« Girls for Tomorrow », quatre filles dans le vent mauvais des États-Unis

Nora Philippe suit quatre jeunes américaines sur 10 ans agissant pour un monde meilleur.

Christophe Kantcheff  • 9 décembre 2025 abonné·es
« Girls for Tomorrow », quatre filles dans le vent mauvais des États-Unis
Girls for Tomorrow passe d'une protagoniste à l'autre, avec fluidité, donnant à voir leurs personnalités différentes tout en gardant la cohérence de leur rêve d’un monde meilleur.
© Nora Philippe / Grande Ourse Films / Kwassa Films / BIND / Agitprop

Girls for Tomorrow / Nora Philippe / 1 h 36.

Girls for Tomorrow est né dans des circonstances particulières que Nora Philippe évoque en ouvrant son film. En 2015, ayant dû déménager à New York avec un enfant en bas âge, elle se retrouve happée et presque cloîtrée par sa vie de mère et d’exilée. Dès lors, elle se met en quête de « petites sœurs et de grandes sœurs avec lesquelles je pourrai apprendre à recomposer ma liberté et concevoir mon prochain film », explique-t-elle en off. Elle ajoute : « Pour moi, cela va ensemble. »

Ces « petites sœurs », en l’occurrence, seront au nombre de quatre, que la réalisatrice rencontre à la Barnard ­University, très réputée aux États-Unis, située en face de ­Columbia, réservée aux femmes et d’horizon féministe. Ce sont quatre étudiantes, désireuses d’avoir un engagement fort sur le monde, militantes pour certaines, d’extractions sociales diverses.

Quatre jeunes femmes que Nora Philippe a décidé de suivre au long cours, sur une décennie pour ce premier volet, et jusqu’en 2045.

Lila, qui a grandi à la campagne, dans le Montana, étudie grâce à des bourses. Talia, issue d’un milieu juif orthodoxe, vient du ­Wisconsin. Evy, qui a déjà vécu successivement sur trois continents avant d’arriver à Barnard, est une activiste infatigable. Enfin, Anta, Afro-Américaine, elle aussi boursière, a perdu ses parents alors qu’elle était encore enfant, a dû vivre chez un oncle où on la maltraitait et d’où elle s’est échappée à 15 ans.

Âge de bascule

Quatre jeunes femmes que Nora Philippe a décidé de suivre au long cours, sur une décennie pour ce premier volet, et jusqu’en 2045, projette la réalisatrice. On imagine l’implication assumée que cela représente pour les cinq protagonistes, les filmées et la filmeuse. On se réjouit aussi d’une telle perspective, car ces entreprises sur la durée offrent souvent de riches réflexions existentielles (Boyhood, de Richard Linklater, étant un des summums du genre).

Sans être un journal de bord de l’histoire récente des États-Unis, le film égrène les années avec leurs événements saillants : la première élection de Donald Trump puis ­l’irruption du mouvement #MeToo, le covid un peu plus tard, enfin la seconde élection du milliardaire. Comme l’on sait, le pays – le monde en son entier – suit une pente régressive.

Lila, Talia, Evy et Anta ne désarment pas pour autant, elles refusent cet ordre funeste de plus en plus établi tout en accomplissant leur parcours personnel, qui n’est pas écrit d’avance mais est marqué par un désir d’émancipation porté par des convictions féministes. D’autant plus délicat à négocier qu’elles sont à un âge de bascule, ce moment où l’on est sur le point de terminer ses études et de quitter l’écrin protecteur de l’université pour entrer dans la vie de jeune adulte.

La force de ces jeunes femmes soulève des espoirs.

Evy est particulièrement volontariste puisqu’elle s’installe au Texas pour militer en faveur de l’écologie. Son esprit combatif s’accompagne d’un bon sens de l’humour. Et cette voyageuse, qui s’est pour le moment enracinée et participe à des luttes locales, tombe amoureuse d’un Iranien. Talia parvient à s’extraire des normes imposées de l’orthodoxie juive et se surprend même à vivre en couple avec un goy. Lila, très attachante parce que la plus fragile, s’étant coupé les cheveux, découvre l’incertitude de l’appartenance à un genre dans le regard des autres.

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Enfin, à son discours sur la femme noire, soutenu par ses lectures, de bell hooks notamment, et ses recherches sur la suppression de l’esclavage pendant la Révolution française – qui l’amènent à Paris –, Anta mêle sa quête intérieure sur son enfance souffrante et le meurtre dont a été victime son père, dont elle ne sait rien. Avec Anta plus particulièrement, Nora Philippe poursuit un travail sur l’histoire coloniale et postcoloniale entamé avec une exposition dont elle a été la commissaire en 2018, Black Dolls (« Poupées noires »), qu’elle avait accompagnée d’un documentaire.

Girls for Tomorrow passe de l’une à l’autre avec fluidité, donnant à voir leurs personnalités différentes tout en gardant la cohérence de leur rêve d’un monde meilleur. La force de ces jeunes femmes soulève des espoirs. Nous sommes curieux de voir comment ils se concrétiseront par la suite.

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Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes