Elena Mistrello, autrice italienne de BD expulsée : « Ce contrôle des frontières concerne tout le monde, en premier lieu les migrants »

Après son expulsion forcée en Italie, elle dénonce dans Politis les moyens de contrôle, de surveillance et de répression déployés par l’État contre les personnes migrantes et les militants.

Pauline Migevant  • 25 novembre 2025
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Elena Mistrello, autrice italienne de BD expulsée : « Ce contrôle des frontières concerne tout le monde, en premier lieu les migrants »
Dessin posté par Elena Mistrello sur son compte Instagram.
© Elena Mistrello

Vendredi 21 novembre, Elena Mistrello, illustratrice italienne de BD, a été expulsée du territoire français dès son arrivée à l’aéroport de Toulouse. Elle était invitée pour le festival BD Colomiers, à l’occasion de la traduction française de Syndrome Italie (Ed. Presque Lune), une fiction sur Vasilica, une femme roumaine venue en Italie pour travailler.

Elle pense que son expulsion pour « menace grave à l’ordre public français » est liée à sa participation à une manifestation en hommage au militant antifasciste Clément Méric en 2023. Dans une interview à Politis, elle rappelle que la répression pouvant aujourd’hui toucher les militants traversant les frontières concerne d’abord les personnes migrantes et racisées.

Que s’est-il passé quand vous êtes arrivée à l’aéroport de Toulouse vendredi dernier ?

Elena Mistrello : J’allais à Toulouse car j’étais invitée à un festival pour la sortie de ma BD en français. J’ai été bloquée à partir du moment où je suis sortie de l’avion. Trois agents de la police aux frontières m’ont dit que je représentais une menace grave à l’ordre public. J’ai été très surprise. Mais j’ai repris mon calme. J’ai dit que j’étais là pour le travail. J’ai voulu leur montrer mon invitation mais ils ne l’ont même pas regardée. Ils étaient très confiants et m’ont dit qu’il fallait que je reparte à Milan. J’ai essayé de contacter un avocat français.

Mais je n’ai pas pu le faire à temps, car tout est allé très vite. J’ai repris l’avion vers l’Italie car je ne voulais pas être enfermée en CRA [centre de rétention administrative, N.D.L.R.]. Le festival m’a tout de suite apporté du soutien. Ma maison d’édition aussi. Je n’ai eu aucune explication officielle sur les raisons de mon expulsion si ce n’est que je serais un « danger pour l’ordre public ».

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Dans votre communiqué vous avez évoqué le fait que ça pouvait être lié à votre participation à une manifestation pour les 10 ans du meurtre de Clément Méric. Pourquoi pensez-vous que les deux événements sont liés ?

Après que j’ai participé à une manifestation pour les 10 ans du meurtre de Clément Méric, en 2023, j’avais été interrogée de façon plus insistante que d’habitude quand je traversais les frontières en Europe et rentrais en Italie. D’autres camarades qui ont aussi participé à cette manifestation ont aussi vécu ça mais n’avaient pas été expulsés de pays. Depuis cette manifestation, j’avais déjà été à Paris pour une exposition au Centre Pompidou. Il ne m’était rien arrivé. Je considère que la semaine dernière la police a agi de façon arbitraire et injuste.

Les gouvernements utilisent d’abord leurs instruments de contrôle, de surveillance et de répression sur les personnes migrantes et les personnes racisées.

Comment percevez-vous le fait que la liberté de circulation sur laquelle s’est fondée l’UE en ôtant ce droit aux personnes migrantes, soit remise en cause pour les militants ?

Cette question de la liberté de circulation est très importante. J’ai participé récemment à une manifestation contre notre équivalent des CRA et leur délocalisation en Albanie. Il faut insister sur le fait que les gouvernements, avant de s’en prendre aux militants, utilisent d’abord leurs instruments de contrôle, de surveillance et de répression sur les personnes migrantes et les personnes racisées, qui n’ont souvent aucun moyen de se défendre.

Ces instruments ont toujours été utilisés contre les militants, mais ces dernières années, leur utilisation s’est intensifiée et normalisée. Au cours des derniers mois et des dernières années, nous avons vu avec quelle facilité ces instruments ont été utilisés contre le mouvement de soutien à la Palestine ou contre les antifascistes.

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Pensez-vous que ce soit lié à la montée des politiques d’extrême droite ?

La montée de l’extrême droite contribue certainement à la criminalisation des antifascistes, mais en ce qui concerne le contrôle des frontières, celui-ci existait déjà auparavant. Les gouvernements veulent normaliser ce type de pratiques, faire croire qu’elles sont légitimes et incontestables. Je suis convaincue que ces incidents sont également le symptôme d’un climat de guerre et d’une militarisation de plus en plus évidente et omniprésente.

Je suis convaincue que ces incidents sont également le symptôme d’un climat de guerre.

Allez-vous engager des procédures pour comprendre plus précisément ce qui a permis votre expulsion ?

Je vais engager une procédure judiciaire avec mon avocat en France. Ce qui m’est arrivé est très préoccupant pour la liberté de manifester et la liberté de circulation. C’est important non seulement pour moi, mais aussi parce qu’il est important que les gens sachent comment se déroulent ces procédures de surveillance et de contrôle préventifs. Je suppose que le ministère italien de l’Intérieur a également sa part de responsabilité dans le fait de fournir à la France des « noms » à surveiller de près. Il est donc important de faire pression pour que ces procédures soient connues.

Que voulez-vous ajouter ?

Cette histoire ne me concerne pas seulement moi. Bien sûr, elle a une incidence sur mon travail. Mais ce qui me semble important, c’est de dire que ce système de surveillance et de contrôle des frontières concerne tout le monde, en premier lieu les migrants et les personnes racisées, mais aussi tous ceux qui ont une pensée critique à l’égard des politiques européennes.

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