Le logement, laboratoire du futur

Alors que les expulsions locatives atteignent des niveaux historiques, l’urgence sociale s’étend, et la promesse d’un logement digne se fissure pour des milliers de personnes.

Fabienne Brugère  • 22 novembre 2025
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Le logement, laboratoire du futur

Le rôle du ministère du Logement couvre plusieurs domaines liés à l’accès à un toit, à la rénovation des bâtiments, à l’aménagement du territoire ainsi qu’à la lutte contre l’habitat indigne. Ainsi, il veillerait non seulement à rendre nos intérieurs plus habitables (par exemple moins énergivores), mais aussi à faciliter l’accès au logement et à mettre au point des programmes de lutte contre les habitations insalubres.

L’ancien ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, a assumé dans une publication sur X un « record d’expulsions » avec, en 2024, près de 25 000 ménages expulsés, soit 29 % de plus en un an et 223 % de plus qu’il y a vingt ans. Alors, on imagine telle famille avec enfants qui se retrouve à la rue, telle personne âgée vivant seule et ne sachant où aller, ou tel étudiant dont les parents ne peuvent pas — ou ne veulent pas — financer les études et qui se demande désormais où dormir. L’accès au logement devient absence de protection, revendiquée et exhibée, comme si la seule loi de l’humanité était comptable.

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Je ne reproche pas l’application d’une loi — après tout, notre société est structurée par la propriété, et les propriétaires veulent récupérer leur loyer ; de même, le renforcement de la lutte contre les squatteurs est important. Mais comment un ministre peut-il ne pas donner de signes en faveur d’une politique du logement pour celles et ceux qui traversent des vulnérabilités, des accidents de vie ou font face à un marché devenu pour eux inaccessible ?

Pourquoi, dans ces conditions, ne pas promouvoir de nouvelles formes d’habitat collectif, adaptées aux besoins et situations ?

Le répit, un privilège devenu rare

Dans Une chambre à soi, Virginia Woolf défend l’idée que l’égalité entre hommes et femmes suppose l’indépendance financière des femmes et la possibilité de disposer d’un lieu à elles. Avoir un chez-soi, c’est pouvoir construire un rapport à soi en dehors des urgences de la production capitaliste. C’est un privilège permettant de se reposer du tumulte du monde et de rêver. Quand l’actuel ministre du Logement affirme vouloir soumettre les HLM aux baux « 3-6-9 » pour favoriser la mobilité et la rotation, il s’agit d’introduire toujours plus de surveillance sur les locataires. Le répit est un privilège de classe.

Pourtant, on sait que dans les grandes métropoles, il devient de plus en plus difficile de trouver un chez-soi, même avec un travail, un salaire et une vie dite « normale ». Pourquoi, dans ces conditions, ne pas promouvoir de nouvelles formes d’habitat collectif, adaptées aux besoins et situations ? Les propositions existent : au-delà des habitations à loyers modérés, des résidences étudiantes ou des foyers pour travailleurs, il y a l’habitat intergénérationnel, participatif, ou encore l’habitat d’urgence soucieux du « chez-soi » des sans-abri.

Par exemple, le coliving se développe à Paris, plutôt pour de jeunes actifs, qui disposent d’une chambre privée au sein d’une organisation collective dotée de services dédiés (espaces de travail partagés, salles de sport), à un tarif inférieur de 20 % aux loyers traditionnels.

Un ministre du Logement devrait suivre ces nouvelles expériences de très près, comme un laboratoire du futur : voir à qui elles s’adressent, se demander comment en faire bénéficier d’autres populations, tout en continuant à financer l’habitat social. Car un ministre du Logement ne devrait pas avoir de répit tant que des gens dorment dans la rue. Il devrait porter en tête une forme de bien-être républicain, lequel ne se résout pas exclusivement en chiffres.

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