« Nous, victimes du docteur Tran, perdues dans les limbes de la justice »
Au terme d’une dizaine d’années d’enquête, le docteur Tran comparaîtra devant la cour criminelle du Val-d’Oise en 2027 pour 112 viols et agressions sexuelles. Dans une tribune, quarante plaignantes alertent sur les délais de la justice.

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L’affaire Tran, exemple malheureux d’une justice à deux vitesses « J’étais bloquée face à son pouvoir de médecin »NOUS, femmes de tous âges, nous ne nous connaissons pas mais nous avons toutes eu le malheur de consulter le Docteur Tran, gynécologue et mis en examen.
NOUS ne nous connaissons pas mais TOUTES nous savons que ce que nous avons subi ne relève ni de la médecine ni d’une méthode douce asiatique, comme le répète le mis en examen.
NOUS ne nous connaissons pas, mais dès la sortie du cabinet de ce gynécologue, nos vies ont été bouleversées. Cela a eu des répercussions dans nos vies de FEMME, MÈRE, CONJOINTE. Certaines d’entre nous ont perdu leur travail, d’autres ont fait des tentatives de suicides. NOUS avons perdu confiance dans la médecine et pour certaines la consultation avec le mis en examen a été notre dernière consultation chez un gynécologue.
NOUS avons décidé de faire confiance d’abord à la police. Toutes nous avons été entendues. Pour certaines la plainte, avant 2013, date de l’ouverture de l’instruction, n’a pas été prise en compte avec sérieux au regard de la dénonciation des faits subis. Si seulement, elles avaient été considérées…
NOUS avons toutes entendu de la part des services de police cette même phrase : ne vous inquiétez pas, nous vous tiendrons informées de la suite de la procédure. À l’heure où vous nous lirez, aucune n’a jamais été recontactée par ceux-ci. NOUS avons alors perdu confiance en eux.
NOUS avons ensuite voulu faire confiance à la justice. Justice qui a été saisie des faits de viols et d’agressions sexuelles depuis septembre 2013. NOUS pensions toutes pouvoir être entendues par l’un des 5 juges d’instruction qui se sont succédé. Très peu ont pu bénéficier de cette chance. Pour les autres, nous avons attendu un courrier, un appel. Depuis 2013, seul le silence nous a répondu. Pour la très grande majorité, nous n’avons ni changé d’adresse ni de numéro de téléphone ni de mail. NOUS étions joignables mais personne de l’institution judiciaire après nos dépositions n’a cherché à nous joindre.
4 197 jours est le temps qu’il aura fallu à la justice pour instruire ce dossier, ponctué de nombreuses péripéties procédurales. Pendant ce temps, NOUS avons essayé de nous construire ou reconstruire, d’avancer ou ne pas rester dans l’expectative mais il nous est arrivé d’avoir nos moments de bas, de doutes, d’angoisses, de dépression, en repensant même fugacement, quelques secondes à cette consultation.
Depuis 2013, seul le silence nous a répondu.
NOUS espérions qu’à défaut d’avoir été diligente pendant l’instruction, la justice serait plus rapide quant au jugement afin que nous puissions enfin passer à autre chose, pour que nous ne soyons plus des plaignantes, des parties civiles mais des victimes, pour que notre souffrance soit enfin écoutée, entendue, comprise par des magistrats.
NOUS pensions que le mouvement #MeToo allait œuvrer en notre faveur afin de clôturer définitivement enfin ce chapitre de notre vie.
Le 16 septembre 2025, NOUS avons perdu toute confiance en la justice en apprenant que le procès n’aurait pas lieu avant le second semestre 2027.
Il nous faudra donc attendre 912 jours depuis la fin de l’instruction pour un procès. NOUS ne comprenons pas comment ce procès n’a pas été anticipé depuis 2023. Tous les acteurs judiciaires de ce dossier avaient conscience que le mis en examen serait renvoyé devant la cour criminelle.
NOUS ne comprenons pas pourquoi il faut attendre 2025 pour organiser des réunions pour réfléchir à la construction d’une salle d’audience pour ce procès alors que depuis deux ans, cela semble acquis.
NOUS ne comprenons pas pourquoi la justice s’empresse pour certains et pour d’autres demeurent dans la plus grande des lenteurs.
Peut-être parce que tout simplement NOUS sommes des femmes qui dénoncent les agissements d’un médecin gynécologue.
NOUS ne pouvons pas continuer de rester enfermées dans cette cage mentale qui nous ronge tandis que le mis en examen n’a passé pas une seconde de son existence en détention provisoire. Ayant perdu confiance dans la justice, le coup de massue serait que le mis en examen demeure innocent pour l’éternité en raison de l’inaction et de la lenteur de celle-ci… Le mis examen étant né en 1950.
NOUS avons décidé de prendre la plume car nous ne pouvons plus rester silencieuses face à cette nouvelle attente qui nous est encore imposée.
NOUS n’avons aucune certitude quant à son échéance. Aujourd’hui 2027, demain 2028, après-demain 2029 ! Cela fait 12 années que nous sommes réduites au silence, mises de côté, oubliées. Notre souffrance est occultée pendant toutes ces années.
Le 16 septembre 2025, nous avons perdu toute confiance en la justice en apprenant que le procès n’aurait pas lieu avant le second semestre 2027.
NOUS n’attendons pas des décideurs politiques de grandes déclarations sur la situation de la justice et du manque de moyens humains et financiers.
NOUS l’avons subie comme tout justiciable, au point que cela soit évoqué dans la procédure pour justifier du retard de l’instruction.
NOUS demandons à bénéficier de la même célérité de la justice car NOUS aussi nous sommes victimes. La justice a mis 14 mois à créer une salle d’audience pouvant accueillir 500 personnes au palais de justice sur l’île de la Cité.
NOUS ne pouvons pas entendre que le délai soit bien plus important alors que NOUS ne sommes moins nombreuses, face à un seul mis en examen.
NOUS ne pourrons pas attendre jusqu’à septembre 2027.
NOUS victimes du Docteur Tran demandons JUSTICE au regard de ce que nous avons chacune subi, et ce au cours de l’année 2026 !
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