A69 : les cinq enjeux d’une audience cruciale
Une audience cruciale est prévue à la cour administrative d’appel de Toulouse ce jeudi 11 décembre pour acter ou non la poursuite du chantier de l’A69. Décryptage des principaux enjeux.

© Vanina Delmas
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A69 : des usines à bitume irritent les riverains Désenclavement : le mythe qui ne tient pas la routeLe feuilleton juridique sur l’avenir de l’autoroute A69 aura occupé le devant de la scène pendant toute l’année 2025. Le 27 février 2025, le tribunal administratif de Toulouse a annulé les autorisations environnementales délivrées par l’État en mars 2023 aux sociétés concessionnaires chargées de réaliser l’A69 entre Castres et Toulouse. Le chantier s’arrête dans l’heure qui suit. Une première !
Dans sa décision, le tribunal rappelle que la dérogation à la destruction d’habitats des espèces protégées accordée par les préfets n’est possible que si trois conditions sont réunies : si le maintien des espèces protégées n’est pas menacé, s’il n’existe pas de solution alternative et si le projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur. L’État et les sociétés ont interjeté appel.
En mai, la cour administrative d’appel de Toulouse a accordé le « sursis à exécution » demandé par l’État et le concessionnaire Atosca afin que le chantier reprenne, en attendant l’appel sur le fond du dossier, qui a lieu ce jeudi 11 décembre. Retour sur les enjeux principaux de cette bataille juridique de haut vol.
Pour le rapporteur public, le chantier doit continuer
Mardi 9 décembre, le rapporteur public s’est prononcé en faveur de la poursuite du chantier de l’autoroute A69, recommandant à la cour administrative d’appel d’annuler la décision du tribunal administratif de Toulouse de février. Il estime que la décision de février basée sur l’absence de « raison impérative d’intérêt public majeur (…) n’est pas fondée ».
C’est le même rapporteur qu’en mai, qui affirmait que le bassin Castres-Mazamet mérite par principe une A69.
G. Garric
« Ce n’est pas une surprise car c’est le même rapporteur qu’en mai, qui affirmait que, selon lui, le bassin Castres-Mazamet mérite par principe une A69. Il ne détaillait pas les volets économiques, sociaux, écologiques donc nous attendons l’audience sur le fond en appel pour voir comment il va argumenter point par point », souligne Gilles Garric du collectif d’opposant à l’A69 La voie est libre. Les parties civiles au procès contre l’A69 avaient déposé une requête en récusation pour cause de suspicion de partialité de deux magistrats et du rapporteur public, mais n’ont pas eu gain de cause.
La notion clef d’intérêt public majeur
Il n’existe pas de définition juridique précise de la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM). Mais celle-ci indique les conditions dans lesquelles un projet peut être légal bien que portant atteinte à des espèces protégées. Le projet doit absolument résoudre une situation de santé ou de sécurité publique, voire d’intérêt économique majeur, et qu’il n’y ait pas de solution alternative. « En première instance, les opposants à l’A69 ont gagné grâce à la notion de RIIPM. Les magistrats ont conclu qu’il n’y en avait pas, que l’A69 ne répondait pas à une nécessité vitale du territoire », explique Gilles Garric.
Les attaques contre la biodiversité
La dérogation à la destruction d’habitats des espèces protégées accordée par les préfets en 2023 n’est acceptable qu’à la condition de ne pas nuire au maintien des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. Or, dans le jugement de février, le tribunal administratif avait annulé les autorisations, considérant qu’« au vu des bénéfices très limités qu’auront ces projets pour le territoire et ses habitants, il n’est pas possible de déroger aux règles de protection de l’environnement et des espèces protégées ». Les opposants ont répertorié 160 espèces protégées sur le tracé, et estiment que les études d’impact sur les zones Natura 2000 n’ont jamais été actualisées depuis la déclaration d’utilité publique en 2018.
Les opposants ont répertorié 160 espèces protégées sur le tracé.
De plus, les engagements pris pour les mesures compensatoires, en cas de destruction d’espèces ou d’habitats naturels comme les zones humides, ne semblent pas être suffisants et respectés. Une enquête du collectif La voie est libre, étayée par Radio France, montre que le chantier de l’A69 empiète sur des parcelles non déclarées dans le dossier de demande d’autorisation environnementale à hauteur de 42 hectares sur les 430 hectares d’emprise totale du chantier.
« Parmi ces 42 hectares, il y avait des zones pour les mesures compensatoires qu’ils auraient dû laisser en état afin de favoriser la régénérescence de la biodiversité pour restaurer les habitats d’espèces protégées ailleurs sur le chantier », explique Gilles Garric. Elles sont désormais artificialisées ou terrassées. Une plainte a été déposée, assortie d’un référé pénal environnemental, afin de demander la suspension du chantier.
Le développement économique à tout prix
La fameuse RIIPM n’a pas été retenue lors de la première instance, notamment concernant les arguments économiques et sociaux. Le jugement explique que l’enclavement du bassin Castres-Mazamet – argument phare des défenseurs de l’A69 – n’est pas démontré, car les données de l’Insee ne prouvent pas que le territoire subit ni un « décrochage démographique en comparaison des autres bassins situés aux alentours de Toulouse, ni un décrochage économique ».
Il conclut : « Compte tenu de la seule nécessité de conforter le développement économique du bassin de Castres-Mazamet, et non de procéder à son redressement [… ] les motifs économiques avancés pour justifier un tel projet ne sauraient caractériser l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur. »
Ils n’ont ni regardé l’alternative ferroviaire, ni l’aménagement des routes existantes.
There is no alternative
La problématique de l’existence d’une alternative à l’A69 est primordiale dans un tel dossier, car c’est une des conditions pour obtenir la RIIPM. Le tracé de l’A69 est proche à la RN126 déjà existante – voire quasiment parallèle – mais un scénario prévoyant la réhabilitation de cette route nationale ne semble pas avoir été étudié. « Nous affirmons qu’aucune étude faite par l’État depuis 20 ans pour démontrer que la seule solution viable pour éventuellement désenclaver est une autoroute. Ils n’ont ni regardé l’alternative ferroviaire, ni l’aménagement des routes existantes. Alors que c’est obligatoire quand on demande une autorisation environnementale pour un tel projet », dénonce La voie est libre.
Le tribunal avait tranché sur le fait que les avantages de l’autoroute ne sont certains, « puisque l’itinéraire de substitution prévu pour les automobilistes ne souhaitant pas s’acquitter du prix du péage ne présentera plus des conditions optimales de sécurité, ni un confort similaire à celui de l’actuel itinéraire ». Du côté des opposants à l’A69, des groupes ont planché sur un projet de territoire alternatif pour intégrer les mobilités en milieu rural, l’agriculture et le vivant.
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