pesticides BASF, paysans, malades et médecins dénoncent « une guerre chimique »Elle donne son âge, on lui fait répéter, pas certain d’avoir bien compris : 15 ans. Leonela Moncayo, telle une chauffeuse de salle chevronnée, vient de soulever les applaudissements nourris de la salle. Le Tribunal des droits internationaux de la nature (1) tenait à Belém son ultime séance, le 11 novembre dernier, importante mobilisation lors d’une « COP citoyenne » qui en a recensé plusieurs dizaines depuis le début novembre dans la ville brésilienne où se tient la COP 30 officielle. L’école de Leonela lui avait accordé une semaine de congés afin qu’elle puisse venir témoigner de sa lutte contre la pollution par les hydrocarbures en Équateur.
Processus citoyen conduit depuis deux ans par la Global alliance for the rights of nature (GARN), en vue de faire reconnaitre la Nature comme un sujet de droit.
Je suis une militante de la défense de l’Amazonie équatorienne. Dans ma région de Sucumbíos, nous sommes confrontés au problème de la pollution liée à l’exploitation des hydrocarbures, et notamment aux « torchères de la mort ». Au cours du processus d’extraction du pétrole, on brûle le gaz qui l’accompagne, à l’air libre, par des torchères qui libèrent des toxines très puissantes, responsables de maladies telles que le cancer et d’autres affections très graves. Des enfants sont au nombre des personnes touchées par cette pollution. En effet, certaines torchères sont installées à proximité d’établissements scolaires, ce qui est particulièrement préoccupant !
Il y a cinq ans, nous avons commencé notre lutte en portant plainte contre le gouvernement équatorien pour violations des droits humains et dommages environnementaux. Nous avons mené des études pendant des mois, pour déterminer le nombre exact de torchères, les composants les plus toxiques qu’elles émettaient et l’impact de leur présence.
Au départ, nous étions une dizaine de Guerrières pour l’Amazonie, toutes issues de la colonisation, mais depuis, nous avons été rejointes par six filles de différentes nationalités autochtones. Nous vivons dans des provinces différentes, et nous rencontrons toutes le même problème de pollution par les torchères. Nombre d’entre nous vivent à proximité. Il arrive qu’elles soient installées à l’intérieur même du territoire d’une communauté.
Reconnues par la justice
Quand la procédure judiciaire a débuté, nous avons reçu le soutien de l’organisation UDAPT (2), qui nous a fourni des avocats. Nous avons perdu en première instance mais nous avons obtenu gain de cause en appel en 2021. Et ce n’est pas un, mais plusieurs juges qui ont statué en notre faveur.
UDAPT : Unión de Afectados y Afectadas por las Operaciones Petroleras de Texaco, soit Union des personnes affectées par les opérations pétrolières de Texaco, qui a mené une lutte historique contre cette entreprise, et dont les parents de Leonela sont militant·es.
En effet, l’État équatorien a de nombreuses obligations, comme celle de réaliser des études sur la qualité de l’eau et de fournir une eau potable à la population. Lors du dépôt de notre plainte, tous les représentants du gouvernement ont nié que l’eau de l’Amazonie équatorienne soit impropre à la consommation. Nous, citoyens, habitants de cette région, savions pertinemment qu’il s’agissait d’un mensonge collectif ! L’eau de pluie même est inutilisable, contaminée par les émanations des torchères. L’eau des rivières pose autant de problèmes. Non seulement à cause des torchères, mais aussi en raison des marées noires, quasi quotidiennes en Amazonie.
En clair, alors que nous sommes cernés par de nombreuses formes de pollution, le gouvernement « ignore » la réalité dans laquelle nous vivons. Les règles environnementales l’obligent également à entretenir les espaces de nature soumis à ces activités néfastes. Par ailleurs, le secteur de l’énergie et des mines est responsable de l’élimination complète des torchères.
Nous avons connu trois gouvernements successifs : aucun n’a assumé ses responsabilités, aucun ministère n’a entrepris la moindre action.
Enfin, les autorités sanitaires doivent recenser le nombre précis des personnes atteintes de cancer en Amazonie équatorienne. Or, elles ont affirmé qu’il n’y en avait aucune, ce qui est particulièrement révoltant ! Elles auraient également dû construire un centre local de traitement pour les personnes atteintes de cancer : aujourd’hui, elles n’ont d’autre solution que de se rendre à Quito, Cuenca ou Guayaquil afin d’y recevoir des soins, au prix de trajets de 12 à 14 heures ! Car en dépit de sa productivité, tant agricole que pétrolière, notre province est abandonnée, c’est une zone sacrifiée. Nous manquons d’éducation, d’hôpitaux, de routes. C’est tout simplement inadmissible !
Le jugement reconnaît également la violation des droits de la population. Et l’un des plus fondamentaux est le droit à une vie digne, protégée de la pollution.
Inaction des gouvernements
Alors, est-ce terminé ? Eh bien pas vraiment, l’affaire n’est pas close. Le jugement est, certes, une victoire claire, mais petite seulement. C’est le début d’un long chemin à parcourir. Il faut maintenant obtenir le respect de la décision des juges, et l’élimination totale des torchères. À ce jour, nous n’avons obtenu, concrètement, que les documents liés à la procédure. Tout au long de ce parcours, nous avons connu trois gouvernements successifs : aucun n’a assumé ses responsabilités, aucun ministère n’a entrepris la moindre action. Nous ne recevons toujours pas la protection qui nous est due, citoyens équatoriens.
C’est pourquoi nous souhaitons aujourd’hui porter l’affaire à l’échelon international, car il est désormais évident que nous luttons contre le même ennemi, sur le terrain et au sein du gouvernement. Nous allons donc rassembler un maximum d’informations et de données afin d’interpeller des instances internationales qui pourront faire pression sur le gouvernement afin qu’il remplisse tout simplement ses obligations (3).
Amnesty international, entre autres, a exigé en 2024 que le gouvernement équatorien assure la sécurité de Leonela, après qu’un engin artisanal a explosé devant le domicile familial. Les autorités ont demandé en échange que Leonela et les jeunes filles abandonnent leur combat. Ce qu’elles ont refusé de faire.
Nous avons conscience que ce processus pourra prendre plusieurs années avant de pouvoir faire plier le gouvernement. En attendant, nous nous faisons connaître à l’étranger, ce qui contribue également à exercer une influence sur les autorités locales. Par ailleurs, nous continuons à nous implanter dans les régions, afin de sensibiliser les gens et les rallier au soutien de notre cause.
La carte blanche est un espace de libre expression donné par Politis à des personnes peu connues du grand public mais qui œuvrent au quotidien à une transformation positive de la société. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un DonPour aller plus loin…
COP des peuples : un mouvement mondial contre les grands barrages
Devant une usine de pesticides BASF, paysans, malades et médecins dénoncent « une guerre chimique »
« La mer nous remet à notre place : un existant qui ne voit pas tout »
