Mamdani, la gauche qui réconcilie radicalité et réel
L’élection de Zohran Mamdani à la mairie de New York relève du séisme politique. Dans la ville la plus chère du monde, bastion du capitalisme financier, les nombreux électeurs ont porté au pouvoir un maire issu de la gauche de gauche, musulman, cible d’une campagne d’islamophobie médiatique jusqu’en France. Au-delà du symbole, cette victoire incarne le retour d’une gauche concrète et populaire.

© Bingjiefu He / CC BY-SA 4.0 / Wikipedia
Zohran Mamdani, 34 ans, fils d’immigrés ougandais d’origine indienne, a remporté le 4 novembre 2025 la mairie de New York. Premier maire musulman, premier Sud-Asiatique à ce poste, il a battu l’ancien gouverneur Andrew Cuomo et le républicain Curtis Sliwa. Sa victoire n’est pas un accident électoral, mais un séisme politique : dans la métropole des inégalités extrêmes, un socialiste conquiert la mairie – et avec elle, l’imaginaire d’une autre gauche.
Dans une époque saturée de conflictualité, Mamdani a montré qu’on peut être révolutionnaire sans être invectivant.
Dans un pays où la gauche semblait condamnée à la marginalité, Mamdani n’a pas gagné sur un slogan ni une posture. Il a d’abord remporté une primaire unitaire, réussissant l’exploit de rassembler un camp souvent fracturé. Son programme ? Logement abordable, gratuité des transports publics, fiscalité redistributive, renforcement des services municipaux. Rien d’utopique : du concret, du quotidien. Mais surtout, un ton. Radical dans les idées, modéré dans l’attitude : un style nouveau, désarmant, à contre-courant de la surenchère verbale ambiante. Loin du vacarme partisan, Mamdani a parlé d’écoute, de solidarité, de dignité. Dans une époque saturée de conflictualité, il a montré qu’on peut être révolutionnaire sans être invectivant – qu’on peut transformer sans hurler.
Adversité
Cette réussite, pourtant, s’est construite dans l’adversité. Tout au long de la campagne, Mamdani a subi une offensive islamophobe persistante, relayée jusqu’en Europe. En France, Caroline Fourest, dans Franc-Tireur, le qualifié de « Big pastèque », l’associant sans scrupule aux Frères musulmans ou au Hamas – rien que ça ! – pour avoir défendu le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Un raccourci grossier, mais révélateur. Derrière ces attaques se rejoue un vieux réflexe : disqualifier l’altérité, soupçonner la loyauté, faire de l’islam une menace. Ce n’est pas un incident médiatique, c’est un symptôme : nos sociétés peinent encore à concevoir qu’un élu puisse être à la fois croyant, critique du pouvoir israélien et pleinement démocrate.
Dans les urnes, elle confirme aussi une recomposition profonde : celle d’une polarisation entre métropoles progressistes et périphéries réactionnaires. À New York comme à Paris, à Chicago comme à Lille, la géographie électorale épouse celle des inégalités. Les grandes villes, cosmopolites et diplômées, votent à gauche ; les zones rurales et désindustrialisées se replient sur des figures populistes – Trump, Le Pen, Farage. Rien de neuf, mais la fracture s’aggrave. Mamdani a su tirer parti de ce basculement : il a conquis le vote des classes moyennes précarisées, des jeunes endettés, des travailleurs du service, des minorités ethniques. Ces électeurs, souvent abstentionnistes, ont fait la différence. Sa campagne a redonné voix à ceux qui ne croyaient plus à la politique.
Mamdani n’a pas seulement gagné une mairie : il a rouvert une possibilité.
Depuis la défaite de Kamala Harris, le Parti démocrate semblait sans souffle, prisonnier de ses modérés. Mamdani, soutenu par Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, rompt avec cette inertie. Il redonne au parti un imaginaire social et populaire, fondé non sur le rejet du populisme, mais sur la justice sociale. Là où la gauche américaine se contentait de défendre les institutions face à Trump, Mamdani propose de les réinventer. Il inscrit sa victoire dans une dynamique plus large : celle d’une gauche municipale qui, de Chicago à Los Angeles, expérimente ce que Washington refuse d’assumer. Peut-être est-ce là le laboratoire d’une recomposition nationale.
Pour les gauches d’ailleurs – et notamment la française – cette élection recèle plusieurs leçons. D’abord, celle de l’unité : Mamdani s’est imposé comme le candidat de l’union parmi les démocrates – malgré les réticences jusque dans son camp. Ensuite, un programme lisible et ancré : logement, transport, fiscalité – les besoins concrets plutôt que les incantations. Troisièmement, le style : la radicalité du fond plutôt que l’agressivité du ton. Enfin, la reconquête de l’abstention : des milliers de New Yorkais ont voté pour la première fois, non par fidélité partisane, mais par confiance retrouvée. C’est sans doute là que se joue l’essentiel : transformer la colère en espoir, et l’indignation en action.
Illusion
Transposer la « méthode Mamdani » en France serait sans doute illusoire. Les blocages culturels et politiques y sont plus profonds, les résistances à une gauche digne de ce nom, plus tenaces. Et comme le souligne Fania Noël dans nos colonnes, une figure comme Mamdani y serait sans doute impensable : notre espace public supporte mal qu’un élu racisé, musulman, progressiste et critique d’Israël soit pleinement légitime. Mais au-delà de cette impossibilité, l’élection new-yorkaise trace une perspective. Elle montre qu’une gauche crédible peut renaître en articulant justice sociale, inclusion et exigence écologique, sans céder à la caricature ni au désespoir.
New York, ville-monde et vitrine du capitalisme, a choisi de croire à la justice sociale. Dans le cœur battant du capitalisme global, un maire socialiste rappelle que la gauche n’est pas condamnée à l’impuissance ni au cynisme. Elle peut redevenir une promesse. Une promesse crédible, joyeuse, intersectionnelle, qui parle du réel et redonne sens au collectif. Mamdani n’a pas seulement gagné une mairie : il a rouvert une possibilité. Et cette possibilité, à l’échelle du monde, mérite d’être prise au sérieux.
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