Les Jeunes de Belleville « en lutte jusqu’à la victoire »

Pour la Journée internationale des droits de l’enfant, environ 300 personnes ont manifesté à Paris à l’appel du collectif des Jeunes de Belleville. Encore marqués par l’expulsion violente de la Gaîté lyrique en mars dernier, ils ont dénoncé les violations des droits des mineurs isolés en France.

Pauline Migevant  • 21 novembre 2025 abonné·es
Les Jeunes de Belleville « en lutte jusqu’à la victoire »
Les jeunes de Belleville, expulsés de la Gaîté lyrique en mars, ont manifesté le 20 novembre, date de la Journée internationale des droits de l'enfant.
© Pauline Migevant

La nuit n’est pas encore tout à fait tombée place de la République, ce 20 novembre, quand les Jeunes de Belleville et leurs soutiens sortent les banderoles d’une camionnette blanche, jeudi 20 novembre. « La honte à ce pouvoir qui fait la guerre aux mineurs isolés. » C’est la Journée internationale des droits de l’enfant et ils ont appelé à une manifestation.

Parmi les jeunes, Mamadou, 17 ans. Le froid est mordant et son visage disparaît presque dans la capuche de sa doudoune et son cache-cou violet. Malgré l’acte de naissance qu’il avait avec lui quand il est arrivé en France, Mamadou a dû batailler pour être reconnu comme mineur. « Les évaluations des jeunes, c’est de plus en plus compliqué. Et les recours c’est de plus en plus long », souffle-t-il. Il en sait quelque chose. Lors des évaluations, dit-il, on pose des questions auxquelles « tu ne peux pas répondre ».

Sur le même sujet : Jeunes du parc de Belleville : « Nous sommes abandonnés par l’État »

« Ces procédures, souvent basées sur l’apparence physique ou des examens médicaux peu fiables et menées sans la présence d’un adulte de confiance, d’un tuteur ou d’un avocat ne sont pas suffisamment fiables et ne comportent pas de garanties suffisantes », estime le comité pour les droits de l’enfant de l’ONU dans un rapport d’octobre dernier. L’évaluation de Mamadou s’est soldée par un refus et il a dû passer six mois dans la rue avant que la juge le reconnaisse mineur.

On se sent de plus en plus rejetés par l’État et la mairie.

Alhassane

Désormais, il suit un CAP peinture et fait une alternance avec un « patron qui est bien ». Il a aussi un logement. D’autres jeunes dorment à la rue, notamment dans un campement près d’un pont. Et le nombre de ceux qui arrivent chaque semaine ne cesse d’augmenter. Ils seraient entre 200 et 500.

(Toutes photos : Pauline Migevant.)

« On se sent de plus en plus rejetés »

« L’année passée, lors de l’occupation de la Gaîté lyrique, on avait espoir, même si c’était difficile », se souvient Mamadou. « Les jeunes avaient un endroit pour se retrouver et s’abriter du froid. Mais depuis l’expulsion, il n’y a plus trop d’espoir. On se sent de plus en plus rejetés par l’État et la mairie. » La banderole en tête de cortège indique : « Mineur.es isolé.es en lutte jusqu’à la victoire ». Les tapeurs accompagnent en battant les tambours. Tous revendiquent le droit au logement, à l’éducation, au transport.

Sur le même sujet : Alhassane : « La gauche doit quitter ses bureaux et lutter avec nous »

Alhassane est perché sur la camionnette. Il lance un slogan devenu emblématique du collectif : « Petits piments, on n’est pas beaucoup mais on est forts. » Au total, environ 300 personnes sont présentes ce soir. Une femme distribue un tract pour Zehra Kurtay, journaliste turque en grève de la faim pour retrouver son statut de réfugiée, perdu en mai dernier.

Nader Ayache, réalisateur tunisien lui aussi en grève de la faim pour son droit au séjour, est là. Il dit avoir été « inspiré par tous ces jeunes » qu’il a soutenus lorsqu’ils occupaient la Gaîté lyrique. Présents également, des membres de la Marche des solidarités, de Révolution permanente, de la CGT ou encore de l’UJFP, ou des jeunes de l’aide sociale à l’enfance.

Violations « graves et systématiques » des droits des mineurs isolés

La France est régulièrement pointée du doigt pour ne pas respecter les conventions internationales relatives aux mineurs isolés. Mi-octobre, le comité des droits de l’enfant des Nations unies a dénoncé les violations « graves et systématiques » des droits des mineurs isolés par la France. Pour cette Journée des droits de l’enfant, les associations n’ont pas manqué de dénoncer d’autres violations de droits fondamentaux.

« La France enferme des enfants aux frontières françaises, que ce soit dans les zones d’attente ou des postes de police aux frontières franco-italienne et franco-espagnole » a rappelé l’Anafé, association de défense des droits des personnes étrangères aux frontières. D’après l’association, au 1er semestre 2025, la France a enfermé 282 enfants dans les zones d’attente. Parmi eux, 84 mineurs isolés et 198 mineurs accompagnés.

Sur le même sujet : À Orly, en zone d’attente, avec les mineurs étrangers privés de libertés

« En cette journée internationale des droits de l’enfant, 7 enfants sont actuellement enfermés dans la zone d’attente de Roissy » poursuit l’association dans un communiqué. Quant aux centres de rétention administrative (CRA), la France a fini par y interdire l’enfermement des mineurs, dans la loi asile et immigration de 2024, après avoir été condamnée à de multiples reprises par la Cour européenne des droits de l’homme. À Mayotte la pratique reste autorisée jusqu’en 2027. Mais dans les faits, des mineurs non reconnus comme tels par l’État sont toujours enfermés dans ces lieux.

« On ne peut que lutter »

À la manifestation, les slogans ne faiblissent pas : « Et pierre par pierre et mur par mur, nous détruirons les centres de rétention » ; « Égaux, égales, personne n’est illégal ». Quand le cortège passe à proximité de la Gaîté lyrique, les jeunes crient « on n’oublie pas on ne pardonne pas ».

Pendant la manifestation, les jeunes lancent des slogans comme « égaux, égales, personne n’est illégal ».

Le 18 mars dernier, l’intervention violente de la police au petit matin a mis fin à l’occupation du lieu culturel, qui durait depuis plus de trois mois. Les violences commises ce jour-là ont donné lieu à l’ouverture d’une enquête, suite à des signalements à l’IGPN. Au moment de l’expulsion, 25 jeunes ont écopé d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) qu’ils ont ensuite contestée et fait annuler devant le tribunal administratif.

Sur le même sujet : Gaîté lyrique : l’expulsion de la honte

Pas loin du centre Pompidou, une femme qui vit à la rue rejoint en courant le cortège. « Je m’en fous si je me fais voler », dit-elle en désignant « sa maison » faites de couvertures, posées sous un pas-de-porte qui l’abrite à peine de la pluie. Elle aussi crie : « Police partout, justice nulle part », fatigue dans les yeux et colère dans la voix.

Nous sommes les premières personnes à en subir les conséquences mais après ce sera vous.

Blaye

À la fin de la manifestation, quelques prises de parole s’enchaînent. « Aujourd’hui, on a décidé que ces intimidations que ce soit les OQTF, les violences policières, les destructions de campement ne passeraient plus. On ne peut que lutter », lance Blaye, délégué du collectif de Belleville, déterminé.

Plusieurs collectifs de mineurs manifestaient hier dans d’autres villes. Comme pour interpeller les passants intrigués par la manifestation qui se termine à deux pas du centre Pompidou, il prévient de la montée en puissance des politiques d’extrême droite : « Nous sommes les premières personnes à en subir les conséquences mais après ce sera vous. »

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Pour aller plus loin…

À Échirolles, le Village 2 santé prend soin des habitants « fracassés par le système »
Reportage 21 novembre 2025 abonné·es

À Échirolles, le Village 2 santé prend soin des habitants « fracassés par le système »

Implanté au sein d’un quartier populaire d’Échirolles, en périphérie de Grenoble, un centre de santé communautaire soigne les habitants en prenant en compte les inégalités sociales. Un projet dans lequel les habitants sont pleinement investis.
Par Pauline Migevant
Franco : une récupération aux mille visages
Extrême droite 20 novembre 2025 abonné·es

Franco : une récupération aux mille visages

Quarante ans de dictature franquiste ont imprimé en profondeur la société espagnole. Son empreinte, décryptée par l’historien Stéphane Michonneau, pèse aujourd’hui sur le débat politique, en y insufflant les relents nauséabonds du fascisme. Même si le franquisme est maintenant poursuivi par la loi.
Par Olivier Doubre
Le 22 novembre, nous ne marcherons ni avec l’extrême droite ni avec les sionistes !
Féminisme 20 novembre 2025

Le 22 novembre, nous ne marcherons ni avec l’extrême droite ni avec les sionistes !

Cette tribune a été rédigée par une inter-organisation féministe antiraciste, anticoloniale, antifasciste composée des collectifs suivants : #NousToutes IDF, Le CLAF, Du Pain et des Roses, Extinction Rebellion France, Feministes révolutionnaires, Jeunes Écologistes IDF, Observatoire des violences dans l’enseignement supérieur, OuTrans, Relève féministe, Revolution féministe Versailles, Tsedek !, Urgence Palestine.
« J’arrêterai ma grève de la faim le jour où j’aurai un titre de séjour »
Entretien 19 novembre 2025

« J’arrêterai ma grève de la faim le jour où j’aurai un titre de séjour »

Nader Ayache, réalisateur tunisien, a entamé depuis le 16 novembre une grève de la faim pour réclamer un titre de séjour. À Politis, il témoigne de la nécessité de « mettre en lumière » son cas, « qui est un cas parmi les 140 000 OQTF délivrées chaque année » par la France.
Par Pauline Migevant