À Valence, l’extrême droite Vox surfe sur les inondations

Un an après la crue meurtrière d’octobre 2024, les habitants de Paiporta sont amers de la gestion de la tragédie par les autorités qui a dévasté la ville. Le parti d’extrême droite Vox a su tirer parti de ce désarroi.

Pablo Castaño  • 28 novembre 2025 abonné·es
À Valence, l’extrême droite Vox surfe sur les inondations

Les habitants de Paiporta, l’une des communes les plus touchées par la crue meurtrière du 29 octobre 2024, sont partagés entre l’espoir et le découragement. La ville située dans la banlieue sud de Valence a ressuscité après avoir été entièrement ravagée par une vague d’eau et de boue qui a coûté la vie à 229 personnes dans la région. La tragédie reste visible dans les rues et ses conséquences politiques perdurent.

Vicente, mécanicien, a failli se noyer dans son atelier, situé près du ravin de Poyo, qui a débordé. Il a été sauvé et a pu rouvrir son entreprise   grâce aux aides publiques, à l’argent de l’assurance et à un prêt, explique-t-il. Je ne peux pas me plaindre. » Toni, le président de ­l’Association des commerçants du village et propriétaire d’une papeterie, partage cet optimisme : « 95 % des commerces ont rouvert et de nouveaux établissements ont aussi ouvert, presque tous les locaux sont occupés. Il y a eu des aides [économiques], mais les administrations ont été lentes. »

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Par cette matinée ensoleillée de novembre, les habitants font leurs courses et les terrasses des cafés sont pleines. Pourtant, le bruit des scies, des marteaux et des machines est plus fort que d’habitude dans une cité par ailleurs tranquille. Dans de nombreuses maisons ravagées par la vague qui a charrié jusqu’à trois mètres d’eau, de boue et de déchets, le rez-de-chaussée est toujours en travaux. « Ma maison est dans le même état que le premier jour. Je vis à l’étage, avec les aides, mais je n’ai pas assez d’argent », s’indigne une femme qui attend son fils à la sortie d’une école maternelle, proche du ravin.

L’insuffisance des aides a poussé Carmen et Teresa, des retraitées, à distribuer de la nourriture et d’autres ressources à ceux qui en ont besoin. « Nous donnons à manger à trois cents familles qui vivent en rez-de-chaussée et qui essaient de reconstruire leur maison. Elles n’avaient pas d’assurance et ont besoin d’aide », expliquent-elles.

L’argent est là, mais il n’est pas utilisé avec la rapidité nécessaire.

Mireia

Mireia, qui attend aussi son fils, se plaint de la lenteur de la reconstruction. « L’argent est là, mais il n’est pas utilisé avec la rapidité nécessaire. Les rues, l’auditorium, le complexe sportif sont dans le même état qu’avant. La ville ne va pas bien. » La garderie est maintenant en parfait état, mais elle a failli s’effondrer à cause de l’inondation. Elle est restée fermée jusqu’en juillet dernier. Le métro n’a pas non plus fonctionné pendant des mois, la crue ayant détruit un pont qu’il a fallu reconstruire.

Carmen estime aussi que la reconstruction est trop lente pour « les trottoirs, les rues, les jardins, les arbres, etc. Ce qui est bien réparé, c’est parce que des particuliers ont payé : le terrain de foot financé par le Barça [la fondation du club de football catalan, NDLR], et les jardins pris en charge par Juan Roig [quatrième fortune d’Espagne et propriétaire des supermarchés Mercadona, N.D.L.R.] ».

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De nombreuses machines travaillent dans le lit du ravin, aujourd’hui à sec, pour éviter qu’il ne redevienne un piège mortel. « Il y a beaucoup de peur, affirme Toni. Les routes et les égouts sont en train d’être remis en état, mais nous ne savons pas si les travaux effectués empêcheront que la même chose se reproduise. » En effet, l’Horta Sud, communauté de villes dont fait partie Paiporta, est très densément peuplée, et la majorité des logements et des infrastructures sont construits dans des zones inondables.

« Le train passe, il y a des centres commerciaux, des zones industrielles… La croissance urbaine a été totalement sauvage pendant les années du franquisme », explique Víctor Maceda, auteur du livre Les Cicatrices de Valence, où il compare les effets de l’inondation de 2024 avec ceux de la grande crue de 1957, qui avait provoqué 81 morts.

Le rôle crucial des bénévoles

La mairie de Paiporta, faisant partie de la « ceinture rouge » de Valence et gouvernée par le Parti socialiste (PSOE) et Compromís, un parti régionaliste de gauche, veut profiter de la reconstruction pour mieux adapter la ville aux pluies torrentielles, propres au climat de la zone mais de plus en plus fortes et fréquentes à cause du réchauffement climatique. Il s’agit de « renaturaliser des terrains sportifs, d’avoir des parcs inondables et des zones qui peuvent absorber une partie de l’eau lors de fortes pluies », explique Marian Val (Compromís), maire-adjointe responsable de la reconstruction.

Ça a été très dur de voir qu’une terre où il a toujours été facile de vivre peut soudain devenir un piège mortel.

M. Val

A contrario, les leçons de la catastrophe ne semblent pas avoir été assimilées par le Parti populaire (PP) et Vox, qui détiennent la majorité parlementaire dans la région. « Deux semaines après [l’inondation], le Parlement valencien a approuvé la possibilité de construire des hôtels à 200 mètres de la côte – auparavant, c’était 500. La députée qui a défendu cette mesure avait été maire de Benetússer, l’une des municipalités les plus touchées », raconte Víctor Maceda.

Les dégâts matériels s’ajoutent à la crise de santé mentale. Plus de 30 % des enfants des zones touchées craignent encore la pluie, et les difficultés de concentration ou l’isolement social ont augmenté, selon un rapport de Save the Children et de l’université de Valence. « Ça a été très dur de voir qu’une terre où il a toujours été facile de vivre peut soudain devenir un piège mortel », analyse la maire-adjointe, qui voit pourtant des signes d’amélioration : « Nous retrouvons peu à peu la joie. »

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Tous sont d’accord sur un point : la gratitude envers les milliers de bénévoles venus de tout le pays pour fournir de l’eau et de la nourriture à la population. « Je ne me souviens pas de leurs visages parce qu’à ce moment-là j’étais traumatisé, mais je ne pourrai jamais assez les remercier pour l’aide qu’ils m’ont apportée, j’en ai encore les larmes aux yeux rien que d’y penser », s’émeut Vicente. Piedad a appelé son commerce, qui semble tout neuf après les travaux, Cafétéria Los Voluntarios (Les Bénévoles). « Ce sont les seuls qui nous ont aidés », dit-elle.

Le principal pont qui traverse le ravin est couvert de bougies en souvenir des défunts – 56 dans ce village de 25 000 habitants – et plusieurs banderoles proclament : « 20 h 11, ni oubli ni pardon ». Elles font référence à l’heure à laquelle la Généralité valencienne (le gouvernement régional) a envoyé sur les téléphones portables l’alerte aux pluies torrentielles, alors que des dizaines de personnes s’étaient déjà noyées. Le président de la région, Carlos Mazón (PP), a démissionné le 3 novembre dernier, après douze manifestations massives exigeant son départ. Lors des funérailles nationales pour les victimes, plusieurs de leurs proches ont fulminé contre le dirigeant, qualifié d’« assassin ».

Croissance de l’abstention

Les derniers sondages régionaux montrent l’usure de son parti dans l’opinion publique. Le parti libéral-conservateur perdrait six députés par rapport aux élections de 2023, mais resterait la force politique majoritaire. Les partis de gauche sont crédités d’un siège de plus. Mais le grand bénéficiaire reste le parti ­d’extrême droite Vox, avec une projection de quatre députés supplémentaires. Les sondages prévoient aussi une croissance de l’abstention, qui atteindrait 40 %.

L’extrême droite a été très rapide pour donner des explications sur ce qui s’était passé, elle a répandu des rumeurs.

C. Monleón

« Un germe antipolitique de tendance fasciste s’est développé, alerte la sociologue Carla Monleón. L’extrême droite a été très rapide pour donner des explications sur ce qui s’était passé, elle a répandu des rumeurs. Dans un moment de tel chaos et de désinformation, un récit comme le sien attire énormément de monde. » Aux côtés des milliers de bénévoles, dans les jours suivant la crue, des militants et des communicants d’extrême droite sont arrivés dans la zone, explique le journaliste Víctor Maceda : « Des gens qui ont des chaînes YouTube avec beaucoup d’abonnés sont venus diffuser des théories conspirationnistes, pour intoxiquer. » L’inefficacité des administrations a fait le reste.

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« Les grands perdants sont les partis traditionnels, parce que le PP gouvernait à la Generalitat et le PSOE au gouvernement espagnol », argumente Víctor Maceda. Vox a participé pendant un an au gouvernement régional, où il a démantelé le projet de création de l’Unité valencienne des urgences, mais « a eu la très grande chance de sortir du gouvernement avant la goutte froide [le phénomène Dana, à l’origine des inondations] », explique Carla Monleón.

Marian Val, maire-adjointe de Paiporta (Compromís), espère que « l’extrême droite ne va pas croître de manière si démesurée. Nous sommes sur la bonne voie pour que la population comprenne que, sans les administrations, le village ne va pas se relever ». Pour autant, les habitants n’oublient pas la responsabilité du gouvernement régional dans les décès, et celle de l’exécutif de Pedro Sánchez pour sa lenteur les jours suivants. « Je ne suis ni infirmière ni médecin, mais si je te vois tomber et que je comprends que tu t’es fait mal, je vais t’aider puis j’irai chercher les secours. Je ne peux pas dire que ce n’est pas de ma compétence, c’est de la compétence de tous ! », remarque Teresa.

Si les gens ne voyaient pas dans leur rue l’armée, la protection civile ou les pompiers intervenir, il y avait un sentiment d’abandon et d’indignation.

V. Maceda

« Si les gens ne voyaient pas dans leur rue l’armée, la protection civile ou les pompiers intervenir, il y avait un sentiment d’abandon et d’indignation », se rappelle Víctor Maceda, qui reconnaît qu’« il était impossible d’atteindre tous les endroits dès le lendemain. Sur 90 kilomètres en ligne droite, il y avait des villages touchés partout, c’était comme un tsunami ». L’impact d’un désastre sans précédent, la capacité de l’extrême droite à désinformer sur ses causes et l’inefficacité des administrations ont créé à Valence un cocktail qui, un an après, s’est traduit par une désaffection politique et la croissance de Vox… qui s’oppose aux politiques climatiques.

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