COP des peuples : un mouvement mondial contre les grands barrages
Organisée à Belém, la rencontre biennale des personnes affectées par les grands barrages a célébré sa structuration à l’échelle mondiale. L’objectif : affronter les nouveaux défis d’une transition énergétique qui, bien souvent, ne fait pas plus cas des populations qu’auparavant.

© IVAN PISARENKO / AFP
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COP 30 : « Nous, citoyens équatoriens, ne recevons pas la protection qui nous est due par l’État » Devant une usine de pesticides BASF, paysans, malades et médecins dénoncent « une guerre chimique »Véronique Mwezo Tsimba s’est arrêtée de parler. « Parce que je sens la rage monter en moi… » Ce 10 novembre, on travaille en petits groupes, lors de la 4ᵉ rencontre internationale des communautés affectées par les barrages et la crise climatique. Dans le gymnase du collège Cesep de Belém, une quarantaine de participant·es – paysan·nes, communautés autochtones, pêcheuses et pêcheurs, universitaires, etc. – partagent leurs succès contre des projets de centrales hydroélectriques qui lèsent les populations locales et la nature. Des succès bien souvent partiels et fragiles, car les puissants intérêts qu’affrontent les populations locales désarment rarement.
Véronique Mwezo Tsimba est une petite commerçante de poissons de la localité d’Inga, en République démocratique du Congo (RDC). Le site, sur le cours inférieur du fleuve Congo, fait briller les yeux des investisseurs, des politiques nationaux et des industriels étrangers : il pourrait en théorie délivrer le potentiel monstrueux de 43 gigawatts d’hydroélectricité, l’équivalent de 26 EPR de Flamanville, une sorte de centrale énergétique continentale que certains voient alimenter jusque l’Afrique du Sud et la Guinée.
40 000 personnes délocalisées
Deux premiers barrages, Inga 1 et Inga 2, produisent de l’électricité depuis 1972 et 1982 respectivement. « Les communautés locales ont été déplacées, sans jamais avoir été consultées ni même indemnisées correctement », témoigne Véronique Mwezo Tsimba. « Les lignes haute tension passent au-dessus de leurs têtes et elles n’ont même pas l’électricité. Nous sommes encerclés par le fleuve, mais nous n’avons pas accès à l’eau, le site est devenu une zone stratégique très surveillée. »
Un jour de 2015, elle apprend de la bouche d’une coalition d’ONG qu’il se trame à Kinshasa le projet de construction d’un troisième barrage hydroélectrique, Inga 3. Près de 40 000 personnes seraient délocalisées. « Ma colère ? C’est parce que ça risque bien d’être la même chose : on ne nous dit rien, on va devoir partir on ne sait où, et les promesses d’indemnisation ne seront jamais tenues. On nous parle de reconversion dans l’agriculture, mais l’agriculture n’a pas plus de garanties pour l’accès à l’eau que nous autres du secteur de la pêche ! »
En 2022, elle prend l’initiative de créer une association « Femmes du fleuve », pour revendiquer le droit de vivre librement des ressources des rivières. L’association rassemble aujourd’hui près de 250 femmes, et la plupart des villages concernés par les projets Inga ont constitué des comités locaux.
Le projet initial devait avoir l’appui financier de la Banque mondiale. Mais celle-ci a fait marche arrière, devant les critiques sur l’impact écologique de l’équipement. Cependant, sous la houlette de l’entreprise australienne Fortescue, le dossier a fait l’objet d’un toilettage destiné à le rendre plus présentable pour la banque, qui examine à nouveau sa participation.
Hemantha Withanage a contribué à la mobilisation de 3 000 personnes pour empêcher la construction d’une centrale hydroélectrique près de son village.
Véronique Mwezo Tsimba s’est rendue à Washington pour l’interpeller directement. « Aujourd’hui, nous n’avons plus de complexe. Je n’ai pas peur de parler, même si c’est devant le président de la République ! » Les dénonciations de la société civile ont porté, souligne l’avocate Victorine Nsimba Kilembe, secrétaire générale de l’ONG d’appui Coded. « Cette fois-ci, la population va être consultée, Femmes du fleuve au premier rang. »
Le cas Inga illustre l’analyse de Geoffrey Kamese, directeur de l’ONG ougandaise Bio vision Africa, sur de grands mouvements qui soulèvent actuellement l’Afrique. « Le continent avance à grand pas, économiquement, avec un défi clef : l’énergie. Or, le paradigme dominant, dans ce domaine, ce sont encore et toujours les barrages ! Ils ravagent les communautés, il y a des morts. Et la conflictualité s’accroît aujourd’hui, parce que partout, la nouvelle génération se soulève pour revendiquer sa part de pouvoir et de participation aux décisions. »
Drames écologiques et humains
Sur chaque continent, l’analyse de la conjoncture identifie des constantes. « La pression néolibérale s’accentue, les guerres actuelles sont le prétexte à l’imposition de nouvelles règlementations encore plus favorables au capitalisme », relève Erika Mendes, coordinatrice de l’ONG mozambicaine Justiça ambiental. « Et le groupe des BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – ne sont pas en reste, dans leur compétition avec les pays les plus riches. »
Hemantha Withanage l’a constaté au Sri Lanka. Militant écologiste des Amis de la Terre international, il a contribué à la mobilisation de 3 000 personnes pour empêcher la construction d’une petite centrale hydroélectrique près de son village. Et il s’est mobilisé contre le barrage de Moragahakanda, entré en service en 2018. Une méga retenue aux justifications économiques et politiques mêlées : elle doit alimenter en eau le Nord peu irrigué du pays, geste de réconciliation nationale après la longue guerre civile séparatiste qui a ensanglanté le pays de 1972 à 2009.
« Or la production électrique est prioritaire, il n’y a donc pas assez d’eau pour tenir les promesses faites aux populations du Nord. Alors il est prévu de dériver d’autres rivières pour combler le déficit, etc. Tous les travers habituels des grands projets de ce type sont réunis. Et qui trouve-t-on à la table des financeurs ? La New Development Bank de Shanghai, la banque officielle des BRICS… »
Le Brésil est en pointe, avec une politique dédiée et une loi unique au monde qui reconnaît des droits aux personnes affectées par les barrages.
Mexique, Guatemala, Colombie, Brésil, Thaïlande, Inde, Sri Lanka, RDC, Chili, République dominicaine, Costa Rica, Pérou, Mozambique, Argentine, Salvador, Honduras… Les quelque 200 participant·es à la rencontre, originaires de 43 pays, témoignent de dizaines de drames écologiques et humains, partout dans le monde.
« Cette réunion est un acte de mémoire des vies bouleversées par les barrages, de résistance des peuples qui refusent de se taire face à la destruction de leurs territoires, et d’engagement pour une nouvelle façon d’exister sur la planète, qui reconnaît qu’aucun progrès n’est possible si le prix à payer est la souffrance des populations et la mort des rivières », scande Giovana Cruz Mandulãó, qui représente la ministre des Peuples autochtones.
Plusieurs député·es et trois ministres du gouvernement brésilien sont venues soutenir cette rencontre co-organisée par le Mouvement des personnes affectées par les barrages (Mab, Brésil) et son équivalent latino-américain (Mar).
Sous la pression citoyenne, des processus de réparation ont été engagés dans plusieurs pays, comme en Colombie et au Guatemala. Le Brésil est en pointe, avec une politique dédiée et une loi unique au monde qui reconnaît des droits aux personnes affectées par les barrages. « Et par quel miracle, alors que le Congrès est massivement constitué d’entrepreneurs ? » ironise Rogério Correia, député fédéral qui a contribué à cette percée. « En raison de deux crimes qui ont bouleversé le pays et bien au-delà… » Le 25 janvier 2019, la rupture d’un barrage à Mariana (État du Minas Gerais) causait la mort de 272 personnes et la destruction de la rivière Rio Doce.
Le 12 novembre, après cinq journées de travail, le Mab et le Mar annonçaient la création d’un Mouvement mondial des personnes affectées par les barrages et la crise climatique. « Alors que la COP 30 réunit des gouvernements et des industriels complices dans leur mépris des personnes concernées par leurs projets, le temps est venu de constituer une résistance internationale avec les communautés de base contre ces entreprises qui envahissent nos territoires, nous expulsent et détruisent des vies », décrit Moisés Borges, représentant du Mab.
Un mouvement qui se veut aussi porteur de propositions, « pour une transition énergétique juste, qui ne doit pas reproduire les mêmes erreurs que le modèle énergétique actuel », martèle Erika Mendes.
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