Plans de licenciements : en finir avec le diktat des multinationales

Orangina, NovAsco, Teisseire, Danone… Ces derniers jours sont marqués par l’annonce aux quatre coins du pays de fermeture d’usines et, avec elles, des centaines de licenciements. Alors que le gouvernement ne cesse de parler de « réindustrialisation », l’heure est de refuser l’impuissance et d’agir.

Pierre Jequier-Zalc  • 26 novembre 2025
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Plans de licenciements : en finir avec le diktat des multinationales
© Camille Airvault / Unsplash

La silencieuse agonie. Celle de l’industrie française, dont la part est passée – pour la première fois depuis 10 ans – sous la barre des 10 % du PIB. Des usines de grands groupes internationaux qui annoncent leur fermeture, une par une. La longue litanie. Celle des élus locaux qui déplorent, inexorablement, la désindustrialisation de leur territoire, de la disparition d’entreprises qui faisaient « la fierté » de leur commune, de leur département.

Celle, surtout, de l’exécutif, prompt depuis quelques années à brandir la « réindustrialisation » à tour de bras, et à garder ces mêmes bras ballants face aux multinationales quand elles décident de laisser des centaines de salariés sur le carreau pour maximiser leurs profits.

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Ces derniers jours, les exemples sont cruels. Il y a Orangina, qui ne se satisfait pas de ses 128 millions d’euros de bénéfices en 2024 et qui décide de réduire ses coûts de production pour atteindre la barre des 200 millions d’euros de profits d’ici à 2030. Et tant pis pour les 105 salariés de l’usine de la Courneuve (Seine-Saint-Denis). Il y a Teisseire, à Crolles (Isère), dont la trésorerie de 120 millions d’euros aurait été aspirée en un an par le géant danois Carlsberg, qui a racheté Brivtic, le groupe qui détenait la célèbre marque de sirop. 205 salariés sur le carreau, trois siècles d’histoire à la poubelle.

Un même constat : les usines concernées appartiennent toutes à des grands groupes, très largement bénéficiaires.

À quelques encablures au nord, à Villefranche-sur-Saône, c’est Danone qui a décidé de délocaliser la production de son usine Blédina en Pologne. Moins cher, plus rentable. 117 emplois menacés et un merci, tout de même, pour les aides publiques dont Danone a bénéficié plein pot. En Moselle aussi, les aides publiques ont coulé à flots. 85 millions d’euros investis par l’État pour sauver le plus grand site de NovAsco. Sauf que le repreneur, Greybull, n’a pas cru bon d’investir les 90 millions promis de sa poche. 549 suppressions d’emplois annoncés et trois sites sur quatre promis à la liquidation.

Larmes de crocodile

Dans ces quatre exemples, un même constat : les usines concernées appartiennent toutes à des grands groupes, très largement bénéficiaires et qui, tous, profitent des nombreuses aides publiques aux entreprises, qu’elles soient ponctuelles – comme l’investissement dans NovAsco – ou structurelles – crédit d’impôt recherche, exonérations de cotisations sociales, etc. Et cela, sans aucune condition. Malgré les appels de la CGT qui depuis des mois alerte sur la « saignée sociale » en cours et demande activement à l’exécutif de conditionner les aides publiques aux entreprises, notamment au maintien de l’emploi.

Il faut briser le dogme, et que l’État assume que c’est aussi son rôle d’intervenir sur le marché.

Mais les gouvernements successifs font la sourde oreille, enfermés dans une politique dogmatique de l’offre. Déréguler, flexibiliser le marché du travail, baisser le coût du travail, aider massivement les entreprises… et « demander », en espérant être entendu par un grand patronat toujours plus radicalisé dans la quête de profits.

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Comment, alors, s’étonner du résultat ? Les larmes de crocodile ne suffisent plus. Il faut briser le dogme, et que l’État assume que c’est aussi son rôle d’intervenir sur le marché. Que, dans un monde libéralisé, protéger ses emplois, c’est protéger ses frontières économiques. Que sauvegarder ses usines, c’est assurer sa souveraineté. C’est entrer en conflit avec ces grands groupes, parce que l’intérêt général n’est pas la maximisation du profit. C’est refuser d’homologuer ces plans « sociaux » dont les motifs économiques apparaissent bien faibles.

Les outils législatifs existent, il faut, désormais, décider de les mobiliser. Pour le cas de Teisseire, François Ruffin a formulé cette demande au ministre de l’Industrie, Sébastien Martin. Celui-ci lui a annoncé qu’il se rendrait à Crolles en fin de semaine. « Pendant longtemps, la question industrielle a été abandonnée par l’État. Depuis quelques années, on a, enfin, un changement de discours. Mais désormais, il faut passer des paroles aux actes », assène le député de la Somme.

Pendant longtemps, la question industrielle a été abandonnée par l’État. Depuis quelques années, on a, enfin, un changement de discours.

F. Ruffin

À gauche, la question industrielle revient au centre des enjeux. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la principale proposition de loi (PPL) de la niche parlementaire de La France insoumise concerne la nationalisation d’ArcelorMittal. Une proposition portée depuis des mois par la CGT : « On refuse de négocier notre mort, en essayant d’avoir les meilleurs PSE possibles. La nationalisation est la seule mesure pour nous sauver. Sinon, nous ne serons plus là d’ici à 2029 », explique Gaëtan Lecocq, secrétaire général de la CGT ArcelorMittal Dunkerque.

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« L’État ne fait rien, absolument rien. Il ne faut jamais oublier qu’on a un banquier d’affaires à l’Élysée », tacle Aurélie Trouvé, la députée LFI qui porte cette proposition de loi. Elle s’indigne aussi de la position du Rassemblement national. Le parti d’extrême droite s’est abstenu lors de l’examen de la PPL en commission. Mais ils assument désormais vouloir « pourrir » la niche parlementaire insoumise. Ils ont déposé près de 300 amendements pour l’examen de la PPL sur ArcelorMittal.

Une stratégie d’obstruction visant à empêcher l’Assemblée de voter sur ce texte. Des calculs politiciens qui laissent sur le carreau les milliers d’ouvriers du secteur de l’acier, en attente de solutions pour l’avenir de leur métier, de leur usine. Douloureux constat. À la fin, ce sont toujours les mêmes qui payent.

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