« Depuis la France, je regarde mon pays, le Soudan, s’effondrer »

Salih Mo, originaire du Soudan, vit à Calais. Il raconte son déchirement de voir la guerre qui oppose deux généraux et ravage son pays depuis des mois.

• 7 novembre 2025
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« Depuis la France, je regarde mon pays, le Soudan, s’effondrer »
Des femmes soudanaises déplacées qui ont fui El-Fasher après la chute de la ville aux mains des Forces de soutien rapide (RSF) devant leur abri de fortune dans le camp d'Um Yanqur, situé à la limite sud-ouest de Tawila, dans la région du Darfour occidental, le 3 novembre 2025.
© AFP

Au Soudan, les morts encombrent les rues depuis des mois. À tel point que les Forces de soutien rapide (FSR) conduites par le général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », coupables de ces massacres, entreprennent une vaste entreprise de dissimulation de preuves. C’est le cas à El-Fasher, capitale du Darfour du Nord, où des images satellitaires ont révélé l’existence de fosses communes. À plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de là, à Calais, où vit Salih Mo, originaire du Soudan, les informations s’affichent sur son téléphone et sont constamment dramatiques. Mais il parvient malgré l’horreur à nouer des liens de solidarité avec la communauté soudanaise locale et des personnes solidaires du coin.


« Je viens du Soudan, un pays que j’ai quitté le cœur lourd, emportant avec moi les bruits de la guerre, les visages de ceux que j’aime, et l’espoir têtu de survivre. La guerre m’a tout pris, sauf la volonté de continuer. J’ai vu ma ville se vider de sa vie, j’ai entendu les cris, senti la poussière brûlante des bombardements et, un jour, j’ai compris qu’il fallait partir. Le départ n’a pas été un choix, mais une urgence. On ne quitte pas sa terre parce qu’on le veut, mais parce qu’on ne peut plus y vivre. J’ai traversé des frontières, des silences, des nuits sans sommeil. Chaque pas vers l’inconnu était un adieu.

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En arrivant en France, je croyais trouver enfin un peu de paix. Mais le destin avait encore une épreuve à m’imposer. Peu de temps après mon arrivée, j’ai eu un grave accident de la route. Ma jambe a été brisée, trois opérations ont suivi, et des mois à l’hôpital m’ont enfermé dans un autre type de guerre – celle du corps et de la patience. Allongé sur un lit d’hôpital, loin des miens, j’ai souvent pensé à la fragilité de la vie. J’avais fui les bombes pour me retrouver face à un autre combat : celui de la douleur, de la solitude, et de la lente reconstruction.

Je ne sais pas ce que nous avons fait, nous, les enfants du Soudan, pour que la vie nous punisse de toutes les manières possibles.

Avec le temps, j’ai recommencé à marcher, à rêver, et j’ai repris mes études universitaires, dans l’espoir d’achever ce que la guerre avait interrompu. Je croyais que, cette fois, la vie me laissait enfin une chance. Mais un jour, la guerre est revenue, comme une ombre que l’on ne peut fuir. Je ne sais pas ce que nous avons fait, nous, les enfants du Soudan, pour que la vie nous punisse de toutes les manières possibles.

Depuis la France, je regarde mon pays s’effondrer, encore une fois. À El-Fasher, les habitants vivent aujourd’hui un enfer. Les bombardements ne cessent pas, les civils meurent dans l’indifférence, les hôpitaux sont détruits, les enfants manquent de nourriture et d’eau. Les rues sont pleines de peur et de poussière. Chaque jour, je reçois des nouvelles terribles : des proches blessés, des familles déplacées, des quartiers entiers effacés.

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Cette douleur ne me quitte pas. Même loin, nous portons la guerre dans nos cœurs. Nous ne parvenons plus à nous concentrer, nous pensons sans cesse à ceux qui sont restés là-bas, prisonniers de la faim et du silence. Nous cherchons comment les aider, comment faire sortir nos familles de cette tragédie qui semble sans fin. Et pourtant, au milieu de cette obscurité, il y a des mains qui se tendent. Des personnes et des organisations, discrètes mais présentes, qui nous soutiennent, qui nous écoutent, et qui partagent notre douleur. Elles ne viennent pas seulement apporter une aide matérielle, mais aussi une chaleur humaine, une attention sincère. Elles ont ressenti, à leur manière, une part de notre souffrance.

Pourtant, malgré tout, je garde au fond de moi une petite lumière – celle de l’espérance, têtue, fragile, mais vivante. Parce que tant qu’on continue à raconter, à témoigner, à aimer, la guerre n’a pas totalement gagné.

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