« Un “tous ensemble” féministe de lutte de classes »
Le 25 novembre 1995, 40 000 femmes et hommes défilaient à Paris pour défendre le droit à l’avortement, l’égalité et la liberté, à l’appel de la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception (Cadac). Ingrid Darroman, pour la Fondation Copernic, se souvient.
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© Lily Chavance
« C’était pour le droit réel à l’avortement et à la contraception, pour une réelle égalité entre les femmes et les hommes, et contre le rétablissement de l’ordre moral. Parce qu’aussi longtemps que le salaire, les tâches ménagères pénalisent les femmes, aussi longtemps qu’elles sont victimes de violences dans l’entreprise, on n’avancera pas », écrivait Maya Surduts (1), fondatrice et présidente de la Cadac.
Maya Surduts, « Un féminisme de luttes », Travail, genre et sociétés, n° 29(1), 2013, p. 5-22.
C’était 12 ans avant le Me Too de Tarana Burke et 22 ans avant le déferlement #MeToo sur le réseau social Twitter, aux mains de l’extrême droite aujourd’hui. Les faxs et téléphones avaient fonctionné à plein régime pour la manifestation prévue des mois avant le fameux mouvement social de 1995. La mobilisation se déroulera finalement le 25 novembre, date choisie au hasard et devenue, depuis 1999, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
149 organisations, dont des associations féministes, des syndicats et des formations politiques appellent à la manifestation, relayées par 56 collectifs de villes. « Manif de joie, de vie, manif prémonitoire dont l’affiche proclamait : “Ensemble défendons les droits des femmes” », écrit Suzy Rojtman (2).
Suzy Rojtman, « Après la manifestation du 25 novembre », dossier « Le mouvement social côté femmes », Cahiers du féminisme, n° 75-76, hiver-printemps 1996.
Après une manifestation d’extrême droite contre l’avortement en janvier 1995, la première prise de villes par le Front national en juin et la proposition d’amnistie post-élection présidentielle des commandos anti-IVG, la riposte féministe devait se déployer :
« C’était la Cadac qui était à l’origine de la manifestation de 1995. En 1993, nous avions obtenu la loi dite Neiertz sur le délit d’entrave à l’IVG, nous avions lutté pendant plus de deux ans, même sous la gauche on sentait les réticences du ministère de la Justice et du ministère de l’Intérieur. En 1995, nous craignions une chose : que la loi soit abrogée à l’issue de l’élection présidentielle. On a appelé à une mobilisation le 27 juin devant l’Assemblée nationale. Aux directions syndicales, on avait dit : “Vous avez 48 heures pour dire si vous êtes de la manifestation.” Entre-temps, on a pensé que ça ne suffisait pas. Et c’est là que la Cadac a pris les choses en main et a annoncé, seule, la manifestation du 25 novembre. C’était un pari qu’on prenait (3) », relate encore Maya Surduts.
Maya Surduts, « Un féminisme de luttes », op. cit.
Le niveau de mobilisation, vécu comme une « heureuse surprise », était pourtant le résultat d’un travail de fond mené depuis des années.
C’est ainsi qu’on assiste à un « tous ensemble » féministe sur des bases de lutte de classes. Le niveau de mobilisation, vécu comme une « heureuse surprise », était pourtant le résultat d’un travail de fond mené depuis des années et sans compromission par des militantes féministes engagées tant sur le droit à l’avortement que sur les violences ou l’égalité professionnelle, pour celles qui avaient notamment rejoint un syndicat.
Travail militant
Un cortège féministe était présent dans les manifestations qui suivirent, et les militantes féministes furent même invitées à une intersyndicale ! Des initiatives unitaires virent le jour, dont la création du Collectif national pour les droits des femmes en 1996, les Assises nationales pour les droits des femmes en 1997 et les journées intersyndicales femmes de 1998.
« Pour la première fois depuis 1979, plusieurs dizaines de milliers de femmes et d’hommes, toutes générations mêlées, se retrouvaient ainsi massivement dans les rues de Paris, dans un cadre unitaire, pour le droit à l’avortement et à la contraception, le droit à l’emploi, pour une réelle égalité entre les femmes et les hommes et contre la remontée de l’ordre moral (4). »
Josette Trat, introduction du dossier « Hommes et femmes dans le mouvement social », Cahiers du Groupe d’étude sur la division sociale et sexuelle du travail, n° 18, 1997, p. 5-17.
Le succès de cette mobilisation, comme des premières manifestations Me Too, nous rappelle combien le travail militant unitaire est précieux et créateur de forces vives, d’investissement. Trente ans plus tard, si nous dépassons les 40 000 personnes dans les rues parisiennes, l’unité de notre mouvement est une problématique fondamentale à laquelle nous nous devons de travailler dans cette période de reculs des droits fondamentaux et d’offensives masculinistes. Un « Toutes ensemble » qui seul pourra nous permettre de conquérir des droits pour toutes.
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